Dans l’après-midi du mardi 7 février, une quinzaine d’individus masqués ont fait irruption dans les locaux du Visual Culture Research Center (VCRC) à Kiev. Ils ont attaqué le vigile et ravagé l’exposition de l’artiste David Chichkan, dont l’inauguration venait tout juste d’avoir lieu, le jeudi 2 février.
« L’exposition de David Chichkan était composée de dix œuvres d’art. Quatre ont été volées, tandis que trois ont été complètement détruites. Seules deux œuvres ont survécu à l’attaque, et la dernière a été légèrement endommagée. (…). Nous estimons provisoirement les pertes liées au travail de l’artiste à six mille dollars. Concernant les dégâts causés à notre centre (murs cassés, chauffage électrique détruit, etc.) ils sont estimés à mille cinq cents dollars » rapporte le VCRC sur son site internet.
Une enquête policière a été ouverte en vertu de l’article 296 du Code pénal ukrainien qualifiant l’attaque « d’acte hooligan commis par un groupe de personnes ».
Les membres de l’équipe ont tenu à ce que l’exposition reste ouverte au public jusqu’au 26 février dans son état actuel, ravagé par ces individus. La photo des œuvres d’art disparues et une vidéo de l’attaque accompagnent les visiteurs dans ce parcours vers la tolérance et la liberté d’expression.
L’attaque a suscité de nombreuses réactions de la part d’organisations internationales, comme le journal « Political Critique », mais aussi d’une dizaine d’organisations culturelles ukrainiennes. Parmi elles, le centre « Art Arsenal », les galeries « Closer » et « Artsvit », le Musée National d’Art d’Ukraine et le Musée d’Art contemporain d’Odessa ont affiché leur soutien au VCRC.
Dans une lettre ouverte adressée à l’artiste David Chichkan, un groupe d’anciens combattants des régions de Donetsk et Louhansk, ont également tenu à condamner cette attaque :
« Si une exposition ne vous plaît pas, vous avez le droit de donner votre point de vue publiquement pour dissuader les gens de venir, mais en aucun cas vous ne devez vous livrer à de tels actes de violence, c’est inacceptable ».
Le soutien dont bénéficie le VCRC est malheureusement encore loin de faire l’unanimité. Ainsi, dans un article publié le 8 février dans « Ukrayinska Pravda », la journaliste Ekaterina Sergatskova exprime son indignation vis-à-vis de plusieurs commentaires apparus sur la toile au lendemain de l’attaque :
« Certains internautes sont convaincus que l’artiste aurait lui-même commandé l’attaque pour assurer le succès de l’exposition ». Pour d’autres, le VCRC serait en partie responsable d’une telle réaction, pour avoir programmé cette exposition. « Tout cela me rappelle ce discours récurrent sur le viole, « lorsque la victime est accusée d’avoir porté une jupe trop courte » », s’inquiète la journaliste.
L’artiste David Chhichkan quant à lui, a réagit sur son compte Facebook au nom de tous ceux qui à l’Est du pays, risquent leur vie pour la liberté et la démocratie et « contre le régime fasciste de Poutine ». À ces yeux, l’attaque ne peut être le fait que d’une minorité de personnes appartenant à des groupes d’extrême droite et n’est pas représentative de la société ukrainienne ; « l’Ukraine n’est pas une junte fasciste ».
Dans une interview pour le journal « Ukrayinska Pravda », il répond aux questions de la journaliste Olga Papache, en voici un extrait.
Olga Papache - D’après vous, qui sont les personnes responsables de cette attaque ?
David Chhichkan - Je n’ai aucun doute sur le fait que cette attaque ait été orchestrée par des individus appartenant à des groupes d’extrême droite. Leur réaction est en adéquation avec leur idéologie, ils agissent par la violence. Aujourd’hui, on assiste en Europe de l’Est à une montée des extrêmes ; c’est le cas en Ukraine également, où la plupart d’entre eux sont tolérés par la société.
Comment l’opinion publique a-t-elle réagit sur les réseaux sociaux ?
La première réaction de la part des internautes était de dire que l’attaque avait été menée par des « agents du Kremlin ». À travers cette exposition – et l’attaque l’a confirmé plus tard – je voulais montrer en quoi l’extrême droite ukrainienne fait le jeu du Kremlin. En affichant des symboles nazis [1] ils alimentent l’image d’un fascisme criant en Ukraine qui profite à la propagande russe. (…) Cette exposition était l’occasion de montrer qu’il existe une liberté d’expression et une gauche alternative en Ukraine, mais je me suis trompé. Franchement, je ne pensais pas que cela se produirait.
Pourquoi avez-vous choisi le titre « L’Occasion Manquée » pour votre exposition au VCRC ?
J’ai le sentiment que nous ne sommes pas allés au bout de notre révolution sociale. Nous en avons eu l’occasion, lorsque ces masses de personnes se sont regroupées et autogérées pendant plusieurs semaines à Maïdan. Mais cela n’a conduit qu’à la chute du régime Ianoukovitch et n’a pas mené les Ukrainiens vers une véritable révolution sociale.
Connaissant la situation aujourd’hui en Ukraine, auriez-vous agi autrement pendant Maïdan ?
Non, car je n’en ai pas le courage. Si nous avions été tous courageux peut-être que la situation n’aurait pas été si difficile aujourd’hui.
Et si un nouveau Maïdan voyait le jour que feriez-vous ?
Je dirais à ses manifestants : Ne criez pas « gloire à la Nation », mais demandez plutôt la gratuité des transports, ne faites pas fuir le prochain président, mais détruisez l’institution présidentielle.
Bibliographie
« We Stand with Our Friends in Kiev After the Violent Attack on Their Cultural Centre », publié le 8 février 2017. Disponible sur le lien : http://politicalcritique.org/cee/ukraine/2017/attack-kiev-cultural-centre/
Article de Dimitri Voltchek, Radio Free Europe, publié le 12 février 2017. Disponible sur le lien : http://www.svoboda.org/a/28302954.html
Lettre des vétérans de l’ATO publiée le 10 février 2017 dans « Ukrayinska Pravda ». Disponible sur le lien : http://life.pravda.com.ua/culture/2017/02/10/222558/
Article d’Ekaterina Sergatskova publiée le 8 février 2017 dans « Ukrayinska Pravda ». Disponible sur le lien : http://life.pravda.com.ua/columns/2017/02/8/222504/
Interview de l’artiste David Chichkan menée par la journaliste Olga Papache pour « Ukrayinska Pravda ». Disponible sur le lien : http://life.pravda.com.ua/culture/2017/02/9/222532/