Après les réseaux sociaux, la presse, la cellule de lutte contre les violences sexuelles de La France insoumise (LFI), c’est désormais la justice qui est saisie d’une accusation contre le député Éric Coquerel. Le parquet de Paris a indiqué mercredi 13 juillet avoir ouvert, la veille, une enquête préliminaire pour harcèlement et agression sexuels visant le président de la commission des finances de l’Assemblée nationale.
Les investigations ont été confiées à la Brigade de répression de la délinquance contre la personne (BRDP), indique-t-on au parquet de Paris, confirmant une information de l’AFP. Elles font suite à la plainte déposée lundi 4 juillet par une ancienne sympathisante de gauche, l’ex-figure des « gilets jaunes » Sophie Tissier.
« Il s’agit là de la suite logique de la procédure pénale », a réagi l’avocate d’Éric Coquerel, Olivia Ronen, contactée par Mediapart. Elle précise que son client « se tient à disposition des enquêteurs et saisira si nécessaire l’opportunité d’être enfin confronté à une accusation précise pour pouvoir contester les faits qui lui sont reprochés ».
Avant de déposer plainte, Sophie Tissier avait raconté à Mediapart que les faits (qui pourraient être prescrits aux yeux de la justice) auraient eu lieu en 2014, lors d’une soirée organisée à l’issue d’une journée de conférences politiques organisées par le Parti de gauche (PG) auxquelles elle était invitée à Grenoble, en tant qu’intermittente du spectacle en lutte.
Éric Coquerel, qui était alors un des responsables du PG, aurait eu « la main baladeuse toute la soirée » : « Il n’arrêtait pas de me faire danser, il me prenait par la taille », relate-t-elle, alors qu’elle aurait plusieurs fois signifié que c’était « un peu trop au corps ».Elle évoque aussi « plusieurs SMS pour [rentrer] ensemble »,mais qu’elle n’a plus en sa possession.
« J’étais jeune militante, je me suis dit que ça ne donnait pas envie », nous avait-elle également expliqué. Pour Sophie Tissier, son expérience « dénote la culture sexiste, machiste de ce parti, comme partout ». Mais, précisait-elle alors, « ce n’était pas une agression ». À l’époque, disait-elle encore, elle n’avait pas souhaité saisir la cellule de La France insoumise (LFI), car, juge-t-elle, « ce n’était pas suffisamment grave ».
Sophie Tissier a ensuite changé de version, dans la presse, puis dans la plainte qu’elle a déposée. « J’avais oublié et minimisé moi-même pour pouvoir “tourner la page” », a-t-elle justifié sur Twitter, alors que la personnalité de la plaignante fait débat. Connue lors du mouvement Nuit debout, en pointe dans la lutte des intermittent·es du spectacle, elle s’est ensuite investie dans le mouvement des gilets jaunes, puis de la lutte contre les mesures sanitaires – au point de tenir des propos complotistes.
Au sujet d’Éric Coquerel, elle avait auparavant, et de manière anonyme, tenu un propos similaire dans le magazine Causette en 2018. Plusieurs personnes – autrefois proches du PG et qui se sont éloignées depuis – ont aussi appuyé son récit (ici ou là).
Éric Coquerel lui-même a confirmé une partie du récit de Sophie Tissier – il admet un « flirt » – mais dément toute violence. « Cela parle d’une soirée en boîte que j’ai effectivement passée,avait-il indiqué à Mediapart début juillet. Sauf qu’il y a des éléments dans cette description que je ne reconnais pas, et qui font passer une soirée en boîte, avec des flirts, pour quelque chose qui serait à la limite du harcèlement ou en tout cas à la limite d’une drague lourde. Ça, je ne le reconnais pas. »
À ce stade, le président de la commission des finances – un des postes les plus prestigieux de l’Assemblée – n’est visé par aucune autre accusation. Plusieurs militantes féministes l’ont accusé ces dernières semaines d’avoir eu des comportements inappropriés, lors de soirées, avec des femmes. Mais il s’agissait de propos présentés comme rapportés, et non de sources directes. Cette mise en cause a suscité un débat – à gauche, et parmi les organisations féministes.
Ils ont aussi mis au jour les insuffisances des procédures internes de veille et d’enquête des partis politiques face aux violences sexistes et sexuelles. La France insoumise a reconnu ces dernières semaines avoir « professionnalisé » son organisation au fil des années, et grâce au mouvement #MeToo. Aucune procédure n’avait été ouverte à l’époque de l’article de Causette. Mais, selon les informations de Mediapart, Coquerel avait été informellement rappelé à l’ordre.
Interrogé à ce sujet, Éric Coquerel confirme l’épisode : « Un jour, quelqu’un m’a dit : “Attention, dans ton rapport relationnel réciproque, même s’il n’y a rien de répréhensible, tu n’as plus 40 ans, tu n’es plus militant de base, tu es un responsable et tu as 50 ans, tu dois faire attention à ça.” Ça a fait tilt dans ma tête. Et le mouvement #MeToo nous a tous poussés à réfléchir à la domination inconsciente qu’on pouvait exercer simplement parce qu’on est un homme de pouvoir. J’admets que cela existe, j’admets avoir évolué, j’admets avoir triplé d’attention. »
Selon le député, il y a deux niveaux de faits qui doivent être pris en charge : « l’exercice conscient d’une violence physique ou psychique », qui doit être dénoncé, y compris publiquement et dans des enquêtes de presse ; et « ce qui relève de la prévention, ou de l’avertissement, sur les rapports patriarcaux ou de domination inconsciente », qui doit être pris en charge « collectivement » – Éric Coquerel s’estimant appartenir à la seconde catégorie. C’est ce que l’enquête préliminaire ouverte viendra confirmer ou infirmer.
L’ancien candidat à la présidentielle Jean-Luc Mélenchon n’a pas attendu pour évoquer une « diversion » de la part du parquet de Paris – qu’il a plusieurs fois critiqué. « Mesquine réplique contre Éric Coquerel destinée à le salir sans cause. Complète solidarité avec lui », a également tweeté le chef de file insoumis.
Lénaïg Bredoux