Au 18e jour de la contestation, la répression se concentre sur les campus, notamment à Téhéran, où les forces de sécurité ont fait une descente brutale. Le régime accuse les Etats-Unis et Israël de téléguider la révolte, qui commence à gagner des élèves du secondaire.
C’est une véritable descente. Des hommes en civil et des policiers en uniforme ont assiégé dimanche l’université Sharif, à Téhéran. La plus prestigieuse du pays, celle qui forme ses meilleurs ingénieurs.
Alors que le soulèvement déclenché par la mort de Mahsa Amini entrait ce week-end dans sa troisième semaine, l’université a été le théâtre de nombreux rassemblements samedi et dimanche, premiers jours ouvrés en Iran. Dimanche après-midi, les autorités ont tenté d’y mettre un terme, par la force.
Le récit exact des événements demeure nébuleux en raison des restrictions imposées aux médias dans la couverture de ce mouvement de contestation et de la coupure des réseaux de communication.
Mais, d’après des témoignages publiés dans la presse iranienne et étrangère, et des images diffusées sur les réseaux sociaux malgré la censure, des unités ont encerclé le campus, empêchant les étudiants de sortir, les poursuivant et les frappant à l’intérieur.
Une vidéo montre des jeunes gens essayant de fuir, paniqués, dans un parking souterrain. Des hommes à moto les poursuivent. Des témoins disent avoir entendu des coups de feu, qui pourraient être des tirs de chevrotine, que les forces de sécurité utilisent sans retenue.
L’attaque de dimanche 2 contre l’université de Sharif a ravivé le souvenir douloureux d’une précédente révolte matée dans la violence. En 1999, des étudiants avaient manifesté contre la fermeture de journaux qui enquêtaient sur une série d’assassinats d’intellectuels, les premières protestations de cette ampleur depuis la révolution de 1979.
En réponse, le pouvoir avait envoyé ses sbires dans les dortoirs de l’université de Téhéran, arrêtant environ 1 500 jeunes, en blessant plusieurs centaines et en tuant au moins trois.
Malgré cet épisode dramatique, les universités sont restées des hauts lieux de la contestation et avaient de nouveau donné de la voix en 2009, lorsqu’une large partie de la population contestait la réélection frauduleuse de l’ultraconservateur Mahmoud Ahmadinejad.
Périphériques dans les soulèvements populaires de l’hiver 2017 et 2018, puis de novembre 2019, les universités sont de nouveau au cœur de la contestation visant le régime apparue le 16 septembre.
– Depuis samedi, des rassemblements ont été signalés entre autres à Tabriz, Mashhad, Shiraz, Kashan.
– Les cours n’ont pas repris lundi à Sharif, ils auront lieu en visio jusqu’à nouvel ordre.
– Pour la première fois lundi, au dix-huitième jour de la mobilisation, de jeunes élèves du secondaire se sont joints au mouvement. Sur une vidéo tournée à Karaj, des gamines qui semblent avoir moins de 15 ans dégagent manu militari un responsable du ministère de l’Education en le traitant de « sans honneur ».
Face à cette contestation qui ne faiblit pas, le guide suprême Ali Khamenei, plus haute autorité du régime, a pris la parole lundi.
Se montrant publiquement alors que des informations circulent sur sa santé déclinante, il a accusé « l’Amérique et le régime sioniste usurpateur [Israël, ndlr] et mercenaires, avec l’aide de certains Iraniens traîtres à l’étranger » d’être à l’origine de ce qu’il qualifie avec mépris d’« émeutes ». « La mort de la jeune fille [Mahsa Amini] nous a brisé le cœur, mais ce qui n’est pas normal c’est que certaines personnes, sans preuve ni enquête, rendent les rues dangereuses, brûlent le Coran, retirent le hijab des femmes voilées, mettent le feu aux mosquées et aux voitures », a-t-il ajouté.
La répression a déjà fait au moins 92 morts, d’après l’organisation Iran Human Rights, basée en Norvège.
Le pouvoir multiplie les arrestations : 1 200 il y a une semaine, selon le dernier décompte donné par le pouvoir. Neuf ressortissants étrangers de France, d’Allemagne, d’Italie, des Pays-Bas et de Pologne auraient été interpellés, d’après le ministère du Renseignement, qui croit tenir là la preuve d’un complot ourdi depuis l’étranger, la thèse défendue par le régime à chaque fois qu’il est contesté. Une globe-trotteuse italienne de 30 ans a fait savoir qu’elle était détenue depuis mercredi à Téhéran.
Des intellectuelles emprisonnées
Lundi 3, le Quai d’Orsay a « condamné avec la plus grande fermeté la poursuite de la répression brutale des manifestations en Iran, dont le bilan humain s’est encore dramatiquement alourdi ».
La France « exige que cette répression cesse immédiatement » et « est particulièrement choquée par les violences commises contre les manifestants, notamment à l’université de Sharif ce week-end ».
Dans un communiqué, le ministère a révélé que le « chargé d’affaires de l’ambassade d’Iran a été convoqué au ministère de l’Europe et des Affaires étrangères vendredi dernier et s’est fait signifier ces messages ».
Les célébrités qui avaient exprimé de la sympathie ou encouragé le mouvement ont aussi été ciblées.
De même que les militants et des intellectuelles. Bahareh Hedayat a ainsi été de nouveau arrêtée lundi. Activiste pendant ses années d’études, la quadragénaire a poursuivi son travail en faveur des droits des femmes malgré ses nombreux séjours en prison.
La sociologue Morvarid Ayaz, qui avait soutenu sa thèse sur l’islam chiite, à Paris en 2017, est embastillée depuis le 21 septembre. D’abord emprisonnée à Rasht, elle a été transférée à Téhéran dans un endroit inconnu de ses proches, qui se disent très inquiets. Morvarid Ayaz n’est membre d’aucune organisation politique, rappellent ses soutiens. Elle est docteure associée d’un laboratoire du CNRS et de l’Ecole pratique des hautes études.