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- La création du Rassemblement
- Comment s’organisent les (…)
- La victoire électorale…
- … et la grève générale
- Après la fin de la grève (…)
- Les débuts de la résistance
- L’unité nationale dans le CNR
- La dynamique de l’insurrection
- Une ébauche de pouvoir populai
- « Une seule armée, une seule
- Conclusion
Des différences avec la situation actuelle
Dans la période 1900-1930, la France opère un décollage économique brutal, avec une progression de la production industrielle la plus élevée de tous les pays industrialisés (la production automobile est multipliée par cinq, sidérurgique par trois…), un gonflement rapide de la classe ouvrière industrielle (de 3,4 millions en 1906 à 6,2 en 1934), particulièrement dans les grosses usines : plus de 40 % des nouveaux et nouvelles salariéEs sont recrutés dans des établissements de plus de 500 personnes. La paysannerie, encore un tiers de la population active, a entamé son déclin rapide, la France devient majoritairement urbaine.
Au début des années 1930, la SFIO, le PS de l’époque, a plus de 120 000 militantEs, recueille plus de 20 % des voix en 1932. Elle a refusé de participer aux gouvernements des gauches, qu’elle a soutenus depuis la Première Guerre mondiale, dirigés par les radicaux, parti bourgeois républicain soutenu par la petite bourgeoisie encore massive à cette époque, avec plus d’audience mais moins de militantEs. Le PCF, qui sort de sa période ultra gauche, a moins de 30 000 militantEs (il en avait 135 000 en 1920) et recueille autour de 10 % aux élections, avec de meilleurs résultats dans les communes ouvrières, car il est en progression dans la jeune classe ouvrière des villes. À une époque où il est habituel que les syndicats soient dirigés par les partis, le PCF dirige la CGTU, plus de 200 000 membres, et la SFIO la CGT, deux fois plus importante.
La réaction populaire et unitaire contre le danger fasciste
L’élection du Front populaire en 1936 est la traduction sur le plan électoral d’une mobilisation unitaire de deux années, après la division entre socialistes et communistes, CGT et CGTU, à partir de 1921.
Au début des années 1930, le fascisme est installé en Italie, Hitler accède au pouvoir, des dictatures militaires sont en place au Portugal, en Bulgarie. En Espagne, c’est la répression des années noires. En France, l’extrême droite est forte de centaines de milliers de militants dont une partie est militarisée. Deux organisations dominent parmi les ligues nationalistes et groupuscules fascisants : l’Action française, forte de 50 000 à 70 000 militants, et les Croix de Feu – autour de 100 000 en 1934 [1]. Elles n’ont pas de présence électorale mais organisent des parades, voire des manifestations violentes [2]. L’objectif de celle du 6 février 1934 est de s’emparer de l’Assemblée nationale pour contraindre à la démission le gouvernement du radical Daladier. La nuit d’émeute, la plus violente depuis la Commune, fait 14 morts, pour la gauche c’est une tentative de coup d’État fasciste.
La première réaction vient de la CGTU et du PCF, de violents combats avec la police font 6 morts. La CGT, rejointe par la CGTU, appelle à la grève générale pour le 12 février et à une grande manifestation, à laquelle le PS et le PC se rallient. Quatre millions de grévistes, 100 000 manifestantEs à Paris, dans l’enthousiasme les cortèges fusionnent aux cris d’unité, unité ! À partir de ce jour les comités antifascistes se créent.
Staline, qui cherche des alliés face à Hitler [3], fait à ce moment un tournant vers les bourgeoisies démocratiques, qui conduit le PC à signer un programme d’action commun avec le PS qui prévoit meetings et manifestations communs. Le PC lance en outre l’idée d’un « Front populaire pour le pain, la paix et la liberté » avec un appel plus à droite vers « les groupements radicaux hostiles à la réaction », et défend la création de comités dans les moindres entreprises et villages.
La création du Rassemblement populaire
L’unité se réalise dans un comité pour organiser la manifestation populaire du 14 juillet 1935. Il regroupe une centaine d’organisations, politiques, syndicales, associatives, on y trouve aussi bien le Comité national du centenaire de Victor Hugo, l’Union naturiste de France, l’Étoile nord-africaine… que les Jeunesses socialistes chrétiennes, la LDH, des associations laïques ou diverses franc-maçonneries. La manifestation est énorme, peut-être 500 000 manifestantEs, qui prêtent le serment solennel « de rester unis pour défendre les libertés démocratiques conquises par le peuple de France, pour donner du pain aux travailleurs, du travail à la jeunesse et au monde la grande paix humaine ».
Un secrétariat composé de 10 organisations (PCF, SFIO, Intergroupe socialiste, Parti radical, CGT, CGTU, LDH, Mouvement Amsterdam Pleyel, Comité de vigilance des intellectuels antifascistes, et Action combattante) élabore le programme du Rassemblement populaire, avec un accord électoral de désistement au second tour. Ce programme pour « le pain, la paix, la liberté » diffère peu de celui du Parti radical. Contre la crise, il exprime le refus de la guerre et la volonté de barrer la route au fascisme français, avec peu de mesures concrètes : la nationalisation des usines d’armement, la création d’un office national des céréales… rien sur les 40 heures, la défense de l’école laïque, les nationalisations prévues dans le pacte PS-PC. Lors de la négociation, le PC, tout à sa volonté d’attirer les classes moyennes, a soutenu les exigences des radicaux. Les participantEs aux mobilisations sont beaucoup plus à gauche que ce programme. L’unité s’est d’abord construite dans les manifestations de masse, l’accord électoral n’est venu qu’après.
Crédit Photo : Le mouvement de grève avec occupation des usines par les ouvriers devient générale. Les grévistes de l’usine Olida recoivent des vivres. Collection RaDAR
Comment s’organisent les travailleur·e·s
La réunification syndicale CGT-CGTU est parachevée en mars 1936, intégrant des organisations restées autonomes, après avoir été précédée d’unifications locales ou sectorielles. Fusionnée, la CGT regroupe 800 000 adhérentEs, elle est rejointe par 250 000 travailleurEs dans les mois qui suivent.
Des comités unitaires existent dans de nombreux endroits. Mais, malgré les déclarations du PC sur la mise en place de comités du Front populaire, il n’y a pas systématisation de comités de base, avec une vie régulière, débattant à tous les niveaux, désignant des représentants, ce que proposait Trotsky [4] : « Le Front populaire, sous sa forme actuelle, n’est rien d’autre que l’organisation de la collaboration de classes entre les exploiteurs politiques du prolétariat réformistes et staliniens et la petite bourgeoisie radicaux. De véritables élections de masse pour les comités d’action chasseraient automatiquement les affairistes bourgeois radicaux du Front populaire et feraient ainsi sauter la criminelle politique dictée par Moscou. »
Après la grève générale, la CGT passe à quatre millions d’adhérentEs, près d’unE salariéE sur trois, le PCF et la SFIO atteignent 300 000 militantEs (multiplié par 10 pour le premier, par deux pour le second).
Les manifestations de rue sont la forme privilégiée du mouvement de masse, et durent jusqu’en 1938. À Paris, il y en a une par semaine entre juin 1936 et novembre 1938, pour moitié syndicales. Les manifestations commémoratives sont parfois considérables : en 1936, selon les organisateurs, 600 000 au Mur des fédérés en mai, un million au 14 juillet, et un million lors des obsèques des victimes de Clichy tués par la police le 16 mars 1937 lors d’une manifestation contre un meeting du Parti social français (ex-Croix de feu).
La victoire électorale…
Ce processus unitaire a modifié en profondeur l’atmosphère politique du pays, car le Front populaire, au-delà du programme, est une immense espérance. Des grèves éclatent à partir de 1935, parfois longues, il y a des émeutes à Brest, Toulon et Marseille. Les élections se préparent dans une grande tension politique. Le PS a un discours assez gauche, parlant de nationalisations, alors que le PC travaille à une « réconciliation du peuple de France ». La victoire électorale n’est pas un raz-de-marée (la gauche ne gagne que 300 000 voix par rapport aux élections de 1932), mais une nette victoire en sièges due au désistement. Au sein de la gauche, c’est un bouleversement majeur. Les radicaux qui étaient au centre le la vie politique perdent un quart de leurs électeurs, les socialistes sont en tête en maintenant leurs voix (1,9 million) et les communistes doublent les leurs (1,4 million). Les partis ouvriers obtiennent pour la première fois la majorité des votes salariés.
… et la grève générale
Alors que le gouvernement Blum prépare son installation, les travailleurEs, encouragés par l’unité qu’ils ont imposée et leur succès électoral, demandent des comptes. Un mélange de soutien, de crainte de déception, parce qu’on pense qu’ils auront du mal, là-haut, à réaliser les promesses. En mai et juin 1936 déferle une vague de grèves dans la quasi totalité des secteurs, agricole, industriel et commercial du privé, parfois très longues, avec 3,5 millions de grévistes. Presque partout les usines sont occupées, faisant craindre une remise en cause de la propriété capitaliste, sous la responsabilité de comités de grève qui organisent la sécurité, le ravitaillement, l’entretien. Les accords « Matignon » du 8 juin vont bien au-delà du programme électoral en instaurant les 40 heures, deux semaines de congés payés et l’élection de déléguéEs du personnel. Mais les grèves continuent, il faut l’intervention du PC pour terminer le mouvement car, pour lui : « Il n’est pas question de prendre le pouvoir actuellement ».
Après la fin de la grève générale, la situation se dégrade
Dans la foulée de la grève générale, d’autres mesures sont prises, comme la scolarité obligatoire à 14 ans ou la nationalisation des chemins de fer, mais les capitulations gouvernementales s’accumulent, absence de soutien à l’Espagne républicaine ou aux colonies, de résistance à la contre-attaque patronale et institutionnelle. Les gouvernements se succèdent, de plus en plus dominés par les radicaux, qui finissent par diriger avec la droite. Les grèves de 1938 échouent. À la signature du pacte germano-soviétique, le 23 août 1939, le PCF est dissous, comme 620 syndicats et 675 associations où siégeaient des communistes, 2 778 élus sont déchus de leur mandat, 3 400 arrestations effectuées et 3 000 sanctions prises contre des fonctionnaires.
Les débuts de la résistance
Le déclenchement de la guerre met un éteignoir sur l’activité politique et sociale, alors que l’Assemblée élue en 1936 vote les pleins pouvoirs [5] à Pétain : en mai 1941, Vichy se vante d’avoir emprisonné 30 000 communistes. Il y a malgré tout des grèves, comme celle des mineurs en juin 1941.
L’implication militante dans la résistance condamne l’affairisme, la trahison des classes dirigeantes et identifie la grande bourgeoisie avec le régime de Vichy et les arrangements avec les nazis. La grande majorité des résistantEs est animée d’un anticapitalisme vague, veut briser le pouvoir de l’argent, des trusts, de l’oligarchie économique, changer le système politique pour changer la vie. L’entrée officielle du PCF dans la Résistance en 1942, après l’invasion de l’URSS, permet de renouer les liens, tout comme le refus du Service du travail obligatoire (STO). La CGT se réunifie en avril 1943.
L’unité nationale dans le CNR
De Gaulle cherchait depuis le début à créer une structure étatique officielle pour la Libération, il y en aura plusieurs avant la création du Conseil national de la Résistance en 1943, qui adopte son programme en mars 1944. Autour des représentants de De Gaulle, il regroupe huit mouvements de résistance, la CGT, la CFTC, le PCF, la SFIO, les radicaux, les démocrates chrétiens, un parti de droite modéré et laïc, un autre chrétien très conservateur.
Il prévoit l’organisation de la Résistance, la nomination du gouvernement autour de De Gaulle, les libertés démocratiques, une planification économique, la sécurité sociale. Il demande la formation partout de comités de villes et de villages, d’entreprises, coordonne ceux qui existent sous la direction des comités départementaux de la libération (CDL). Il définit les tâches de ces comités, contre l’armée occupante et les collaborateurs, notamment par l’organisation de milices patriotiques, mais aussi le combat pour la vie et la santé, « par des pétitions, des manifestations et des grèves, afin d’obtenir l’augmentation des salaires et traitements ».
La dynamique de l’insurrection à la Libération
L’unité nationale a pour objectif d’éviter la révolution à la fin de la guerre, car à ce moment tout le monde a en mémoire la vague révolutionnaire entre 1917 et 1923. La dynamique unitaire à la base va vite dépasser le cadre fixé.
L’essor des mouvements de résistance a pour effet une décomposition de l’État français vichyste. Au fur et à mesure que l’insurrection approche, on assiste à un véritable exode, de miliciens, de collaborateurs, de hauts fonctionnaires, profiteurs divers et patrons. Les démissions de maires se multiplient, une paralysie municipale s’installe. Les résistantEs investissent temporairement certaines localités. Dans certaines zones du sud, dans le Finistère, l’armée et l’État ne contrôlent plus tout le territoire. Dans le centre un double pouvoir s’installe dès le débarquement allié.
Pour la résistance gaulliste, il faut attendre l’arrivée des anglo-américains, rester sous les ordres des militaires. La résistance communiste n’est pas encore limitée par les accords de Yalta de février 1945, à la base s’organise une activité de guérilla. De Gaulle refuse cette guerre « populaire » et s’empresse de désigner des préfets pour asseoir les institutions bourgeoises.
Une ébauche de pouvoir populaire par en bas
Par centaines de milliers, celles et ceux d’en bas veulent l’épuration, se débarrasser de tous ces exploiteurs et collaborateurs, ils et elles sont organisés, mobilisés, et souvent armés. Ici un comité départemental prend la totalité des pouvoirs et demande de faire de la Libération l’acte un de la révolution populaire, là des entreprises sont réquisitionnées, ailleurs les conseils départementaux refusent d’être remplacés par la nouvelle administration préfectorale. Des rencontres régionales de CDL refusent de se laisser déposséder de leur pouvoir de décision ou de contrôle. En fait la direction du PCF a perdu le contrôle de bon nombre des comités de Libération [6]. Elle va regagner du terrain dans le congrès national de ces CDL en décembre 1944 en faisant accepter les élections municipales qui vont les faire disparaître.
Du côté syndical, la CGT va atteindre en 1947 6,5 millions de salariéEs, 40 % du salariat de l’époque, le PCF va revendiquer 800 000 membres !
« Une seule armée, une seule police, une seule administration »
C’est le mot d’ordre lancé par le PCF dès janvier 1945, qui veut dissoudre le début de double pouvoir en intégrant les organes de mobilisation populaire dans l’État bourgeois qui se remet en place. Son poids sera déterminant, tant pour la disparition des comités de Libération que pour le désarmement et la dissolution des milices patriotiques. Il jouera un rôle tout aussi essentiel en désapprouvant les grèves et les revendications « déraisonnables » d’augmentation de salaires.
Dans les élections qui se succèdent, le PCF devient le premier parti, devant la SFIO et le MRP (parti démocrate chrétien). Fort de ses 26 % aux élections d’octobre 1945, il met la priorité absolue au relèvement économique et à la restauration des structures étatiques traditionnelles au détriment de celles issues de la Résistance.
La dynamique créée par la mobilisation populaire et la force du PCF sont telles que ce ce programme sera effectivement mis en œuvre.
Conclusion
Des avancées sociales majeures pour les exploitéEs et les oppriméEs ont été acquises au cours de ces années.
C’est la mise en mouvement unifiée de millions de dominéEs pour leur dignité, leurs droits, leur liberté, leurs revendications, pour leur émancipation, qui a été déterminante pour modifier les rapports de forces.
Cette unification du camp d’en bas s’est produite lorsque les partis, les syndicats, les associations, toutes les organisations qui jouent un rôle dans la structuration, qui fixent les repères politiques et sociaux de cette classe, se sont unies, créant alors les conditions pour une dynamique d’affrontement de classe.
L’unité est incontournable, mais ne suffit pas, car la satisfaction des revendications pour une autre répartition des richesses, pour les libertés, pour une véritable transition écologique sociale, impose un affrontement contre le capital, qu’il soit néolibéral ou pas, qu’il faut préparer.
Dans un affrontement de ce niveau, les enjeux qui se posent sont d’une autre ampleur, la perspective d’un projet de société alternatif devient pour des millions de dominéEs autre chose qu’un discours : une perspective palpable, atteignable.
Patrick Le Moal