Boris Johnson s’apprête à quitter le 10 Downing Street, poussé vers la sortie par les démissions en cascade de ses ministres, quelques semaines à peine après avoir survécu – de justesse – à un vote de défiance des députés conservateurs à la Chambre des communes. Il le fait avec une mauvaise grâce et une forme de déni de ses fautes, à l’image de trois années au pouvoir où il a menti et violé d’innombrables conventions constitutionnelles.
Les ministres de son gouvernement, et le Parti conservateur dans son ensemble, ont toléré ses frasques et ses accents populistes jusqu’à ce que les sondages et deux élections partielles perdues en juin montrent qu’il n’était déjà plus un atout, mais qu’il leur faisait au contraire courir un sérieux risque de défaite aux prochaines élections. Eux non plus ne sortent pas grandis de cette séquence.
Situation économique très dégradée
Le premier ministre britannique laisse, malgré le succès de la campagne vaccinale au Royaume-Uni et son action en Ukraine, un pays confronté à une situation économique très dégradée. L’inflation, à 9 %, est la plus élevée du G7, la croissance est quasi stoppée (+ 0,2 % au premier trimestre), et une crise est à venir pour les Britanniques les plus pauvres, confrontés à une hausse vertigineuse des prix de l’énergie, sans mécanisme d’aide pour l’instant. On peut y ajouter un système de santé à bout de forces, un Brexit non résolu, avec la crise autour du protocole sur l’Irlande du Nord, signé, puis remis en cause par Boris Johnson, et la menace qui pèse sur l’avenir du royaume en Ecosse, où le gouvernement nationaliste souhaite organiser un second référendum sur l’indépendance en 2023.
Le mérite de Boris Johnson, aux yeux de ses admirateurs, était d’avoir remporté plusieurs scrutins (mairie de Londres, référendum sur le Brexit, puis élections législatives de décembre 2019) grâce à son charisme et à des slogans creux comme « Take back control » (« Reprenons le contrôle ») ou « Get Brexit done » (« Réalisons le Brexit »). Il avait réussi à rassembler, autour de formules vagues, des électeurs conservateurs traditionnels, fidèles à la vision thatchérienne d’un Etat peu interventionniste et du libre-échange, et d’autres, socialement conservateurs mais favorables à la dépense publique pour rééquilibrer le développement économique entre le nord et le sud de l’Angleterre, notamment les députés élus en 2019 dans les anciens fiefs travaillistes du « mur rouge ».
Mais depuis plusieurs mois, les conservateurs néolibéraux s’inquiétaient des dépenses publiques induites par la crise sanitaire et des hausses d’impôts introduites par le chancelier de l’Echiquier, Rishi Sunak. La chute de Johnson s’explique aussi par cette opposition interne, décidée à réduire les impôts pour relancer la machine économique.
« Différentes factions sont en lice pour défendre qui la baisse des impôts, qui l’équilibre budgétaire, qui les “guerres culturelles” »
Avec le prochain départ de Boris Johnson apparaît donc au grand jour la réalité de la fragmentation du Parti conservateur, divisé sur l’économie, mais aussi sur la nécessité d’atteindre la neutralité carbone, à laquelle s’est engagé le gouvernement, et sur la « guerre culturelle » (comme le déboulonnage des statues et les droits des transgenres). L’inflation de candidats pour prendre sa succession illustre l’absence de leader naturel au sein du parti.
Alors que le Brexit n’est plus un sujet de débat en interne, différentes factions sont en lice pour défendre qui la baisse des impôts, qui l’équilibre budgétaire, qui les « guerres culturelles » plus ou moins importées des Etats-Unis. La frange centriste (et à l’origine anti-Brexit) du parti est représentée par Jeremy Hunt, ancien ministre de la santé et des affaires étrangères, et déjà candidat en 2019 contre Johnson, et par Tom Tugendhat, ancien officier, actuellement président de la commission des affaires étrangères de la Chambre des communes. Les bookmakers parient plutôt sur le succès de Rishi Sunak, de Liz Truss, ministre des affaires étrangères, ou de Penny Mordaunt, ministre du commerce extérieur.
Stratégie de tension avec l’Union européenne
La procédure prévue par le parti rend les pronostics difficiles. Ce sont les députés conservateurs qui, par des votes successifs, vont éliminer progressivement les candidats jusqu’à ce qu’il n’en reste plus que deux, départagés ensuite par un vote des militants, avec un résultat annoncé le 5 septembre.
Le nouveau leader deviendra premier ministre et conduira le gouvernement jusqu’aux prochaines élections, prévues au plus tard fin 2024, mais qu’il pourrait trouver opportun d’anticiper en demandant la dissolution de la Chambre. En effet, bien que le Parti travailliste soit actuellement en tête dans les sondages, son avance est limitée, n’ayant lui-même pas résolu nombre de divisions internes.
En attendant, tout indique que le vainqueur du scrutin n’opérera aucun recentrage qui satisferait les élus et électeurs favorables aux investissements publics dans les zones déshéritées du Nord. Les prétendants se livrent plutôt à une surenchère sur la nécessité de réduire les impôts, malgré le contexte inflationniste et les besoins de financement de la protection sociale.
Il ne faut pas s’attendre à un changement d’orientation sur le Brexit, aucun candidat n’affirmant vouloir suspendre l’examen du projet de loi prévoyant de dénoncer le protocole nord-irlandais. Si l’on peut s’attendre à une certaine continuité dans l’attitude de soutien à l’Ukraine face à la Russie, un rapprochement avec la politique de sécurité européenne n’est pas non plus à l’ordre du jour. On ne peut préjuger de ce que fera la personne finalement élue, mais il semble malheureusement toujours impossible d’être élu leader du Parti conservateur sans se prétendre favorable à une stratégie de tension avec l’Union européenne, cible facile pour tous ceux qui ne veulent pas regarder en face les maux dont souffre le Royaume-Uni.
Thibaud Harrois
Universitaire
Pauline Schnapper
Universitaire