Pour les prédateurs de la forêt, les incendies ne sont pas une catastrophe. Les incendies de forêt au Portugal sont loin de constituer la catastrophe nationale que les télévisions nous vendent, ces chaînes où pontifient de grands inquisiteurs qui désignent immédiatement des coupables pour les brûler sur la place publique : les propriétaires qui ne nettoient pas leurs forêts, la canicule ou le réchauffement climatique.
Les incendies se propagent dans la forêt portugaise tout au long de l’année et sont devenus un spectre qui sape le pouvoir de négociation du propriétaire. Il y a quelques décennies, il était courant d’entendre les propriétaires forestiers dire : « Cette année, je ne coupe pas, je vais attendre que le prix du bois monte un peu. » Ces dernières années, on entend : « Je vais vendre avant qu’il n’y ait un incendie. » Le prix du bois sur le marché a été accepté avec humilité, contribuant à augmenter les profits des grandes industries de transformation, en particulier dans le cas de l’eucalyptus qui n’a qu’un seul acheteur, les entreprises de pâte à papier.
L’eucalyptus repousse, comme on l’observe facilement, et trois ou quatre ans plus tard, il est régénéré et prêt, pour l’industrie de la pâte à papier, ou pour brûler à nouveau. Le pin brûlé ne se régénère pas, mais est il également consommé par diverses industries de bois broyé, celles du bois de pin massif ayant dépéri depuis longtemps.
La lutte et la prévention des incendies sont des « industries » florissantes où la corruption est fréquente, comme l’ont démontré plusieurs plaintes (et encore elles ne montrent que le sommet de l’iceberg de la corruption liées aux incendies).
Avec les incendies, les perdants sont ceux qui meurent ou sont blessés dans l’enfer des flammes, des pompiers ou de simples citoyens. Sont perdants les petits propriétaires forestiers qui n’ont pas la capacité de négociation pour vendre le bois brûlé (il y en a de plus en plus qui ne savent même pas localiser leur terrain) ; sont perdants les agriculteurs, victimes collatérales qui voient des vergers, du bétail et des oliveraies consumées par les flammes venues des lieux plantés d’eucalyptus ou des forêts de pins voisines ; sont perdants ceux dont la maison a brûlé et qui n’ont jamais rien reçu des fonds promis pour la reconstruction du logement.
Clichés, dogmes et mythes sur les incendies de forêt au Portugal
« Les plantations d’eucalyptus destinées à la cellulose ne brûlent pas. » Cette assertion trompeuse est assénée à l’envi dans le but d’en faire un dogme. Mais aucun de ces prêcheurs n’a démontré, que ce soit sur la base du titre de propriété, celle de la responsabilité dans la gestion, ou même sur la base de quelques exemples concrets, ce qu’est une forêt d’eucalyptus destinée à la pâte à papier. Il n’existe aucune donnée officielle sur la zone d’eucalyptus qui appartiennent directement aux industriels de la pâte. Mais il existe des indicateurs empiriques très forts : les intermédiaires qui achètent le bois savent que la plupart des forêts d’eucalyptus appartiennent à de petits propriétaires, qui les louent, ou vendent de l’eucalyptus, à l’industrie de la cellulose. Ainsi, cette dernière se décharge de la responsabilité de son entretien, qui incombe aux petits propriétaires - une sorte d’« ubérisation » de l’affaire.
« Il y a de grands incendies sans eucalyptus » les personnes exaspérées par les preuves que les incendies au Portugal ont augmenté du fait de l’expansion de l’eucalyptus, à chaque fois qu’il y a un incendie dans lequel d’autres espèces ont eu le rôle principal (par exemple à Palmela en 2022)-, font entendre leur voix, se réjouissant, comme si elles avaient obtenu la preuve irréfutable qu’il y a des incendies sans eucalyptus.
Toutes les forêts peuvent brûler : même en Scandinavie où les étés sont frais et pluvieux, d’où tant de touristes s’échappent pour profiter de quelques jours de soleil en Méditerranée, il y a des feux de forêt. Mais ils sont rares et rarement catastrophiques. Nier que le problème au Portugal provient de l’expansion incontrôlée des espèces pyrophiles qui provoquent des incendies colossaux et qui ont la capacité d’envahir d’autres couverts, - qu’ils soient forestiers, agricoles ou urbains-, relève pour le moins de la malhonnêteté intellectuelle et technique.
« Les buissons sont coupables » En Méditerranée, les feux de buissons sont un phénomène de tous les temps. Utiliser les buissons pour blâmer les grands incendies est un autre canular pour manipuler les populations urbaines. Les arbustes brûlent avec une vitesse et une hauteur de flamme beaucoup plus faibles que les espèces pyrophiles, ne créent pas les vents intenses de convection des incendies de ces dernières et ne projettent pas d’étincelles à des centaines de mètres. Les incendies de buissons ne deviennent des feux incontrôlables que lorsqu’ils atteignent des parcelles forestières d’espèces pyrophiles, telles que l’eucalyptus et le pin. Mais pour augmenter la superficie d’eucalyptus, toute une rhétorique est utilisée : « Les propriétaires forestiers et les industries de la pâte à papier appellent à une augmentation de la superficie d’eucalyptus et d’autres espèces d’arbres à croissance rapide dans les zones de buissons abandonnées pour réduire le risque d’incendie et développer le secteur » (RTP N, 16 juillet 2022.)
« L’abandon comme cause » On entend souvent dire ceux qui ne connaissent rien au problème complexe des petites exploitations agricoles dans les biens en indivision et ni aux causes de l’abandon des forêts, que ce serait là un facteur essentiel dans les incendies et qu’il faudrait exproprier ces terres. Ils ne le disent pas pour contribuer à l’atténuation des incendies, mais uniquement comme prétexte pour attaquer la petite propriété. L’abandon contribue un peu aux incendies, mais ne peut en aucun cas en être considéré comme une cause majeure. Les plantations d’eucalyptus qui brûlent tant sont tout sauf des terres abandonnées.
Le problème des petites exploitations agricoles dans la propriété en indivision est vieux de plusieurs décennies et le Portugal n’a jamais connu un gouvernement qui ait le courage d’entamer la réforme de ce type de propriété, si dommageable pour l’économie rurale du pays et qui encourage l’abandon. C’est un long processus qui ne s’effectue pas par simple décret et qui implique diverses compétences techniques, tant agraires que juridiques.
Mais alors que faire ?
Un pays ayant un couvert forestier d’une superficie et d’une importance économique comme le Portugal devrait avoir une forêt gérée de manière centralisée, combinant une responsabilité élevée et un niveau technique capable de concevoir une planification forestière en vue des incendies et de la production en quantité et en qualité.
Les défuntes circonscriptions et administrations des services forestiers avaient des projets de planification forestière du territoire et avaient des techniciens issus d’un cours de foresterie où enseignaient de grands noms de la science forestière portugaise. Ces structures ont été remplacées par une myriade d’associations forestières auxquelles ont été attribuées des fonctions administratives et de fiscalisation, autrefois remplies par les gardes forestiers, notamment les procédures de défrichement et d’autorisation des changements d’espèces lors des reboisements.
La planification forestière du territoire est un travail d’un haut niveau technique et requiert une volonté politique. La structure forestière qui « gouverne » actuellement le pays nous donne la certitude que le Portugal sera toujours dévasté par d’énormes incendies, dès qu’il y aura des vagues de chaleur. Seule l’incompétence peut concevoir que les associations forestières puissent remplacer l’ancienne structure des services forestiers.
19 juillet 2022
Maria Carolina Varela, Ingénieure en sylviculture