Préambule : que les victimes aient porté plainte ou non, parlé publiquement ou non, signalé en interne d’une structure ou non, on peut se dire qu’on n’est pas OBLIGÉ, lorsqu’on est Président ou chef d’un groupe parlementaire, de nommer à des postes à responsabilités des personnes dont on sait que le comportement n’est pas irréprochable.
Quand 3, 4, 10 personnes vous disent que tel homme politique a un comportement problématique, vous pouvez vous dire que peut-être, ce n’est pas la bonne personne à qui donner encore plus de pouvoir et de responsabilités ? Peut-être hein, je pose la question.
A celles et ceux qui rétorquent : « Ce qui compte, c’est la justice, c’est elle qui doit trancher », je réponds que non, la justice pénale n’est pas la seule chose qui compte. Il y a plein d’autres choses qui comptent quand on recrute quelqu’un ou le présente à une élection.
Pensez à PPDA. Il n’a pas été condamné par la justice. Est-ce que vous pensez que c’est quelqu’un de bienveillant et respectueux ? Non. Vous ne le prendriez pas dans votre gouvernement ou dans votre entreprise. Et vous auriez raison.
Il n’y a pas que des raisons judiciaires pour choisir tel ou tel pour exercer des responsabilités. Il y a aussi des raisons éthiques. Qui manifestement n’empêchent pas Emmanuel Macron de dormir.
L’article « Affaire Damien Abad : la méprise d’Emmanuel Macron », de Lenaïg Bredoux en parle très bien.
Fin du préambule.
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Revenons sur la difficulté de traiter des violences lorsque vous avez des informations et que les victimes ne veulent ou ne peuvent pas témoigner.
Lorsqu’on travaille ou s’engage sur la question des violences sexuelles, on apprend très vite un élément clé de la posture de la personne qui accueille la parole : le non-jugement. Il est indispensable pour pouvoir accompagner des victimes.
Une personne victime de violences psychologiques, physiques ou sexuelles a le droit de ne pas avoir envie de témoigner ou de porter plainte. Elle a le droit (et souvent rationnellement raison) d’avoir peur, d’avoir envie qu’on lui foute la paix.
Il peut y avoir plein de raisons.
Parfois les victimes ont parlé et rien n’a bougé. Elles ont perdu toute confiance dans l’institution qui aurait du les protéger.
Parfois, les victimes subissent des pressions de la part de leur entourage ou de celui de la personne mise en cause. « Tu peux pas faire ça à la boîte », « Tu peux pas faire ça à la famille », « Tu peux pas faire ça au parti ».
Et puis porter plainte et s’engager dans une procédure judiciaire est souvent violent. Vraiment violent. Le côté « réparateur » d’une plainte et d’un procès n’est pas du tout évident. Si vous portez plainte pour harcèlement sexuel, dans 94% des cas, la plainte sera classée. Pour viol, c’est dans 70% des cas. Avec au milieu un risque non négligeable d’être victime de violences institutionnelles. Je comprends qu’on se demande si ça en vaut la peine.
Enfin, si l’affaire sort dans un média, cela expose en général les victimes à de nouvelles violences sur les réseaux sociaux.
Il y a donc plein d’éléments qui peuvent expliquer qu’une personne victime ne veuille pas témoigner ou porter plainte. Je comprends qu’on hésite parce que RATIONNELLEMENT, c’est vraiment difficile ce qui suit derrière.
Quand vous avez une information et que les victimes refusent de témoigner ou de porter plainte, est-ce que vous devez le faire à leur place ? Sauf dans quelques cas précis définis dans le code pénal (voir plus bas), je ne pense pas. C’est à la fois dangereux pour les victimes et totalement inefficace.
C’est à la fois dangereux pour les victimes et totalement inefficace.
Un jour, j’ai fait cette erreur, j’ai parlé à la place des victimes. C’était il y a quelques années, j’ai parlé de Nicolas Hulot, dans une matinale radio, alors que les victimes n’avaient pas témoigné publiquement. Je l’ai regretté. Ce n’était pas respectueux du consentement des victimes. On n’accompagne pas une victime de violence en parlant à sa place, en lui retirant son autonomie de décision.
Dans la foulée, j’ai eu droit à plein d’articles pour critiquer ma prise de parole (me défoncer en fait). Le plus violent a été une chronique sur France Inter, super humiliante. Je pense que le monsieur qui l’a écrite à l’époque ne s’en rend pas compte et n’en n’a rien à cirer mais quand il humilie une féministe qui essaye d’alerter sur des violences (on parle d’agression sexuelle sur mineure), il maintient la chape de plomb. Et le silence.
Bon, donc ça veut dire qu’on peut rien faire ? Non. On peut faire plein de choses lorsque les victimes ne veulent pas témoigner ou porter plainte.
D’abord, il y a des cas où vous n’avez pas le choix. La loi vous impose de saisir le procureur avec ou sans le consentement de la victime.
Je pense qu’il faut toujours la prévenir et si possible le faire avec son accord.
C’est le cas si vous avez connaissance d’un crime dont il est encore possible de limiter les effets, ou dont les auteurs sont susceptibles de commettre de nouveaux crimes qui pourraient être empêchés (
C’est aussi le cas de connaissance de violences sur mineur·es (article 434-3 du Code pénal)
Il y a ensuite des cas particuliers. Si vous êtes fonctionnaire ou élu·e et que vous avez connaissance d’un délit (harcèlement, agression) ou d’un crime (viol, inceste, meurtre), dans l’exercice de vos fonctions, vous devez saisir le procureur. C’est l’article 40 du Code du procédure pénale.
Dans le cadre du travail, si vous êtes manager ou que vous travaillez pour un service RH, vous devez signaler les faits de violences dont vous auriez connaissance à la direction de la structure pour qu’elle puisse réagir. Sinon, vous pouvez être mis en cause (Cour de cassation, chambre sociale, 8 mars 2017, n° 15–24.406)
Ces articles de loi ne couvrent donc pas l’ensemble des faits de violences, loin de là. Si on vous écrit dans un cadre privé par exemple pour vous dire que tel journaliste, tel député, tel ministre, tel candidat aux législatives ou tel patron aurait commis du harcèlement sexuel, qu’est-ce que vous pouvez faire ?
Vous pouvez soutenir les victimes ou leurs proches. Dites leur qu’elles ont bien fait de vous parler, qu’elles ne sont pas seules. Orientez-les vers des services dédiés (3919, 0800059595 par exemple) et assurez-vous qu’elles sont en sécurité.
Donnez-leur toutes les options possibles.
1. Porter plainte (cf plus haut sur l’efficacité d’une telle démarche)
2. Signaler les faits à la direction de la structure pour qu’une enquête disciplinaire ou interne soit menée.
3. Lorsque la direction de leur structure bloque toute possibilité d’agir ou que la police a refusé de prendre la plainte, il est également possible pour les victimes d’écrire à un média pour que les journalistes enquêtent.
Il m’arrive par exemple de signaler les faits à la direction d’un parti politique en disant « j’ai reçu 3 témoignages pour des faits pouvant s’apparenter à du harcèlement sexuel de la part de tel élu. Il faudrait lancer une enquête disciplinaire. Les victimes sont d’accord pour être entendues ».
Il m’arrive aussi de signaler les faits à la direction d’une entreprise ou d’une association en protégeant l’identité des personnes ayant signalé. Il arrive souvent que je ne sois pas la première à alerter et que ce nouveau témoignage accélère une action disciplinaire de la part de la structure.
Parfois, même en rassurant, en accompagnant, les victimes ne souhaitent ni porter plainte, ni signaler les faits, ni témoigner publiquement. Dans ce cas, je pense qu’il faut respecter leur choix. Les assurer de votre soutien. Les rassurer. Leur garantir l’anonymat si elles changent d’avis. Et rester à disposition.
Cela implique que des personnes ayant commis du harcèlement sexuel ne soient pas soumises à une enquête ou à une procédure pénale. Je le sais. C’est injuste. Pour celles qui savent, qui ont les infos, c’est douloureux de voir la personne dans les médias, de savoir qu’il y a un problème et d’avoir l’impression de ne rien pouvoir faire. Je le sais. Ce n’est pas ma responsabilité si les institutions n’ont pas créé des cadres suffisamment sécurisés pour entendre, recueillir la parole et traiter les violences.
Le respect du rythme et du souhait des victimes n’est pas négociable.
Cela n’empêche pas d’agir. On peut continuer à accompagner les victimes. L’échange avec elles permet parfois de rassurer. De leur montrer qu’elles ne seront pas seules. Qu’on peut signaler en les protégeant. Qu’on peut instaurer un rapport de force avec le parti, l’entreprise ou l’institution pour qu’elles soient entendues. Qu’il y a des possibilités de faire bouger les choses.
Ma conviction, c’est que plus les personnes victimes auront des cadres bienveillants et de confiance pour s’exprimer, être entendues dans un cadre respectueux du droit et des individu·es, plus on pourra traiter les faits de violences et les faire cesser.
C’est la responsabilité des institutions, des partis, des entreprises de créer ce cadre. Pas la nôtre ou celle des victimes.
Caroline De Haas