Le début potentiel d’une sixième extinction des espèces a trois caractéristiques : un rythme très rapide, la responsabilité des activités humaines, une forte accélération depuis la naissance du capitalisme industriel. Même si elle a commencé avec la disparition de la mégafaune, déjà due aux activités humaines, entre – 50 000 ans et – 10 000 ans. Des espèces ont vécu des crises climatiques extrêmes sans disparaître (en Amérique et en Australie) et c’est bien l’arrivée des humains au paléolithique supérieur qui les a supprimées.
En 2017, le rapport de 15 000 scientifiques indiquait des destructions qui poussent les écosystèmes « au-delà de leurs capacités à entretenir le tissu de la vie ». Aujourd’hui, 132 États ont cosigné le rapport public des scientifiques.
Dans le dernier bilan, les taux d’extinction des espèces sont de plusieurs dizaines à plusieurs centaines de fois supérieurs à ceux des dernières 10 millions d’années. Le rapport estime qu’un million d’espèces sont menacées à brève échéance (sur une base de 10 millions) et note une accélération du rythme mondial d’extinction depuis 15 ans. Il faut ajouter l’effondrement des densités des espèces communes. Pour les oiseaux, en France, le déclin est deux fois supérieur pour 50 % des espèces qui représentent 97 % du nombre d’individus. Un rapport européen de 2014 note ainsi la disparition de 420 millions d’individus oiseaux sur une estimation de 2 milliards, soit 20 % de perte, de 1980 à 2010. Le rapport Muséum/CNRS oiseaux de 2018 indique une « disparition massive et à une vitesse vertigineuse ». Les espèces « disparaissantes » ne disparaitront pas à court terme mais perdent une part considérable de leurs effectifs. Un rapport allemand de 2017 indique 75 à 80 % de perte des insectes dans ce pays. On sait aujourd’hui que les deux objectifs de la conférence internationale à Aïchi (Japon) en 2010 (rythme d’appauvrissement des habitats naturels réduit de moitié et état de conservation des espèces amélioré) n’ont pas été atteints et que la situation s’est dégradée.
Les causes et les conséquences de cet effondrement sont identifiées
Le changement d’utilisation des sols (ainsi 85 % des zones humides ont disparu), le réchauffement climatique, l’exploitation intensive des ressources (chasse, bois, pêche, extraction minière), les pollutions, les espèces invasives (ce point est controversé).
Les conséquences pour l’alimentation : en 2018 la FAO (Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture) note que 75 % des cultures mondiales dépendent directement de la pollinisation, donc de la biodiversité. Tout comme la productivité des océans ou l’état et la fertilité des sols (effondrement de la micro faune, remise en cause du cycle de recomposition). Par exemple, les fourmis améliorent les récoltes de blé dans les régions arides de 35 % grâce aux tunnels qu’elles creusent dans le sol, qui facilitent l’infiltration d’eau. Elles protègent les plantes des moisissures.
La limitation de la biodiversité génétique des plantes et des animaux d’élevage constitue un autre risque majeur :
– sur l’état de l’air, de la ressource en eau potable
– sur la capacité de réponse au réchauffement climatique. Ainsi, les milieux naturels absorbent 60 % des gaz à effet de serre produits par l’humanité. Le réchauffement climatique induit la perte de biodiversité qui elle-même aggrave le réchauffement climatique. La boîte à outils à notre disposition pour réagir diminue (voir la disparition des mangroves et le rôle des coraux dans la protection naturelle du littoral face aux tempêtes).
– sur l’état des ressources : ainsi, deux milliards d’humains dépendent du bois pour leurs besoins énergétiques, quatre milliards dépendent des plantes pour leur santé.
Les récents travaux scientifiques indiquent une corrélation entre diminution de la biodiversité et réduction des services écologiques (production de biomasse, capacités à décomposer/recycler), une relation forte entre le nombre d’espèces végétales, la productivité et la durabilité de l’écosystème et ses capacités de reconstitution.
50 % de l’économie mondiale repose sur le fonctionnement des écosystèmes : rendement des cultures, production de bois, résistance aux pathogènes dans les cultures, réduction du contrôle biologique (prédation), diminution de la pollinisation. En fait 100 % si on compte la chimie de l’atmosphère, le cycle du carbone et de l’eau, celui des nutriments, la formation des sols.
Mais la perte de biodiversité conduit aussi à la perte de l’adaptabilité, la perte des possibles. C’est une adaptation probablement sans importance à l’époque (diverticule respiratoire dans les os) qui a permis à certains dinosaures (qui deviendront les oiseaux) de survivre à la cinquième crise d’extinction et leur donnera une fantastique diversification lors des épisodes géologiques suivants. La baisse de la biodiversité, c’est l’augmentation de l’imprévisible.
Crédit Photo. Wikimedia Commons
Les travaux scientifiques disent ouvertement qu’il faut aller plus loin et parlent de « contribution de la nature aux sociétés ». Les « services éco-systémiques de la nature » sont élargis aux dimensions culturelles et sociales : l’effondrement de la biodiversité impacte plus les plus pauvres, accroît des inégalités, conflits, guerres qui empêchent les sociétés de réagir.
Alors, est-il trop tard ?
Le rapport de l’IPBES indique que le changement ne se fera qu’« au prix de la transformation des facteurs économiques, sociaux, politiques et technologiques » et souhaite des « réformes fondamentales des systèmes financier et économique mondiaux » au profit d’une « économie durable ». Il cible concrètement : l’agriculture intensive, la pêche industrielle, l’exploitation forestière et minière. Ces analyses ouvrent une porte vers… la sortie du capitalisme.
Commission nationale écologie du NPA
• Hebdo L’Anticapitaliste - 609 (31/03/2022). Publié le Dimanche 3 avril 2022 à 18h00 :
https://lanticapitaliste.org/arguments/ecologie/crise-de-la-biodiversite-et-consequences-pour-la-vie-humaine
Que faire pour enrayer la crise de la biodiversité ?
Enrayer la crise de biodiversité suppose de sortir de la démagogie électorale et de s’affronter aux intérêts d’une minorité privilégiée.
Quatre propositions concrètes
– Stopper l’artificialisation du territoire. Actuellement 9 % du territoire métropolitain est artificialisé. Il ne faut pas dépasser 10 %. Pour cela, il sera nécessaire de s’assurer la maîtrise foncière publique des sols et de modifier les lois pour contraindre toute nouvelle construction à être en cohérence avec l’objectif.
– Transformer la gestion de la forêt. La forêt en France métropolitaine, c’est 31 % du territoire. Elle est essentiellement privée (75 %), avec 3,8 millions de propriétaires, dont 200 000 possédant plus de 10 ha (représentant 68 % des surfaces). On ne pourra pas agir sans nationaliser ces grandes propriétés forestières. Cela n’impactera que 5 % des propriétaires forestiers, même moins si on fixe la barre à 20 ha ! On passerait ainsi de 25 % de forêt publique à 75 % (128 000 km2), soit une inversion des rapports, et ceci en n’impactant que 5 % des propriétaires… et pas les plus pauvres ! En fait la moitié sont des « personnes morales », c’est-à-dire des grandes entreprises… Avec une réelle gestion publique de la forêt, on pourra imposer la prise en compte de la biodiversité sur les domaines boisés.
On peut partir d’un projet induisant : 5 % de la forêt en réserve intégrale (on laisse la forêt vieillir, principe des zones en évolution libre). C’est l’équivalent de la superficie d’un département. Il faut en discuter avec les forestiers, les associations, les scientifiques, si on veut aller jusqu’à 10 %. En sachant que la notion d’« espaces en évolution libre » ne concerne pas que la forêt publique, mais que des accords peuvent être passés avec les petits propriétaires forestiers, que des secteurs des Réserves naturelles peuvent aussi être concernés ; 15 % en vieillissement long (+ 250 ans).
– Mettre en place une politique d’aires protégées en classant en urgence 10 % du territoire en protection forte.
Pour sauver la biodiversité, commençons par préserver, gérer avec des moyens financiers réels, les « réservoirs de biodiversité ». Là où celle-ci est exceptionnelle, où se concentrent les espèces menacées.
Passer à au moins 10 % du territoire en protection forte effective suppose de classer ces territoires en réserves naturelles (niveau le plus élevé de protection réglementaire). Avec l’arrêt des prélèvements de loisirs, donc de la chasse, dans ces réserves, une priorité effective à la préservation de la biodiversité, des moyens effectifs de gestion.
Une réserve naturelle n’empêche pas les activités humaines et singulièrement l’agropastoralisme. Au contraire, des agriculteurs peuvent être associés à la gestion d’une réserve. Ils doivent respecter la réglementation de la réserve et peuvent être rémunérés pour cela. Dans ces zones « réservoirs de biodiversité », les activités humaines passent derrière les impératifs de survie des espèces et des écosystèmes avec une gestion spécifique.
C’est faisable puisque l’inventaire est fait : 56 000 km2 classés en ZNIEFF de type 1 (Zones d’intérêt écologique floristique et faunistique), soit justement 10 % du territoire. Ces zones sont reconnues légalement comme abritant les espèces dites « patrimoniales ». Elles sont cartographiées précisément et à disposition des citoyens (sur le site de l’IGN, Géoportail).
Si l’on ajoute les 71 000 km2 du réseau Natura 2000, qui se recoupent en partie avec les ZNIEFF, soit 13 % du territoire et les sites acquis par le Conservatoire du littoral, on voit bien que l’on peut prendre les décisions… quand on veut !
Pour classer en protection forte, il faut instituer un système de DUP pour la nature (déclaration d’utilité publique) qui permettrait de s’assurer la maîtrise foncière. Atteinte à la propriété ? Bien sûr, c’est du reste comme cela que fait l’État pour faire passer une autoroute ou construire une centrale nucléaire, un centre d’enfouissement de déchets radioactifs, un aéroport…
– Limiter et contrôler fortement l’activité de la chasse.
Pas de chasse le week-end et pendant les vacances scolaires, période de chasse (y compris celle de régulation) strictement limitée à quatre mois (d’octobre à janvier), protection de toutes les espèces dont le statut de conservation est défavorable (liste établie uniquement par les scientifiques indépendants du monde cynégétique), protection des prédateurs, interdiction de l’agrainage et de la chasse à l’enclos et interdiction de la chasse dans toutes les zones sous protection réglementaire (réserves naturelles, parcs nationaux) : ces mesures permettraient de réduire l’impact de la chasse sur la biodiversité.
La mise en œuvre de ces mesures est nécessaire mais pas suffisante pour enrayer la crise de biodiversité.
Il faut agir aussi sur 100 % du territoire et pas seulement sur les 10 % des réservoirs de biodiversité. Donc, passer à 100 % d’agriculture bio et en finir avec l’élevage intensif.
Commission nationale écologie du NPA
• Hebdo L’Anticapitaliste - 609 (31/03/2022)Publié le Dimanche 3 avril 2022 à 20h00 :
https://lanticapitaliste.org/arguments/ecologie/que-faire-pour-enrayer-la-crise-de-la-biodiversite