Mais quelles sont les raisons de ce discours hautement menaçant ? Depuis le mois d’avril 2022, il n’y a pas une ville d’Iran qui n’ait connu de scène de colère populaire contre le gouvernement. Certes, des mouvements divers ont lieu partout en Iran, mais ils sont sans lien entre eux, et dépourvus d’organisations coordonnées à l’échelle nationale. Le régime, incapable de gérer les différentes crises graves qui pourraient conduire à son effondrement, a eu recours à une escalade sans précédent de la répression, à des menaces de massacre et à des attaques contre les femmes.
Depuis la guerre Iran-Irak (1980-1988), les grèves et manifestations ont été formellement interdites, et les protestations sociales ont été férocement réprimées. Néanmoins, entre le 1er mai 2021 et le 1er mai 2022, ont eu lieu 4122 grèves et actions de protestation d’ouvriers et ouvrières, d’enseignant·e·s, de fonctionnaires, de retraité·e·s, de personnels du secteur hospitalier, etc.
Parmi ces grèves, on peut citer celle de plus de 100 ?000 salarié·e·s du secteur du pétrole et de la pétrochimie. Elle a duré deux mois et n’a pris fin qu’avec la satisfaction de la plupart de leurs revendications. Dernier exemple, les luttes de plusieurs dizaines de milliers d’enseignant·e·s. Fait inédit dans l’histoire de ce régime depuis sa prise du pouvoir en 1979, elles ont été organisées simultanément dans des centaines de villes,
De nombreuses manifestations violentes ont eu lieu contre la pénurie d’eau dans plusieurs provinces. Elles ont été déclenchées par des centaines d’agriculteurs et rejointes par des dizaines de milliers d’habitants des environs. Tous et toutes protestaient contre la mauvaise gestion de l’eau par la « mafia de l’eau » mise en place par le régime. L’Iran ayant un climat essentiellement aride est aujourd’hui frappé par un grave stress hydrique (manque d’eau), pour la consommation courante, les cultures et l’élevage. Et les coupures d’électricité se multiplient.
Les autorités ont conscience que les méthodes utilisées pour réprimer et terroriser la société sont inefficaces. Elles craignent la convergence des divers mouvements de protestation ainsi que la solidarité croissante qu’ils suscitent. Face à cela, elles accentuent la violence de leur comportement habituel : arrestations, constitution de dossier judiciaire sur la base de faux, accusations forgées de toutes pièces, diffusion de mensonges et calomnies contre celles et ceux qui osent protester.
Cécile Kohler et Jacques Paris, deux syndicalistes français de l’enseignement, ont rencontré des figures connues du syndicalisme iranien lors d’un voyage touristique en Iran au printemps dernier. Les autorités iraniennes les ont arrêts et accusés d’espionnage. Simultanément, de vastes opérations de répression ont été déclenchées. Des dizaines d’enseignant·e·s et de syndicalistes connus et respectés dans leurs secteurs d’activité respectifs ont été arrêtés et accusés de « propagande et complot contre le régime islamique, en connivence avec une puissance étrangère ».
Ces accusations complètement fausses et sans fondement sont fabriquées uniquement dans le but de réprimer le mouvement syndical indépendant ainsi que les protestations légitimes des travailleurs et travailleuses et autres opprimé·e·s. Parmi les personnes arrêtées, certaines ont entamé des grèves de la faim. Aussitôt en solidarité avec elles, plus de soixante prisonniers et prisonnières les ont rejointes
Des actions de soutien aux activistes emprisonnés affluent du monde entier. Le « Collectif syndical français pour la défense des travailleurs en Iran », avec le soutien de deux structures syndicales genevoises ainsi que de composantes de la diaspora iranienne, ont organisé un rassemblement le 10 juin à Genève, devant le siège de l’Organisation internationale du travail (OIT). Aux demandes de son syndicat, de sa famille et du Collectif syndical français, Reza Shahabi, un militant de renommée mondiale, a suspendu au bout de 42 jours sa grève de la faim ! Quelques prisonniers la continuent toujours.
Changement de la géographie de la contestation politique. Changement du discours du régime
Depuis 2017, il est évident que la géographie de la contestation politique a également changé. Dans l’histoire de l’Iran moderne, les principales manifestations qui ont constitué une menace pour le pouvoir de l’Etat ont eu lieu principalement à Téhéran et dans d’autres grands centres urbains. Mais, en 2017 et 2019, il y a eu de d’importantes escalades dans les villes et villages de la périphérie. Ce changement exerce une pression considérable sur l’appareil sécuritaire de l’Etat, ce qui le conduit de plus en plus à être davantage violent et répressif pour tenter de maintenir « l’ordre ».
Pourtant, les événements des cinq dernières années mettent en évidence le fait que les manifestant·e·s sont désormais prêts à entreprendre des actions plus radicales et à payer un prix plus élevé pour obtenir ce qu’ils veulent. La nature changeante des protestations, et plus généralement de la résistance, modifie rapidement le climat sociopolitique iranien.
L’une des principales caractéristiques de 2022 est l’accélération des développements sociopolitiques et l’escalade de l’affrontement entre le régime iranien et le peuple dans les domaines économique, politique, social et culturel. Cela se reflète dans les propos du président Ebrahim Raïssi [dont le mandat a commencé le 3 août 2021] et l’élimination de la faction soi-disant réformiste.
Le nouveau président Raïssi est étiqueté comme un « dur » et surnommé « le bourreau ». C’est un des responsables du massacre de milliers prisonniers et prisonnières politiques en 1988. Le chef suprême du régime, Ali Khamenei, avait espéré que Raïssi, serait en mesure de freiner les protestations croissantes, qui avaient commencé pendant la présidence de Hassan Rohani [d’août 2013 à août 2021], étiqueté comme « réformateur ». Un an après le début de la présidence de Raïssi, on constate que le « jeune gouvernement Hezbollahi » [donc engagé à respecter les valeurs du Hezbollah, soit du « parti de Dieu »] de Khamenei n’a atteint aucun de ses objectifs.
Deux grandes vagues de manifestations se sont produites en décembre 2017 et en novembre 2019. Des manifestations ont également eu lieu après que le Corps des gardiens de la révolution islamique (CGRI) a abattu au-dessus de Téhéran le vol 752 d’Ukraine International Airlines, suite à l’assassinat [le 3 janvier 2020] par l’armée des Etats-Unis du général Qassem Soleimani, le bras d’armé de Khamenei.
Tout cela permet de penser que la dynamique de protestation politique qui prévaut en Iran est en train de changer. Une dynamique croissante de radicalisation voit le jour parmi les manifestant·e·s, tandis que l’Etat est prêt à recourir à une violence extrême pour garder le contrôle de la situation.
Les manifestations généralisées de novembre 2019 peuvent être considérées comme le chapitre le plus sanglant de l’histoire récente de la République islamique d’Iran. Afin d’essayer de justifier la réaction violente sans précédent de l’Etat, le Guide suprême a fait des ajustements dans son discours. Ceux-ci peuvent être interprétés comme une répudiation de l’un des principes du khomeinisme (Etat islamique = gouvernance des Démunis sur la terre) en redéfinissant l’interprétation des Démunis (mostaz’afin) :
« L’idée des “Démunis” est mal interprétée, elle a été identifiée aux couches sociales inférieures et, ces dernières années, économiquement vulnérables. Non ! Le Coran ne les identifie pas comme les Démunis… les Démunis désignent les imams [chiites], les mentors et les dirigeants du genre humain ; ceux qui hériteront de la terre et de toutes ses ressources… le Démuni est celui qui est l’héritier temporel du monde et le successeur de Dieu sur la terre. »
On dirait que dans l’interprétation moderne et néo-libérale du concept de « Démunis », Khamenei a été un bon disciple du Fonds monétaire international (FMI). La redéfinition des « Démunis » ne concerne pas que le domaine économique mais il est également une légitimation de facto de massacres futurs, exécutés sous les ordres de Khamenei.
Impasse intérieure et encerclement extérieur
A partir de janvier 2020, la République islamique s’est trouvée confrontée à une crise à grande échelle résultant d’une impasse politique interne, d’un isolement international et de conditions économiques paralysantes. Le régime tient les puissances étrangères et ceux désignés comme leur cinquième colonne à l’intérieur de l’Iran pour responsables de cette situation, comme il l’avait fait au cours des 40 dernières années. La République islamique a des ennemis extérieurs, notamment l’Arabie saoudite, qui mènent une guerre d’usure par procuration avec l’Iran depuis le début de la guerre civile en Syrie en 2011. Outre l’Arabie saoudite et ses alliés régionaux, la République islamique considère Israël comme son ennemi juré, une « inimitié » qui s’est étendue au principal allié international d’Israël, les Etats-Unis d’Amérique.
La poursuite incessante par la République islamique d’une politique étrangère d’affrontement avec l’Occident a eu des conséquences néfastes pour l’économie iranienne : les restrictions économiques internationales ont aujourd’hui reconfiguré l’économie iranienne. Au cours des dernières années, l’Iran a souffert de sanctions et de mesures punitives américaines diverses et croissantes. Celles-ci ont atteint un sommet lorsque la rhétorique agressive de Téhéran a uni l’Europe aux Etats-Unis contre le programme nucléaire iranien.
On ne peut nier que ces ennemis extérieurs ont joué un rôle considérable dans la situation précaire actuelle de l’Iran. C’est particulièrement le cas des Etats-Unis qui, sous la présidence de Donald Trump, ont annulé unilatéralement l’accord nucléaire de 2015 (Joint Comprehensive Plan of Action-JCPoA), difficilement conclu par l’Iran et les occidentaux. L’administration états-unienne a ensuite lancé la politique de « pression maximale » qui étrangle l’économie iranienne. Cependant, la plupart des maux de l’Iran sont le résultat direct des politiques économiques mises en œuvre : 1° le capitalisme sauvage, 2° une gestion de type mafieux.
En ce que concerne la deuxième pathologie de l’économie iranienne, elle résulte d’un éventail complexe de causes internes dont les principales sont les décisions inappropriées du pouvoir et les problèmes structurels de l’économie iranienne.
Du côté des causes externes figurent la politique de « pression maximale » de Trump et l’aggravation de l’état lamentable des relations de l’Iran avec ses voisins.
Au final, l’économie iranienne a connu de nombreuses périodes difficiles au cours des quatre dernières décennies, marquées par l’inflation, de fréquentes crises monétaires et des hausses soudaines des prix des biens essentiels et des carburants.
A cela s’ajoutent la corruption endémique et les cartels politico-économiques semi-étatiques à tête d’hydre, qui étendent encore cette corruption. En bref, l’économie iranienne a été étiquetée, à maintes reprises, comme une « économie malade ». La corruption, le clientélisme et le copinage sont devenus une caractéristique majeure de l’économie sous la présidence d’Hachemi Rafsandjani (1989-1997) et sont devenus la marque de fabrique de son administration. Certes, l’ère de Mohammad Khatami (1997-2005) a eu son lot de scandales et d’actes de corruption, mais leur ampleur était infiniment moindre que les innombrables fraudes ayant proliféré pendant la présidence de Mahmoud Ahmadinejad (2005-2013). Aujourd’hui, l’Iran est l’un des pays les plus corrompus au monde.
Les principaux bénéficiaires de cette situation sont les organisations quasi étatiques et les cartels, qui ont une longue histoire dans la République islamique, mais qui sont aujourd’hui éclipsés par le complexe militaro-industriel-financier du CGRI (Corps des Gardiens de la Révolution Islamique). Commençant ses opérations économiques sous la présidence de Rafsandjani, le pouvoir politico-économique du CGRI a atteint son apogée sous la présidence d’Ahmadinejad et est resté dominant jusqu’à ce jour. Outre ses activités dans la construction, l’industrie et la finance, le CGRI bénéficie de contrats publics lucratifs et d’une grande partie du budget du gouvernement. L’implication du CGRI dans la contrebande lucrative de marchandises à travers les nombreux ports et chantiers navals qu’il contrôle est un secret de Polichinelle.
La mauvaise gestion de l’économie est une autre caractéristique persistante de la République islamique d’Iran. Elle a commencé lors des grands bouleversements de la révolution de 1979. Elle a ensuite persisté (à des degrés divers) pendant la guerre Iran-Irak (1980-1988), puis sous les présidences de Rafsandjani et de Khatami. Mais de 2005 à 2013, le problème de la mauvaise gestion s’est transformé en anti-gestion. Le président Ahmadinejad méprisait les « élites technocratiques » et aimait à dire « débarrassez-vous de ces élites et tous les problèmes du régime seront résolus ». Ahmadinejad a maintenu cette position anti-élitiste jusqu’au bout et a presque réussi à démanteler les institutions technocratiques de la République islamique, expulsant peut-être des milliers de technocrates et de directeurs de niveau moyen et élevé. Cela continue à affecter l’économie iranienne à ce jour.
L’état désastreux de l’économie : ni réformable, ni soutenable
Depuis l’éclatement de la guerre civile syrienne en 2011, les extrémistes du régime n’ont cessé de mettre en garde contre le danger d’une « syrianisation » de l’Iran. Mais on peut affirmer que si c’était le cas, la responsabilité en incomberait aux dirigeants de la République islamique.
Aujourd’hui, la détermination de la République islamique à conserver le pouvoir est plus grande que jamais et elle poursuivra dans ce but ses politiques et tactiques actuelles. Sur le plan économique, le régime ne peut espérer introduire de nouvelles innovations. De 2010 à 2013, en réponse aux sanctions internationales, Khamenei avait lancé un discours « d’économie de résistance » pour renforcer les capacités nationales de l’Iran et permettre au pays de fonctionner sans dépendre des revenus pétroliers ou du commerce avec l’Occident. Ce discours est resté la politique économique officielle de la République islamique, mais le régime est loin d’atteindre un objectif aussi ambitieux. Entre 2010 et 2013, le régime a utilisé diverses tactiques pour lutter contre les sanctions et maintenir son commerce. Mais à la demande du FMI, il a également dû réduire ses dépenses en contractant les subventions publiques et en revenant sur des politiques telles que le soutien aux prix de bien élémentaires tels que le pain, le carburant et d’autres biens de consommation.
La politique de réduction et de suppression des subventions s’est poursuivie même après l’accord sur le nucléaire de 2015, et le régime n’a eu d’autre choix que de suivre cette ligne de conduite. Les conséquences de cette politique, attisant la colère des couches populaires et paupérisées, ont été pleinement visibles lors des manifestations de novembre 2019. Des nouvelles manifestations de ce type sont très courantes depuis.
Aujourd’hui, le système économique de la République islamique est un mélange de capitalisme sauvage du secteur privé et de capitalisme étatique de copinage hautement corrompu. La structure du régime et les cartels politico-économiques intensifient les défauts de l’économie défectueuse du pays et engendrent la corruption. Les problèmes économiques ont été une source constante d’inquiétude pour la République islamique. Les diverses allégations de mauvaise gestion, d’incompétence et de corruption ont été la marque de fabrique de toutes les factions du régime lors des diverses administrations. Leurs conséquences ont sur le long terme sapé la légitimité du régime dans son ensemble.
Face à la situation économique catastrophique, la montée des mobilisations populaires et la répression comme seule réponse du régime, les économistes iraniens tirent la sonnette d’alarme et mettent en garde contre le chaos.
Dans un défi audacieux au gouvernement autocratique iranien, plusieurs dizaines d’économistes du sérail ont publié, le 10 juin, une « lettre ouverte au peuple iranien », cinglante – longue de 10 pages et très détaillée –, avertissant que le pays avait atteint un « stade explosif » de troubles sociaux en raison de la mauvaise gestion économique et du mécontentement populaire. « Notre avertissement aux responsables gouvernementaux est que la situation du pays est extrêmement précaire », ont affirmé les 61 économistes et professeurs d’université. Ils poursuivent : « Insister pour éliminer les subventions pendant cette période de misère épuisera la patience de la population, et la retournera contre le système en place et le gouvernement. Cette confrontation peut être très coûteuse pour les deux côtés. »
La lettre a été publiée au milieu de protestations sporadiques contre la flambée des prix, les bas salaires, et les mauvaises conditions de travail au cours des six premiers mois de 2022. « Dans l’état actuel du pays, où les politiques économiques et sociales sont entourées de secret, toute critique au gouvernement est interprétée comme faisant partie d’un complot malveillant contre le régime et le gouvernement, ce qui rend difficile pour les experts ou les cercles universitaires de soulever ouvertement de telles questions », ont averti les économistes.
Les propres données du gouvernement reflètent « une histoire déchirante de désespoir » ainsi qu’une pauvreté croissante et un environnement défavorable à la fois pour la production et les affaires, ont-ils écrit. La lettre notait :
• L’Iran est classé 150e sur 180 pays dans une enquête de Transparency International sur les politiques de lutte contre la corruption ;
• L’Iran est classé 127e sur quelque 200 pays sur l’indice de bonne gouvernance ;
• L’indice de confiance sociale, une mesure relative au capital social, avait atteint près de 70% en 1981, deux ans après la révolution. Il avait chuté à environ 20% en 2022 ;
• Le revenu par habitant du pays a augmenté de moins de 1% entre la révolution de 1979 et 2022 ;
• La croissance moyenne du PIB de l’Iran de 1980 à 2018 n’était que de 1,6%, tandis que la Chine, l’Inde, la Turquie, la Malaisie, les Emirats arabes unis et le Pakistan ont enregistré une croissance moyenne comprise entre 4% et 10% sur la même période ;
• 40% des ménages iraniens vivaient en dessous du seuil de pauvreté en 2021 ;
• Avec un taux de croissance économique proche de zéro et une croissance démographique d’environ 13%, l’Iranien moyen s’est appauvri de 13% au cours de la dernière décennie ;
• L’économie iranienne au cours de la dernière décennie a connu la stagnation la plus profonde en 70 ans en raison de sanctions oppressives et sans précédent et de la pandémie de Covid-19 ;
• Le taux d’inflation moyen a été de 20% au cours des quatre dernières décennies ; il a dépassé 35% au cours des trois dernières années ;
• Les importations de l’Iran sont passées de 70 milliards de dollars en 2011 à environ 35 milliards de dollars en 2021, en raison des sanctions et de la réduction des revenus issus de l’exportation de pétrole ;
• Entre 2011 et 2018, 1% de la population iranienne, comprenant les couches les plus riches de la société, disposait en moyenne de 16,3% du revenu total du pays ; cette richesse équivaut à la part de 40% des couches les plus pauvres.
La lettre affirmait que la « corruption » et « l’incompétence » du gouvernement, ainsi que les politiques « dysfonctionnelles » avaient détruit la confiance de la population. Toute tentative de critiquer le gouvernement était officiellement considérée comme fomentant des complots « malveillants », ont-ils noté. Ils concluent : « Nos crises économiques et sociales, telles que la destruction et la détérioration de l’environnement, la corruption institutionnalisée, la démolition du capital social, la fuite massive des cerveaux, le déficit budgétaire, et même les sanctions, sont généralement dus à la faiblesse de la gouvernance de l’Etat et à l’ignorance des fondements scientifiques des politiques publiques. »
Lors de sa publication, cette lettre a été violemment critiquée dans les médias contrôlés par le régime, mais largement reprise sur les réseaux sociaux. Dans son discours prononcé une semaine après la publication de cette lettre, Khamenei a invoqué le sabre de Dieu.
Il est juste de dire que l’état de l’économie de la République islamique d’Iran n’a jamais été aussi désastreux qu’aujourd’hui.
Conclusion
La légitimité brisée de la République islamique ainsi que la guerre économique des Etats-Unis et l’isolement international de l’Iran ont placé le pouvoir dans la position la plus faible de son histoire. Mais cela ne signifie pas pour autant que le régime s’effondrera de sitôt.
Sur le plan intérieur, celui-ci reste tout-puissant. Il peut s’appuyer sur des capacités technologiques de surveillance modernes, un appareil de sécurité efficace et la loyauté idéologique du CGRI. En revanche, le niveau d’organisation de la société iranienne reste dramatiquement faible. Privé de leadership politique, elle est soumise à une répression constante. Traversé par des divisions culturelles, ethniques et politiques, le pays est actuellement incapable de donner le jour à des contre-pouvoirs.
Cependant, le conflit actuel entre l’Etat et la société est une guerre d’usure, dont l’issue est imprévisible. La République islamique a perdu le soutien d’une grande partie de sa base sociale traditionnelle dans l’Iran rural et parmi les couches sociales paupérisées. Il est raisonnable de supposer qu’un grand nombre de soldats de base du CGRI et de la milice paramilitaire Bassidjis [force créée par Khomeini en novembre 1979] viennent de petites villes et de zones rurales dont la population est massivement descendue dans la rue entre 2017 et 2019 et qui a été brutalement réprimée. La question de savoir si ces fantassins resteront ou non fidèles à leurs seigneurs est de l’ordre d’un débat. En particulier si la situation économique de l’Iran continue de se détériorer et que le régime rencontre des problèmes pour maintenir le bien-être et les privilèges de son appareil d’Etat, dont ceux de l’armée et des forces sécuritaires. Face à la politique de la terre brûlée du régime, la menace d’auto-implosion du régime et du pays est de l’ordre du possible.
Les mobilisations politiques se décentralisent et ne sont plus le monopole des grandes villes où l’Etat concentre les moyens d’y faire face. Contrairement aux trois dernières décennies, les classes moyennes ne sont plus au premier plan des protestations politiques en Iran. Les secteurs beaucoup plus pauvres de la société, qui ont été particulièrement touchés par la crise économique actuelle, sont désormais prêts à montrer leurs muscles dans l’arène politique. La réaction brutale de l’Etat lors des manifestations de 2019 montre que l’élite politique a profondément peur des manifestations qui, dans le climat politique iranien actuel, ne manqueront pas de se reproduire.
Dans un article analysant la protestation de masse de 2017, j’avais écrit [1] :
« …Le régime a prouvé qu’il n’a aucune difficulté pour imposer une répression encore plus sauvage. Le régime iranien n’est pas seulement un régime capitaliste, mais c’est aussi un régime idéologique, organisé de façon fasciste, et il combattra pour survivre. Il a des forces militaires puissantes, ainsi qu’une milice paramilitaire bien organisée ayant des intérêts financiers propres très importants.
Il est difficile de prévoir ce qui se produira. Cependant, on peut être sûr que rien ne sera plus comme avant. Il s’agit donc d’une très importante, délicate et longue confrontation. Il est essentiel que celles et ceux qui luttent en Iran obtiennent un large et efficace soutien des forces de gauche, ainsi que des progressistes. La lutte pour la démocratie et les libertés civiles doit être une des dimensions de nos combats communs. »
Depuis, les événements qui se sont déroulés en Iran confirment notre analyse, et donc nos tâches, sur le fond, restent identiques :
« …défendre les intérêts des travailleurs et travailleuses d’Iran, en maintenant une position ferme et constante, à la fois anti-impérialiste et d’opposition au régime, faire tout notre possible pour étendre et relayer une grande campagne de soutien aux luttes du peuple iranien… agir avec toutes les forces iraniennes et internationales qui partagent ces principes. Il n’est par contre pas possible de nous unir aux défenseurs de l’une ou de l’autre faction du régime, ni à ceux qui souhaitent la guerre ou des sanctions étrangères, dans l’espoir d’éviter ainsi un changement par le bas. Nous ne suspendrons pas nos critiques contre ceux qui tolèrent la guerre impérialiste ou les sanctions économiques, car ce sont des mesures qui nuisent en premier lieu aux travailleurs et travailleuses, aux masses populaires d’Iran. »
Houshang Sepehr