En polarisant l’attention politique et médiatique sur une polémique entre « gauche du travail » et « gauche des allocations », la direction du PCF poursuit un but immédiat. Ayant dû accepter d’intégrer la NUPES pour sauver son existence parlementaire, elle veut refermer la parenthèse en enfonçant le coin de la division dans une union qu’elle estime contradictoire avec ses intérêts d’appareil.
Crédit Photo. Photothèque Rouge / Martin Noda / Hans Lucas
« Débarrasser les travailleurs de l’incertitude du lendemain »
Le procédé n’est pas nouveau, le thème choisi, par contre, marque une rupture qui n’a rien d’anecdotique. C’est en effet aux fondements même de la Sécurité sociale, dont le PCF se prétend le gardien vigilant, que s’attaque Fabien Roussel.
L’ordonnance de 1945, dont Ambroise Croizat, ministre du Travail du PCF dans le gouvernement Charles de Gaulle, fut l’artisan, affirmait dans son préambule : « La sécurité sociale est la garantie donnée à chacun qu’en toutes circonstances il disposera des moyens nécessaires pour assurer sa subsistance et celle de sa famille, dans des conditions décentes. […] Elle répond à la préoccupation de débarrasser les travailleurs de l’incertitude du lendemain […]. »
Le rapport de forces particulier existant au lendemain de la Seconde Guerre mondiale a en effet permis d’imposer au patronat qu’en plus du salaire direct, celui-ci doive verser, de manière obligatoire, des « cotisations sociales » partie dite « socialisée » du salaire . Ces cotisations sociales permettent de financer des revenus de remplacement (pensions de retraites, indemnités journalières pour maladie) ou les allocations familiales. À l’époque la Sécu ne prit pas en compte « risque » chômage, celui-ci étant quasi inexistant. Ce fut, par la suite, le rôle des ASSEDIC, devenues une partie de « Pôle emploi ».
Un combat d’arrière-garde
Le patronat et les politiciens des classes dominantes ont dû accepter mais ont toujours combattu la ponction opérée sur leurs profits pour financer des situations « hors travail ». Ce n’était pour eux rien d’autre qu’un encouragement à la « paresse » naturelle des « classes subalternes ».
« L’assistanat », « cancer de notre société » selon Wauquiez, Le Pen ou Zemmour, ou le « pognon de dingue » que coûtent les allocations selon Macron ne sont que les derniers avatars de ce combat. Le but poursuivi est triple :
– réduire massivement les coûts de la protection sociale (ce qui permet d’augmenter celle des profits) ;
– contraindre les salariéEs n’ayant pas d’autre choix à accepter n’importe quel emploi pour n’importe quel salaire ;
– diviser les salariéEs entre eux (ceux qui « travaillent dur » contre les « assistés »).
Roussel leur emboite le pas, prétendant « écouter » ceux qui « parlent d’assistanat en nous disant qu’ils travaillent et que eux [les bénéficiaires de minima sociaux] ne travaillent pas ».
Macron engage une nouvelle contre réforme de l’indemnisation du chômage, en modulant les allocation selon le niveau de l’emploi. C’est le moment choisi par Roussel pour affirmer « le sujet n’est pas d’augmenter les minima sociaux mais de sortir des minima sociaux ». Ces propos seront, à juste titre ressentis , comme une trahison par les chômeurs et ceux qui défendent leurs droits et comme un soutien par le gouvernement. G.Attal, ministre des comptes publics, présent à la fête de l’Humanité ne s’y est pas trompé et a immédiatement approuvé les propos de Roussel.
Quoi qu’il en dise, une fois engagé dans cette voie, il sera difficile à Fabien Roussel de s’arrêter en chemin et de ne pas « entendre » non plus les mêmes lui expliquer que leur voisinE de palier est aussi unE assistéE qui « fait des enfants pour toucher les allocs » ou que celui de l’étage du dessus est un « tire-au-flanc qui multiplie les arrêts maladie, pour ne pas aller bosser et toucher les indemnités journalières ».
Chômage, retraites, allocations familiales, indemnités journalières, ce sont tous les droits sociaux acquis par les salariéEs qui sont mis en cause par la dénonciation de « ceux qui vivent des allocs ».
Revenus de substitution ou plein emploi : l’absurde dilemme
Pour tenter de justifier sa capitulation devant l’idéologie libérale, Roussel tente de lui opposer l’exigence de la « fin du chômage » : « Je me bats pour une société qui se fixe comme horizon de garantir un emploi, une formation, un salaire à chacun de ses concitoyens »
Si « l’horizon » est bien celui d’une société qui en finisse avec le chômage, c’est-à-dire, en clair, d’une société qui rompe avec le capitalisme, toute la question est de savoir quelle stratégie et quels mots d’ordre on avance pour y parvenir.
Il est frappant que, de ce point de vue, Roussel ne dise rien de la revendication centrale permettant de mener la lutte dans cette direction : travailler toutes et tous pour travailler moins, en d’autres termes le partage du travail entre toutes et tous, qui permet à la fois de donner à touTEs un emploi et un salaire digne, de réduire massivement le temps de travail contraint, et de donner à chacunE le temps nécessaire aux loisirs, aux relations sociales à l’épanouissement personnel, à la participation à la vie de la cité.
Dans une tribune au Monde, Roussel admet, comme à regret :
« Bien sûr, à titre transitoire [nous soulignons], les salariés ont besoin de protections, d’accompagnement et je serai à leur côté pour dénoncer toutes les attaques du gouvernement contre eux, avec cette réforme de l’assurance chômage ou encore le projet de travail obligatoire en échange du RSA »
Mais c’est précisément parce que nous sommes aujourd’hui dans une société ou il existe un chômage et une précarité de masse qu’il faut agir, non en dénonçant les revenus de remplacement au nom du plein emploi, mais en exigeant leur extension :
– non pas le RSA, mais le maintien du salaire ;
– des retraites qui, dès 60 ans, assurent la prolongation des meilleures années de salaire ;
– des allocations familiales des le premier enfant ;
– une allocation d’étude égale au SMIC pour touTEs les étudiantEs ;
– la suppression des jours de carence et l’indemnisation intégrale de la maladie.
Ce ne sont pas les droits sociaux qui produisent méfiance et hostilité des salariéEs, c’est au contraire le fait que ces droits ne soient pas pour touTEs et soient de plus en plus restreints, donnant le sentiment que les aides sont « pour les autres et jamais pour moi ». C’est aussi le fait que les classes populaires sont de plus en plus mises à contribution à la place des employeurs pour financer la protection sociale : baisse ou suppression des cotisations dites « patronales », remplacés par des taxes injustes (CSG TVA…).
Il y a urgence à débattre avec les militantEs et sympathisantEs du PCF sur les effets désastreux de l’orientation défendue par Fabien Roussel. Elle ne lui fera gagner ni électeurEs ni militantEs, mais elle crée des obstacles supplémentaires aux nécessaires mobilisations.
Jean-Claude Delavigne