Une fois encore, les Antilles françaises auront fait sensation avec la fuite de leurs résultats sur les réseaux sociaux un peu avant les premières estimations nationales (à cause du décalage horaire, le vote y est organisé la veille). Les îles de Martinique et de Guadeloupe, avec la Guyane, avaient élu Jean-Luc Mélenchon au premier tour de l’élection présidentielle. Au second, Marine Le Pen a très largement battu Emmanuel Macron.
Dans son discours, la candidate du RN ne s’y est d’ailleurs pas trompée en reconnaissant sa défaite : « Je remercie les compatriotes des provinces et des campagnes, mais aussi des outre-mer, qui m’ont largement placée en tête du second tour avec une force extraordinaire qui m’honore et me touche sincèrement. Cette France trop oubliée, nous, nous ne l’oublions pas. »
60 % en Martinique et en Guyane, 69 % en Guadeloupe – où elle avait pourtant été fraîchement accueillie dans la dernière ligne droite de la campagne : la candidate du Rassemblement national (RN) réalise des scores inédits dans ces territoires. Elle fait plus que doubler la proportion d’électeurs qui la choisissent au second tour, puisque la même configuration la donnait systématiquement perdante il y a cinq ans face à Emmanuel Macron.
Ce dernier ne peut se réjouir de sa victoire qu’en Nouvelle-Calédonie, où il réunit 61 % des suffrages exprimés. Mais tout comme lors du récent référendum sur l’indépendance, les partis et organisations indépendantistes avaient appelé sur place à un boycott du scrutin.
Le divorce avec le président sortant est total
« La Guadeloupe et l’outre-mer en général ont décidé de brûler la maison du maître avec leur bulletin de vote, analyse dans une référence à l’histoire esclavagiste Pierre-Yves Chicot, maître de conférences en droit public à l’université des Antilles, et avocat au barreau de Guadeloupe. Il y a une telle révolte, au sens noble, pas une montée d’adrénaline ou un mouvement irrationnel, que les citoyens ont choisi de brûler la maison du maître symboliquement. Il s’agit de lutter contre la politique ultralibérale de ce président qui a pris la décision irréversible de supprimer les “contrats aidés” au tout début de son mandat et fait la promotion de mesures liberticides pendant la crise sanitaire. »
Le divorce d’avec le président sortant est total et ne se limite pas au bassin océanique. À la Réunion où, à l’échelle de l’île, Marine Le Pen n’avait jamais réuni plus de 39 % des bulletins de vote, la fille de Jean-Marie Le Pen cumule cette fois-ci plus de 50 % des suffrages. À La Plaine-des-Palmistes, village des Hauts emblématique de la lutte pour la liberté contre le système colonial et esclavagiste, son score est de 73 %.
Et à Mayotte, île martyre de la décolonisation à la française, 101e département français depuis 2001, la candidate du RN convainc là encore une majorité des électeurs qui ont choisi d’aller voter. La violence, difficile à supporter au quotidien, et la tragédie de la criminalisation de la circulation entre les îles de cet archipel africain auront achevé de faire de « l’île aux parfums » un bastion du RN.
Macron avait dépêché son conseiller outre-mer à l’Élysée en Martinique pour en faire un préfet controversé et conspué [1] : sur place, Emmanuel Macron n’a pas convaincu. Même si les enquêtes d’opinion sont peu fiables ou inexistantes dans l’outre-mer, il apparaît clairement que le président sortant n’a pas bénéficié du report des voix de Jean-Luc Mélenchon au premier tour.
L’abstention, certes toujours forte, mais en légère baisse dans la grande majorité des territoires ultramarins, démontre que les électeurs se sont toujours davantage détournés d’Emmanuel Macron, une fois que le candidat de l’Union populaire à été éliminé du scrutin.
Au-delà de la campagne déterminée que Marine Le Pen y a menée, année après année, et qui a fini par porter ses fruits, l’enseignement de ce second tour dans l’outre-mer français est la confirmation d’un rejet profond et massif du président sortant. « Sa stratégie de communication est en rupture profonde avec ce que nous sommes, conclut Pierre-Yves Chicot. En créole, il y a une expression qui dit : Missié ka fé goj si mwen ! Cela signifie que cet homme n’est pas dans une culture destinée à emporter l’adhésion. Il est perçu comme quelqu’un qui s’égosille pour assujettir les citoyens. »
Julien Sartre