Si l’on considère la Corrèze comme un baromètre de l’état de la social-démocratie à la française, le symbole est immense. La candidate socialiste dissidente, soutenue par l’ancien président François Hollande en son fief, a fini cinquième derrière le Rassemblement national (RN) et loin de la candidate choisie par la Nouvelle Union populaire écologique et sociale (Nupes) lors du premier tour des élections législatives. Et ce malgré la visite des bonnes fées Cazeneuve, Le Foll, Delga, figures majeures du socialisme de ces 20 dernières années.
La plupart des 70 candidatures PS dissidentes à la Nupes ont subi le même sort. Ne surnagent que le député sortant de Pyrénées-Atlantiques David Habid (sans candidat de la majorité contre lui), Laurent Panifous dans l’Ariège face au candidat de la Nupes Michel Larive*, ou encore Christophe Proença dans le Lot, au centre d’une triangulaire entre La France insoumise et la candidate d’Ensemble.
À Paris, Lamia El Aaraje, pourtant soutenue par François Hollande, Anne Hidalgo et le tutélaire ancien premier ministre Lionel Jospin, se hisse également au second tour… mais 30 points derrière Danielle Simonnet de la Nupes.
En Occitanie, c’est peu dire que les candidatures « dissidentes » n’ont pas toujours trouvé preneur. C’est le cas dans le département de l’Hérault par exemple, où aucun des candidats labellisés divers gauche ou Parti radical de gauche n’a réussi à passer la barre du second tour face à une Nupes conquérante qui s’est, elle, qualifiée partout.
Pari perdu, donc, pour le maire de Montpellier, Michaël Delafosse, proche de la présidente de région Carole Delga, et hostile, comme elle, à la Nupes. Sa candidate, Fatima Bellaredj, qu’il avait portée à bout de bras sur la 2e circonscription, s’est fait sèchement éliminer du second tour, la candidate de la Nupes, Nathalie Oziol, arrivant largement en tête face à la macroniste Annie Yague.
Même scénario dans la 1re circonscription mitoyenne, recouvrant elle aussi une partie de Montpellier, où le candidat d’union de la gauche est parvenu à challenger la députée LREM sortante, tandis que le candidat du PS dissident a difficilement atteint la barre des 8 %.
Plus à l’ouest, en Bretagne, où une partie des socialistes avaient déjà plié bagage en 2017 pour rejoindre les rangs de la Macronie, les dissidences n’ont pas fait mieux. Réza Salami, soutenu par le maire socialiste de Brest jusqu’à la dernière minute, a fini cinquième derrière La République en marche dans la deuxième circonscription du Finistère, très loin d’une place au second tour.
Par contraste, la Nupes a largement déstabilisé l’écosystème breton des anciens socialistes devenus macronistes en 2017. Comme Florian Bachelier, devancé de 13 points en Ille-et-Vilaine, ou Richard Ferrand, président de l’Assemblée nationale, fragilisé dans sa circonscription de Carhaix-Châteaulin, malgré son ancrage local.
Les conditions du choix sont donc devenues « très claires » pour ce second tour, estime au regard de ces résultats Pierre-Yves Cadalen, candidat à Brest et l’un des chefs de file de La France insoumise en Bretagne : « D’un côté la rupture avec la politique menée jusqu’ici, de l’autre la continuité du programme de droite d’Emmanuel Macron, les électeurs ne s’y trompent pas. » La gauche incarnée par la Nupes remportant, cette fois-ci, les fruits électoraux.
L’appel de Richard Ferrand, lancé quelques jours après la victoire d’Emmanuel Macron à la présidentielle, « contre les alliances avec les extrémismes » de gauche n’a donc guère été entendu par les électeurs et électrices bretonnes : « Aujourd’hui, je lance un appel aux femmes et aux hommes de gauche, sociaux-démocrates, socialistes, écologistes pour leur dire qu’ils ont toute leur place dans notre majorité pour apporter leur sensibilité, leurs propositions, leurs priorités, leurs préoccupations. »
Au point que des faits politiques mineurs deviennent même fort bavards. Ainsi, Loïg Chesnais-Girard, dauphin puis successeur de l’ancien ministre breton Jean-Yves Le Drian à la présidence de la région Bretagne, a préféré apporter dans l’entre-deux-tours son soutien à Mélanie Thomin de la Nupes face au président de l’Assemblée nationale, malgré ses réserves et critiques sur l’union autour de Mélenchon.
« La décision de candidatures alternatives lors de ces législatives répondait à deux objectifs, explique Bernard Combes, maire de Tulle, très proche de François Hollande. Répondre à la désinvolture avec laquelle La France insoumise a traité les départements de tradition socialiste, qui confinait quand même à l’humiliation. Mais aussi offrir un espace pour les électeurs sociaux-démocrates qui ne voulaient pas voter pour la Nupes et auraient pu se jeter dans les bras de Macron. » Avec seulement 11 divers gauche présents au second tour, le pari est plutôt raté. « Ces candidats n’ont pas su créer leur propre coalition, ni proposer un programme commun ou offrir la perspective d’un groupe à l’Assemblée. Du coup, cela n’a pas marché. »
Pas de ligne commune sur les reports de voix
Pour l’électorat orphelin de ces candidatures, la position assez erratique sur les consignes de vote n’aidera pas à savoir où la social-démocratie habite désormais. « Nous disons qu’il faut faire barrage à la droite, mais non, je ne peux pas appeler à voter pour la Nupes, c’est une question d’identité politique », assume le maire de Tulle, même lorsque les candidats Nupes affrontent la droite au second tour, comme en Corrèze. « On n’a pas fini de panser les plaies », constate, laconique, le référent de La France insoumise en Corrèze Jean-Marc Vareille.
Quant à François Hollande, il n’a pour le moment donné aucune consigne de vote, alors même qu’il avait appelé les Français et les Françaises à voter pour Emmanuel Macron lors du second tour de la présidentielle. « Dire simplement pas une seule voix pour Marine Le Pen est insuffisant », arguait alors l’ancien président de la République.
Dans le Sud occitan, les socialistes « identitaires » locaux, désavoués dans les urnes, se retrouvent aujourd’hui bien embarrassés : faut-il soutenir les candidats de la Nupes, quitte à voir émerger une vraie concurrence de gauche dans leurs bastions ? Si Michaël Delafosse a, dès le soir du premier tour, invité « à voter au second tour pour les candidats de gauche et écologistes, et à voter pour les candidats du champ républicain face à l’extrême droite », le maire de Montpellier fait, depuis, le service minimum.
Julia Mignacca, la candidate Nupes de la 3e circonscription, a bien tenté d’entrer en contact pour le second tour : pas de réponse du maire. Quant au sénateur de l’Hérault et membre du bureau national du PS, Hussein Bourgi, il s’est contenté d’appeler à voter pour les cinq candidats de la Nupes qui feront face, au second tour, à des candidats d’extrême droite. Mais il s’est bien gardé d’avoir un mot de soutien pour les quatre duels Nupes-Renaissance.
Dans le Finistère, la déception des soutiens de Réza Salami avalée, les consignes de report se sont faites par contre chaque jour plus précises. Le candidat lui-même a d’abord appelé à voter « pour les forces du progrès ». Le maire de Brest a renchéri, confiant qu’il distinguait bien « sa gauche de sa droite ». Puis, dans les journaux locaux, Patricia Adam, pendant 15 ans députée socialiste du Finistère, a appelé à voter pour l’Insoumis Cadalen.
Si les urnes ont parlé dimanche 12 juin, en défaveur des socialistes en rupture de ban avec la ligne unioniste de Faure, l’hypothèse d’un nouveau pôle, entre le PS allié à la Nupes et La République en marche de Macron, à l’issue de ces législatives se pose. Mais sans certitude ni sur l’espace ni sur l’identité politique (lire l’article de Romaric Godin et Fabien Escalona).
« François Hollande peut être taxé d’être un empêcheur de tourner en rond, mais c’est aussi un faiseur, pour que la social-démocratie soit présente partout où elle pouvait l’être. Ça n’a pas marché cette fois-ci, admet Bernard Combes. Soit les socialistes restent et se battent de l’intérieur, soit il faut créer une nouvelle offre politique, pour offrir une alternative en 2026. »
Jean-Marc Vareille, à LFI, croit au contraire que l’ancien président de la République a rétabli fermement le clivage. « Nous n’en serions pas là s’il n’avait pas mené une telle politique pendant les cinq ans de son quinquennat, et s’il n’avait pas promu son ministre de l’économie de l’époque, devenu président de la République. Aujourd’hui, il propose un espace politique qui n’existe plus, la social-démocratie s’est fait aspirer par Macron. En quelque sorte, on lui doit tout. »
Mathilde Goanec et Pauline Graulle