Monsieur le Président
Un grand nombre de soignants s’apprêtent à s’abstenir ou même à voter pour une candidate dont le programme inclut la discrimination des personnes pour l’accès aux soins, mettant à mal les valeurs d’égalité et de solidarité de l’humanisme médical, ce qui donne la mesure de l’ampleur du désastre en cours. Les professionnels de santé ont pour mission de soigner pareillement tous les malades quels que soient leur religion, la couleur de leur peau, leurs idées politiques ou leur statut social.
La colère ou le dépit des soignants s’explique par l’empilement depuis plus de dix ans de promesses, non tenues. Comment savoir quel candidat se présente ? Celui qui disait aux hospitaliers qu’il n’y a « pas d’argent magique », celui de mars 2020 qui découvrait « qu’il est des biens et des services qui doivent être placés en dehors des lois du marché » ou celui qui expliquait récemment qu’« on a jamais fait autant pour l’hôpital » ? Pourtant, les faits sont têtus : il a fallu la pandémie et la mobilisation des blouses blanches saluée par l’ensemble de la population pour que le gouvernement accepte l’augmentation des salaires que jusque-là il refusait. Après le Ségur de la santé, la France est passée pour le salaire infirmier (par rapport au salaire moyen du pays) de la honteuse 28e place sur 32 pays de l’OCDDE à la médiocre 16e place.
Quant aux 19 milliards promis pour l’investissement (dont 2 sont mis en réserve), ils sont programmés sur dix ans et concernent à la fois l’hôpital et la ville. Ils viennent à peine compenser les mesures d’économies imposées ces dix dernières années et l’alourdissement des coûts non pris en compte dans les budgets hospitaliers. La communication sur le Ségur a donné le change mais les modes de financement et de gestion de l’hôpital n’ont pas été changés. Le gouvernement a repris d’une main ce qu’il a donné de l’autre.
Et le constat à la fin de votre quinquennat est dramatique : l’hôpital public est à genoux après dix ans de rigueur budgétaire associée à un management d’entreprise commerciale, c’est-à-dire d’application du « toujours plus avec toujours moins » jusqu’à l’épuisement actuel des personnels hospitaliers. Les Français vivent au quotidien des difficultés d’accès aux soins : fermetures totales ou partielles de services d’urgences, fermeture de milliers de lits faute de personnels soignants, attente prolongée sur des brancards, prises en charge en mode dit « dégradé », interventions chirurgicales repoussées, adolescents suicidaires ne pouvant être pris en charge en pédopsychiatrie, unités d’urgences neurovasculaires fermées….
Si vous voulez convaincre des soignants de voter pour vous, il vous faut dire clairement que le service public hospitalier – mots que vous semblez avoir du mal à prononcer - est un bien commun dont les ressources doivent être sanctuarisées et qu’il est exclu de privatiser.
Mais il vous faut aussi prendre des engagements précis :
1. les salaires des soignants doivent être au moins égaux à ceux des pays européens voisins.
2. chaque établissement de santé doit fixer pour chaque unité de soins, le quota de personnels soignants présents nécessaire pour assurer la sécurité et la qualité des soins.
Pour cela 100 000 infirmières et aides-soignantes doivent être embauchés et formés dans les hôpitaux (et autant dans les EHPAD). La validation des acquis d’expériences professionnelles et des acquis de formation doit permettre une progression de carrière et de salaire.
3. la santé doit être prise en charge à 100% par la Sécurité sociale pour les soins de premier recours chez le médecin généraliste et pour les soins hospitaliers, en supprimant dans ces deux cas le « ticket modérateur ». Respectivement de 30% pour la ville et de 20% pour l’hôpital, ces restes à charge pour les patients obligent l’ensemble des citoyens à payer en plus de leur cotisation et de la CSG pour la Sécurité sociale, une assurance dite complémentaire dont le montant des primes augmente chaque année de 5%.
4. la Tarification à l’activité (T2A) doit être limitée aux soins programmés et standardisés avec des tarifs correspondant au coût moyen réel des soins. Il faut donc abandonner l’idée de l’hôpital entreprise.
5 L’objectif national des dépenses de l’assurance maladie (ONDAM) doit redevenir un objectif et cessé d’être un budget contraint, mettant systématiquement chaque année les hôpitaux publics en déficit. L’ONDAM doit être fixé en fonction de l’évolution réelle des besoins et des charges. Les économies en santé ne doivent porter que sur les prescriptions et les actes injustifiés, sur les frais de gestion exorbitants et sur les bénéfices commerciaux excessifs. La part consacrée à la prévention dans le budget de la santé doit être doublée.
Les belles promesses et l’appel à la défense des valeurs républicaines ne suffiront pas compte tenu de l’ampleur de la perte de confiance dont vous faites l’objet. Une réponse positive à ces propositions, pourrait permettre de convaincre des hésitants ou des abstentionnistes de voter pour vous
François Bourdillon, médecin de santé publique, ancien président de Santé publique France
Sophie Crozier, médecin neurologue CHU Pitié-Salpêtrière APHP
Brigitte Dormont professeur d’économie de la santé Paris Dauphine
Didier Fassin, médecin de santé publique, professeur au Collège de France,
Anne Gervais, médecin hépatologue CHU Bichat APHP,
André Grimaldi, professeur émérite de diabétologie CHU Pitié-Salpêtrière
Agnès Hartemann, professeure de diabétologie, cheffe de service, CHU Pitié-Salpêtrière
Jean-Luc Jouve, professeur de chirurgie pédiatrique AP-HM Marseille
Olivier Milleron, médecin cardiologue CHU Bichat
François Salachas, médecin neurologue CHU Pitié-Salpêtrière
Jean-Paul Vernant, professeur émérite d’hématologie CHU Necker APHP.