Une première remarque générale : les motivations que nous, militant-e-s, avons pour choisir et justifier un vote n’ont rien à voir avec celles des exploité-e-s et des opprimé-e-s, qui en majorité, soit ne votent pas (25 à 30%), soit se déterminent le jour même de l’élection (de 20 à 30%).
L’élection présidentielle française est un excellent moyen de dépolitiser les processus électoraux, tout en étant l’échéance politique majeure dans la vie politique. C’est en même temps celle qui structure les institutions, grâce aux élections législatives qui succèdent qui donnent au candidat qui a gagné l’élection présidentielle l’assemblée nationale, et celle dans laquelle les positionnements sur les individus, les petites phrases, l’air du temps sont déterminants. Les votes motivés par l’adhésion aux programmes sont marginaux au regard de ce qui se joue dans l’élection, ce qui permet à Macron aujourd’hui d’annoncer une offensive sociale brutale sans que cela provoque de réaction, parce que ce qui est au centre des préoccupations c’est autre chose, parce que ce qui est essentiel n’est pas débattu.
Cette dépolitisation n’empêche pas que l’élection à la présidence et à l’assemblée de néolibéraux de droite ou de sociolibéraux finissent par avoir des effets sur l’ensemble de l’appareil d’Etat, c’est à dire l’instrument de domination de la bourgeoisie, ce qui a évidemment des effets majeurs dans le rapport de force entre les classes.
Que ce soit pour Poutou ou Mélenchon, ce qui détermine le résultat final, c’est à dire le vote au-delà des inconditionnel-le-s qui sont peu nombreux (quelque chose comme trois, quatre ou cinq fois la participation aux meetings) est la sensation, la réaction à un événement, la volonté d’utiliser le vote pour bousculer quelque chose, … ou même le hasard. Quelle signification donner au vote d’une personne de droite pour Mélenchon au premier tour pour éviter que Le Pen y soit présente, et qui votera Macron au second tour de toute façon ? On peut continuer à l’infini les hypothèses farfelues. Depuis que l’assurance d’un second tour droite/gauche, qui donnait la possibilité de choisir au premier tour entre les candidat-e-s de gauche et d’éliminer la droite au second, a disparu, les motivations diverses conduisent à des choix imprévisibles, à des votes aléatoires et volatils. Qui aurait prévu l’élection de Macron un an avant ?
C’est ce qu’a très bien compris Mélenchon, qui a structuré toute sa campagne sur la création d’une dynamique individuelle, bien organisée et rodée, qui le met devant tou-te-s les candidat-e-s à gauche et donc pousse au vote pour lui pour éviter un second tour Macron/Le Pen. Le fait qu’un second tour puisse être celui-là ne peut être écarté d’un revers de main, comme habituel, car la situation s’est dégradée, car l’extrême droite et la droite extrême atteignent les 40 % dans les intentions de vote, et du coup l’élection de Le Pen n’est plus une hypothèse d’école vu la façon dont monte le rejet de Macron.
De ce point de vue, nous n’avons pas d’intérêts distincts de ceux de l’ensemble de la classe des exploité-e-s et des opprimé-e-s : si nous pouvons éviter une élection de Macron ou de Le Pen, ce serait une bonne chose. Empêcher l’élection de Le Pen est essentiel : l’ensemble de l’appareil d’Etat, des institutions obéirait alors à un exécutif fasciste, son élection aurait des conséquences majeures sur les conditions des luttes de classe en France, serait un saut qualitatif dans l’offensive contre toute perspective émancipatrice. Éviter que Le Pen soit présente au second tour élimine au moins le risque qu’elle batte Macron et soit élue. Car ce risque est aujourd’hui majeur.
Nous devons tout faire pour que cela ne se produise pas : la lutte contre l’extrême droite et le fascisme passe aussi par les élections en la circonstance. Battre Le Pen dans les urnes ne réduit pas immédiatement la force électorale, sociale des courants fascistes, mais elle les empêche de mettre la main sur les institutions, sur l’appareil d’Etat. Ce n’est pas rien pour le rapport de force entre les classes !
Est-ce le vote pour Poutou empêche la présence de Mélenchon au second tour à la place de Le Pen ? Ce n’est pas évident, d’abord parce que la montée de Le Pen en même temps que la chute de Zemmour et de Pécresse fait remonter le niveau d’accès au second tour, et que ce sont surtout les voix pour Roussel qui peuvent manquer. Ensuite parce qu’il y a une petite frange de d’exploité-e-s et d’opprimé-e-s, en particulier des jeunes, qui ne rentrent pas dans la dynamique Mélenchon, ne supportent pas ses positions internationales, la personnalisation autour de lui, etc … et qui de toute façon, Poutou ou pas présent, ne voteraient pas pour lui.
Le débat le plus important me semble être ailleurs.
Le bilan politique de cette campagne présidentielle est catastrophique, à la mesure du rapport de force actuel entre les classes. La campagne raciste contre les migrant-e-s et la campagne illibérale sur les questions sécuritaires ont occupé les droites et extrême droite, et donc une place certaine. Seule une question économique, celle du « pouvoir d’achat », a occupé une certaine place, mais n’est pas structurante parce liée à de multiples facteurs et ouvrant la porte à des réponses bien éloignées de la nécessaire répartition des richesses.
Mais les questions majeures, l’effet des politiques néolibérales sur l’ensemble de la société, ce que montre la pandémie, les effets du dérèglement climatique, ainsi que la montée politique des courants les plus réactionnaires, fascistes, qui sont elles structurantes pour les combats de classes des mois et années à venir, ont été marginalisées, voir même absentes.
Pour le NPA l’objectif était d’exister sur le champ politique : la campagne a mis dans le paysage une organisation anticapitaliste à gauche de Mélenchon qui dénonce le capitalisme, qui est ouverte aux mouvements qui existent dans la société, et que n’est pas la secte économiste LO. Elle a réussi a avoir un impact dans une partie de la jeunesse. Cette existence, pour avoir du sens, doit permettre de faire avancer des perspectives immédiates utiles pour l’ensemble des exploité-e-s et des opprimé-e-s. Et elles ne peuvent se concentrer sur la nécessité des luttes, et nous n’avons pas réussi à faire entendre une démarche transitoire, indispensable pour convaincre de l’efficacité de l’affrontement avec les politiques néolibérales.
Si c’est Macron qui est élu, L’enjeu des semaines et des mois qui viennent va être de trouver les moyens d’unifier les ripostes sociales et politiques indispensables, contre les politiques macroniennes et contre la montée de l’extrême droite et sa capacité à influer sur la droite parlementaire et à unifier ce camp réactionnaire. Cela passe par des mobilisations bien sur, mais aussi par une réponse politique du camp des exploité-e-s et des opprimé-e-s, par une avancée vers la construction d’un expression politique de ce camp, qui parte à la fois des forces politiques et sociales existantes, et par une organisation par en bas de cette résistance.
Nous devons tenir compte qu’une bonne partie de toutes celles et tous ceux qui sont essentiel-le-s pour un tel projet sont aujourd’hui focalisé-e-s par l’opération de Mélenchon autour du parlement de l’union populaire et la possibilité d’accéder au second tour , et que nous devons faire des propositions pour retisser des liens avec elles et eux pour enfin essayer de peser sur les échéances à venir, tant électorales aux législatives, que sociales. C’est de ce côté que se trouvent les acteurs et actrices du mouvement social, syndical et politique centraux pour un projet de reconstruction d’une force politique alternative en France, pas du côté de celles et ceux qui ont soutenu la campagne réactionnaire du PCF, ou la campagne économiste atemporelle et apolitique de LO.
Il est essentiel que notre démarche ne soit pas opposée, mais complémentaire à celles et ceux qui votent Mélenchon pour empêcher Le Pen d’être présente au second tour, ou pour bousculer les politiques néolibérales, il est tout aussi important que nous gardions par nos choix et notre attitude la possibilité de débattre avec celles et ceux qui pensent que dans le rapport de force actuel, la solution social démocrate d’orientation keynésienne, national républicaine de Mélenchon est acceptable, sans croire au projet personnel de Mélenchon lui-même. S’il est évident que l’application du programme « l’avenir en commun », ( ce qui n’est qu’une hypothèse, tant l’élection de Mélenchon est totalement improbable, encore plus que sa présence au second tour) provoquerait un affrontement majeur avec la bourgeoisie et toutes les forces néolibérales, c’est alors l’action organisée des classes populaires qui serait décisive, ce que refuse de faire Mélenchon. C’est donc sur ce point que nous devons travailler, et vite après le choc politique que risque d’être cette élection.
Le début d’échanges sur la place des réponses institutionnelles montre qu’il y a besoin d’une réflexion sur la place des élections, des élu-es, des institutions bourgeoises dans tout projet révolutionnaire, cela dans une société où la démocratie bourgeoise existe et structure l’essentiel de la vie politique depuis plus d’un siècle.
Les élections comme la présidentielle sont des échéances politiques qui ont des effets pratiques pour celles et ceux d’en bas, comme pour les rapports de force entre les classes. Et la masse des exploité-e-s et des opprimé-e-s le comprend, avec des illusions parfois, mais convenons que l’idée que tout peut changer par les élections n’est pas vraiment dominante, a été remplacée par la disparition de toute perspective de changement du monde. Et les processus électoraux peuvent engager des modifications essentielles pour les conditions du combat entre les classes.
La classe des exploité-e-s et des opprimé-e-s a donc besoin de forces politiques qui lui permettent de peser dans les enjeux politiques qui se présentent, des forces qui ne soient pas marginales dans ces processus électoraux tout en préparant les affrontements politiques et sociaux en dehors des institutions. Pour se poser la question du pouvoir des travailleurs, un courant révolutionnaire doit être en position de poser centralement la question du pouvoir politique, offrir des perspectives sur ce terrain y compris de manière électorale au sein des institutions bourgeoises, pour que la question se pose pour la masse des exploité-e-s et des opprimé-e-s. Notre réponse ne peut se limiter au couple lutte pour les revendications ou le plus souvent de résistance / propagande pour la révolution, mais doit avoir un objectif capable de bousculer les rapports de force là où se posent les combats politiques d’aujourd’hui.
Patrick Le Moal
Rouen, le 8 avril 2022