Avant son arrivée au pouvoir en 2009, Jacob Zuma avait déjà été épinglé pour corruption lors d’une vente d’armes par l’entreprise Thales. En 2016, il est accusé d’avoir utilisé de l’argent public, près de 15 millions d’euros, pour la réfection de sa résidence située à Nkandla. Mais ce n’était rien à côté de ce que va révéler en 2018 la commission d’enquête sur sa complicité de corruption avec la fratrie Gupta.
Crédit Photo. Jacob Zuma. Wikimedia Commons
Corruption à grande échelle
Ces derniers ont méthodiquement mis la main sur l’ensemble des entreprises publiques. Le rapport d’enquête mené par le juge Zondo est accablant. Eskom, l’entreprise de production et de diffusion de l’électricité, a payé d’avance des centaines de millions de dollars pour l’achat de charbon de mauvaise qualité à une des sociétés de Gupta. Ils ont tenté d’influencer la compagnie nationale ferroviaire PRASA (Passenger Rail Agency of South Africa) pour une opération d’achat de locomotives. La compagnie aérienne South African Airways a subi d’énormes pressions pour qu’elle abandonne la ligne vers l’Inde afin de favoriser la compagnie Jet Airways appartenant à la fratrie. Toujours avec l’aide de Zuma, ils avaient la haute main sur les nominations des ministres. Ainsi avec l’aide d’une société de conseil Bain&Company, ils ont réussi à faire des services fiscaux, pourtant parmi les plus efficaces du Continent, une structure devenue inefficiente.
Jacob Zuma, qui a joué un rôle central, tout au long de son exercice du pouvoir, dans cette captation de l’État, a multiplié les manœuvres afin d’éviter de répondre à la justice. Tentative d’étouffer les affaires, intimidation des journalistes, refus de se présenter à la commission d’enquête anti-corruption, utilisation de la violence contre son emprisonnement avec des émeutes déclenchées notamment à Johannesburg. Des scènes de pillage ont eu lieu et surtout plus de 300 personnes ont trouvé la mort. Pour lever son incarcération, il a avancé des problèmes de santé.
L’ANC en perte de vitesse
Si l’ANC reste le parti dominant dans le pays, ses résultats s’érodent au cours des élections. Le parti de Mandela s’est engouffré dans la voie du libéralisme et, s’il y a eu quelques efforts dans le domaine social, on est loin du compte. Le système a amplifié les inégalités et a surtout profité aux dirigeants du parti qui se sont considérablement enrichis. La plupart se justifient en invoquant les souffrances et les privations endurées pendant la lutte contre l’apartheid.
En accédant au pouvoir, Cyril Ramaphosa a promis de mener une lutte ferme contre la corruption. Un projet difficile à mener à la vue de la généralisation de cette pratique dans les cercles dirigeants. Le juge Zondo préconise des poursuites contre plus d’une centaine de personnes, dont des anciens ministres. D’autant que la probité de Ramaphosa est écornée par une affaire de vol dans une de ses propriétés. Les cambrioleurs auraient trouvé l’équivalent de 3,8 millions d’euros, ce qui soulève des légitimes questions sur la provenance d’une telle somme. Lors d’une prise de parole au stade de Rustenburg, au nord-ouest de Johannesburg, pour le 1er mai, Ramaphosa s’est fait copieusement huer par les travailleurs. Les dirigeants de la COSATU, le syndicat proche du pouvoir, ont été incapables de calmer la foule.
Une exaspération dangereuse
L’émergence des « Economic Freedom Fighters », l’organisation radicale de Julius Malema, se renforce par une critique de la politique économique et la corruption de l’ANC, mais le pays est traversé par des manifestations xénophobes parfois violentes. Les principaux visés sont les immigréEs originaires du Zimbabwe, du Mozambique et du Nigeria, ainsi que des réfugiéEs somaliens. Le mouvement Opération Dudula – que l’on pourrait traduire du zoulou par « Refouler » – fait des immigréEs sans papiers la principale cause des malheurs du pays. Ils sont accusés de délinquance, de trafic de drogue et de casser le marché du travail. Les pressions se font de plus en fortes sur les commerces et les petites entreprises pour qu’elles n’emploient que des Sud-Africains. Ce type de mouvement n’est hélas pas nouveau mais désormais il s’enracine dans la population et pourrait dégénérer dans une violence à grande échelle. D’où l’urgence de la construction d’une alternative politique.
Paul Martial