Pas un mot sur la nature, la justice climatique, la démocratie environnementale ou la sobriété. Le débat sur l’écologie entre Marine Le Pen et Emmanuel Macron a été phagocyté par la question énergétique, et dominé par leur désaccord sur les modalités de production de l’électricité. Résultat : un échange sans surprise, plat, plutôt technique et largement dépolitisé. Quant aux questions agricoles et alimentaires, ni Macron ni Le Pen n’ont porté une vision de transition écologique.
Pourtant, ce sont bien deux imaginaires de l’action publique qui se sont affrontés : le refus de la contrainte et des obligations, brandi par la candidate du Rassemblement national par opposition à ce qu’elle appelle l’« écologie punitive » ; un appel à la production et à l’innovation pour décarboner l’économie, selon le président sortant.
Pour lutter contre les émissions de gaz à effet de serre, la seule mesure proposée par Marine Le Pen est la fermeture des frontières car « on ne peut pas sérieusement attaquer le problème en refusant de regarder que les importations représentent 50 % des gaz à effet de serre ». Par quelle modalité ? Elle n’en a rien dit.
La candidate du Rassemblement national prône la relocalisation de la production, veut mettre en place « le patriotisme économique », faire en sorte que la restauration collective achète « français ». Elle fustige les accords de libre-échange « où on vend des voitures allemandes que l’on met en concurrence avec nos éleveurs, où on importe des poulets du Brésil et du Canada ». En sortir une fois élue ? Elle ne le dit toutefois pas clairement.
Elle s’est par ailleurs émue de la souffrance animale dans l’agro-industrie mondialisée. « Le transport des animaux dans les camions, dans des conditions douloureuses, pour aller les engraisser, les abattre est un modèle insensé qui crée du chômage dans notre pays et désespère nos agriculteurs et industriels soumis à une concurrence déloyale. » Interdira-t-elle l’élevage industriel ? Y mettra-t-elle des normes ? Aucune mesure précise n’est avancée.
Passe d’armes sur la question énergétique
Dans une vision quasi insulaire de la consommation d’énergie, elle a réitéré sa volonté de sortir du marché européen de l’électricité, afin d’empêcher l’explosion des prix de celle-ci. Mais elle ne dit pas un mot de la dépendance de la France au système interconnecté, qui lui permet chaque mois d’exporter du courant et d’en importer quand sa production est inférieure à la demande, seule manière d’éviter un black-out.
Marine Le Pen a fustigé pêle-mêle la fin des chaudières à fioul, les zones à faible émission qui interdisent la circulation des véhicules les plus polluants, la fermeture de la centrale nucléaire de Fessenheim et l’arrêt du projet de recherche « Astrid » sur le nucléaire de 4e génération. « Cette écologie punitive crée des souffrances, aggrave la situation et les difficultés. » À Emmanuel Macron qui l’accuse d’être « climatosceptique », elle répond qu’il est « climato-hypocrite ».
Mais rien dans les mesures de la candidate du RN ne permet de réduire massivement les émissions de gaz à effet de serre. Elle veut démanteler les éoliennes qui causent « des troubles anormaux au paysage », et rejette tout nouveau projet de parc éolien terrestre ou en mer. « Le choix de l’éolien est une absurdité écologique, économique » qui « fait baisser les prix des biens immobiliers » et porte atteinte à la biodiversité, a-t-elle déclaré. Elle ne formule aucune proposition pour réduire la consommation d’électricité, et veut passer au tout nucléaire.
Cette option entre en contradiction avec les évaluations économiques du dernier rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec), qui juge que les énergies solaire et éolienne ont chacune, d’ici à 2030 et au niveau mondial, un potentiel de réduction des émissions nettes de CO2 au moins quatre fois supérieur à l’énergie atomique. Depuis 2010, les coûts de l’énergie solaire et des batteries ont diminué de 85 % et ceux de l’énergie éolienne de 55 %.
Elle a insisté en début d’émission sur sa proposition de baisser la TVA de 20 % à 5,5 % sur les carburants, le gaz, l’électricité, et le fioul « de manière pérenne » afin de « restituer leur argent aux Français ». Mais une telle mesure reviendrait à subventionner la consommation d’hydrocarbures, très émetteurs de CO2, tout en étant socialement inégalitaire puisque tous les ménages en profiteraient, quel que soit leur revenu. Son coût serait important, évalué autour de 12 milliards d’euros, comme l’explique l’analyste Nicolas Goldberg
En face, Emmanuel Macron a affiché d’emblée l’ambition de faire de la France « une grande puissance écologique du XXIe siècle ». Une posture rhétorique décalée par rapport à la médiocrité de son bilan sur le sujet. Il a enjolivé son bilan de président sortant : « On a doublé le rythme de réduction des gaz à effet de serre », alors que la France ne réduit pas ses rejets de CO2 autant qu’elle le devrait, comme l’explique le Haut Conseil pour le climat dans son rapport annuel. Il faudrait en réalité qu’elle double le rythme de ses diminutions de CO2 pour respecter son budget carbone.
Il a aussi promis vouloir « aller deux fois plus vite » s’il reste au pouvoir. Première façon d’y parvenir : créer un poste de premier ministre de la planification énergétique et de la planification territoriale. Cela sonne bien mais il n’a pas expliqué en quoi cela serait différent du poste de super ministre de la transition écologique qu’il avait créé en 2017 pour Nicolas Hulot, qui avait fini par démissionner sur un constat d’échec.
Deuxième piste : la rénovation de 700 000 logements par an pendant cinq ans. Cet objectif est en soi vertueux, car la consommation de gaz pour chauffer l’habitat est la principale source d’émission de CO2, avec les transports. Mais la clef de l’efficacité de cette politique repose sur la mise en œuvre de rénovation globale des logements, seule capable de faire disparaître les passoires thermiques. Or bien souvent elle subventionne des petits gestes (changement de chaudière, pose de double vitrage) qui n’améliorent pas assez le bilan carbone des bâtiments.
À contre-pied de Marine Le Pen qui prétend régler le problème de la hausse des prix de l’énergie en baissant la TVA, Emmanuel Macron a défendu son bouclier énergétique, qui a bloqué les prix de l’électricité et du gaz. Mais pas pour tout le monde : seules les personnes abonnées à EDF ont pu en bénéficier, alors que de nombreux ménages dépendent aujourd’hui d’un autre fournisseur d’énergie. Quant aux copropriétés privées et aux offices HLM, elles ont été exclues de l’accord sur le gaz.
Sans surprise, et sans livrer de nouvelle annonce, il a défendu sa vision du « en même temps » énergétique : développer les énergies renouvelables et relancer la filière nucléaire – six EPR à l’horizon 2035, huit à l’étude pour après. Pourtant, il serait techniquement possible de sortir des hydrocarbures en France sans relancer l’atome, comme l’estiment des analyses de RTE, le gestionnaire du réseau d’électricité, et l’Ademe. Cela pourrait aussi coûter moins cher, comme l’expliquent les économistes Philippe Quirion et Behrang Shirizadeh dans un article de The Conversation. Hélas trop superficiel, le débat de mercredi soir n’aura pas permis de discuter des enjeux économiques soulevés par le choix du nucléaire, commun aux deux candidats.
La PAC, divergence d’une même vision productiviste
Sur l’agriculture, le schéma productiviste est partagé par les deux candidats. « Il faut pouvoir produire plus », dit Emmanuel Macron au vu du contexte de la guerre en Ukraine. Marine Le Pen, elle, se dit opposée à la politique européenne « De la ferme à la fourchette », le volet agricole – encore en négociation - du Pacte vert européen.
Cette politique qui vise à réduire l’utilisation de produits chimiques en agriculture va conduire, selon elle, « à -20 % de production européenne alors que des pays vont probablement être victimes d’émeutes de la faim ». Le pourcentage invoqué par la candidate d’extrême droite correspond à celui agité par les lobbies productivistes à Bruxelles depuis l’été dernier ; c’est une vision réductrice qui ne tient pas du tout compte des gains attendus de cette politique : alimentation plus saine, préservation de la pollinisation nécessaire aux cultures, réduction des dépendances aux hydrocarbures...
Du côté d’Emmanuel Macron, pas de remise en cause de la mondialisation et des grandes orientations de la PAC, la politique agricole commune qui soutient une agriculture européenne exportatrice avec peu d’ambition environnementale.
La PAC, premier budget d’argent public européen, est d’ailleurs vue comme une vache à lait plutôt que comme l’outil de transition écologique des territoires agricoles qu’elle pourrait être : « L’Europe, c’est aussi la PAC qui sert à faire vivre nos agriculteurs », a dit Emmanuel Macron qui s’est vanté s’être battu « pour une PAC qui ne baisse pas malgré le Brexit ».
Jade Lindgaard et Amélie Poinssot
Boîte noire
Cet article a été modifié jeudi vers 14h30 pour corriger la présentation de ce que dit le GIEC sur le potentiel des énergies renouvelables : « Cette option entre en contradiction avec les évaluations économiques du dernier rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec), qui juge que les énergies solaire et éolienne ont chacune, d’ici à 2030 et au niveau mondial, un potentiel de réduction des émissions nettes de CO2 au moins quatre fois supérieur à l’énergie atomique. »