À l’approche de l’échéance, les attentes se faisaient diverses. Certain·es plaidaient pour une « politisation » du gouvernement, à rebours de la tonalité technocratique qui prévalait jusque-là, d’autres pour une clarification de la ligne, d’autres pour un élargissement de l’assise politique. Preuve qu’Emmanuel Macron sait encore fédérer, chacun de ces espoirs se voit douché par le casting gouvernemental annoncé lundi 4 juillet, en fin de matinée.
Le gouvernement « Borne II », dévoilé par un simple communiqué de l’Élysée après quinze jours d’attente, reconduit vingt-trois membres de l’équipe précédente. À commencer par la première ministre, pourtant considérablement affaiblie par la déroute des législatives. Au-delà du casting, le président de la République s’en tient au même dispositif que celui qui l’a mené à cette défaite électorale historique. Et ce, deux semaines après s’être dit « décidé à prendre en charge la volonté de changement que le pays a clairement exprimé » les 12 et 19 juin.
Dans le détail, les figures ministérielles de premier plan sont maintenues : Bruno Le Maire à l’économie et aux finances, Éric Dupond-Moretti à la justice, Sébastien Lecornu aux armées, Olivier Dussopt au travail, Pap Ndiaye à l’éducation nationale.
Numéro trois du gouvernement, Gérald Darmanin voit quant à lui son portefeuille élargi aux outre-mer, un mois après l’organisation chaotique de la finale de la Ligue des champions. Catherine Colonna, la ministre de l’Europe et des affaires étrangères, est confirmée malgré les accusations de harcèlement moral dont elle fait l’objet.
La liste des 41 ministres, ministres délégué·es et secrétaires d’État est bavarde quant à l’impéritie d’Emmanuel Macron. Bravache malgré l’échec aux législatives, le chef de l’État avait rappelé la « responsabilité » qu’avait sa majorité de « s’élargir » et rêvé à haute voix d’une « coalition » allant « des communistes aux LR ». Il avait lui-même reçu les responsables des formations politiques, avant de charger Élisabeth Borne, la semaine dernière, de rencontrer les président·es des groupes parlementaires pour constituer un « gouvernement d’action ».
Après deux semaines de consultations savamment mises en scène par l’exécutif, les contours du dispositif gouvernemental n’ont pas évolué d’un iota, si bien qu’il n’est pas incongru de se demander à quoi ont servi ces réunions. À défaut d’accords de partis, le chef de l’État a tenté d’attirer des personnalités politiques à même d’incarner son obsession du « dépassement ». Le résultat est sans appel : aucun des dix-neuf nouveaux visages du gouvernement n’est le résultat d’un ralliement au camp présidentiel.
La prime aux fidèles, envers et contre tout
Au moment où celui-ci est privé de majorité absolue à l’Assemblée nationale, le statu quo macroniste interpelle. Est-ce un signe de déni, celui du résultat des urnes, de défi, celui d’un président de la République persuadé de maîtriser la situation, ou de dépit, face aux multiples refus qu’il aurait essuyés ? Toujours est-il que la nouvelle mouture gouvernementale ne change rien à l’impasse institutionnelle dans laquelle se trouve Emmanuel Macron. Pire, l’entrée au gouvernement d’onze député·es de la majorité prive Élisabeth Borne d’autant de voix pendant un mois (le temps que leurs suppléant·es soient investi·es), ce qui a probablement joué dans sa décision de ne pas engager sa responsabilité devant le Parlement.
Après avoir assuré « prendre acte » du résultat des législatives, le chef de l’État n’est pas allé jusqu’à en tirer des enseignements politiques. Autour de lui graviteront, une fois de plus, des fidèles parmi les fidèles.
Le député de La République en marche (LREM) Roland Lescure, qu’il avait tenté (sans succès) de pousser à la présidence de l’Assemblée nationale, hérite du portefeuille de l’industrie. Le ministre Franck Riester, lui, récupère le ministère des relations avec le Parlement, quelques mois après avoir empêché, à la demande de l’Élysée, la fusion de son parti, Agir, avec celui d’Édouard Philippe, Horizons. Les député·es LREM Carole Grandjean, Patricia Mirallès, Bérangère Couillard, Hervé Berville et Dominique Faure entrent au gouvernement.
Signe de l’indigence du vivier macroniste : trois anciennes ministres retrouvent des maroquins, un mois et demi après avoir été débarquées.
Marlène Schiappa, approchée ces dernières semaines par Cyril Hanouna pour devenir animatrice sur la chaîne C8, arrive sous tutelle de Matignon pour s’occuper de l’économie sociale et solidaire et de la vie associative. Sarah El Haïry retrouve son portefeuille à la jeunesse et au service national universel, sous la double tutelle de Sébastien Lecornu et Pap Ndiaye – un attelage si macroniste d’incohérence. Ancienne ministre déléguée à la mémoire et aux anciens combattants, Geneviève Darrieussecq sera désormais chargée des personnes handicapées.
Enfin, l’entrée au gouvernement de Caroline Cayeux et d’Olivier Klein était prévisible. La maire de Beauvais (Oise), ancienne membre du parti Les Républicains (LR), dirige depuis 2020 l’Agence nationale de cohésion des territoires (ANCT). Elle s’occupera désormais des collectivités territoriales. Quant au maire de Clichy-sous-Bois (Seine-Saint-Denis), issu du Parti socialiste, il préside depuis 2017 l’Agence nationale de rénovation urbaine (ANRU). Il est nommé ministre de la ville et du logement. Les deux ont soutenu activement le chef de l’État pendant la campagne présidentielle.
Même désavoué par les urnes, Emmanuel Macron entend rester seul maître à bord. Tout juste a-t-il concédé à faire un peu plus de place à ses alliés, Édouard Philippe et François Bayrou. L’ancien premier ministre peut se féliciter de la promotion de l’un de ses proches, Christophe Béchu, qui remplace à la transition écologique et à la cohésion des territoires Amélie de Montchalin, son ancienne ministre de tutelle battue aux législatives. La députée Horizons Agnès Firmin-Le Bodo, très proche d’Édouard Philippe, est quant à elle nommée ministre déléguée auprès du nouveau ministre de la santé, François Braun.
Quant à François Bayrou, ses appels répétés à une représentation plus grande du MoDem ont été entendus. Le haut-commissaire au plan, par ailleurs maire de Pau (Pyrénées-Atlantiques), voit le contingent gouvernemental de son parti passer de deux à quatre. En plus de Marc Fesneau, maintenu à l’agriculture, Geneviève Darrieussecq et Sarah El Haïry, le député Jean-Noël Barrot a été nommé ministre délégué à la transition numérique et aux télécommunications.
L’écologie et l’outre-mer relégués
Le tout donne une désagréable impression de déjà-vu. À défaut d’élargissement ou de coalition, l’exécutif aurait pu donner à voir ses priorités politiques à travers quelques nominations emblématiques. Là encore, l’objectif est manqué. L’engagement écologique, « politique des politiques » au moment de la campagne, sera notamment incarnée par Christophe Béchu et Bérangère Couillard, nouvelle secrétaire d’État à l’écologie. Le portefeuille du premier chute, dans l’ordre protocolaire, de la cinquième à la dixième position ; la seconde hérite d’une prestigieuse quarantième place… sur 41 membres. Les deux n’ont jamais brillé par leur engagement pour la préservation de la planète.
L’outre-mer, où Emmanuel Macron a été sévèrement sanctionné aux deux derniers scrutins, se voit relégué d’un ministère de plein exercice à un simple ministère délégué, sous la férule de Gérald Darmanin. C’est le haut fonctionnaire Jean-François Carenco, préfet de Saint-Pierre-et-Miquelon puis de Guadeloupe il y a vingt ans, qui en aura la responsabilité. Sonia Backès, figure (très) à droite du camp loyaliste en Nouvelle-Calédonie, est la nouvelle secrétaire d’État à la citoyenneté.
Sur d’autres sujets, le remaniement a viré à l’incompréhensible jeu de bonneteau. Olivia Grégoire, débarquée du porte-parolat pour rejoindre Bercy, est remplacée par Olivier Véran. Lequel se voit suppléer au ministère des relations avec le Parlement et de la vie démocratique par Franck Riester. Un choix censé séduire la droite « Macron-compatible » mais qui ne manque pas d’étonner : le président d’Agir, ministre depuis deux ans de l’attractivité et du commerce extérieur, ne jouit pas d’une excellente réputation chez LR, qu’il a quitté en 2017, ni chez Horizons, à qui il a tourné le dos en janvier dernier.
Battue aux élections législatives et sortie, comme Amélie de Montchalin et Justine Bénin, Brigitte Bourguignon est remplacée à la santé par le médecin urgentiste François Braun. Président du syndicat Samu-Urgences de France, il avait réalisé, à la demande d’Emmanuel Macron, une « mission flash » débouchant sur 41 propositions. Élisabeth Borne avait annoncé, vendredi 1er juillet, qu’elle retenait l’intégralité de ses propositions. Ce sera leur initiateur qui sera désormais chargé de les mettre en œuvre.
Comme souvent depuis 2017, plusieurs figures issues de la fameuse « société civile » vont assumer leur première fonction politique. En plus de François Braun et de Jean-François Carenco, déjà cités, le chef de l’État a convaincu le directeur général de la Croix-Rouge, Jean-Christophe Combe, de l’accompagner. Ancien collaborateur d’élus de droite, ce dernier sera chargé des solidarités, de l’autonomie et des personnes handicapées.
Un ministère que quitte Damien Abad. L’ancien président du groupe LR à l’Assemblée nationale était accusé de viol et de tentative de viol par quatre femmes, dont l’une a témoigné ce lundi sur BFMTV de faits présumés remontant à 2013. Une des trois femmes dont Mediapart a révélé le témoignage a porté plainte le 27 juin dernier, amenant le parquet de Paris à ouvrir une enquête pour « tentative de viol ».
Il a dénoncé, avant de quitter son ministère, les « calomnies ignobles » qui auraient conduit à son limogeage. Dans son discours, l’élu de l’Ain a « chaleureusement » remercié Emmanuel Macron pour sa « confiance », indiquant avoir « échangé longuement avec lui » la veille. Pas un mot en revanche pour Élisabeth Borne, qui a bataillé en interne pour obtenir le départ de ce ministre devenu encombrant.
Sa collègue Chrysoula Zacharopoulou, elle aussi visée par une enquête du parquet de Paris à la suite de deux plaintes pour viol et/ou violences gynécologiques, est en revanche maintenue à son poste de secrétaire d’État chargée du développement, de la francophonie et des partenariats internationaux.
Une reconduction à laquelle il faut ajouter le renforcement cité plus haut du portefeuille de Gérald Darmanin, numéro 3 du gouvernement, visé par une plainte pour viol au sujet de laquelle le parquet a requis un non-lieu en début d’année.
Sous le mandat d’un président de la République qui a fixé l’égalité femmes-hommes comme « grande cause » de son second quinquennat, ce sont autant de signaux négatifs, éminemment politiques. Un dernier, pour la route : sur les seize ministres de plein exercice du gouvernement, seules cinq sont des femmes. Parmi les dix secrétaires d’État, soit le rang protocolaire le plus bas, elles sont neuf.
Ilyes Ramdani