Réponse aux questions envoyées à Philippe Poutou par :
Mathieu Flammarion
Info Birmanie
MVAC, 4 rue des Arènes, 75005 Paris
www.info-birmanie.org / infobirmanie gmail.com
Nous pensons nous aussi qu’il ne faut pas oublier la Birmanie à l’heure où toute l’attention se porte (légitimement) sur l’invasion russe de l’Ukraine. Nous avons été touchés d’apprendre que des Birman.es avaient manifesté leur solidarité envers les Ukrainien.nes.
Nous sommes pleinement conscient.es des enjeux de la crise birmane. Notre organisation, le NPA, a d’emblée pris la mesure du caractère exceptionnel de la situation créée par le putsch militaire du 1er avril 2021, avec la formation immédiate du Mouvement de désobéissance civique (MDC) et la grève générale qui a mis à l’arrêt le pays. Nous avons activement dénoncé le putsch et appelé à soutenir le MDC.
Nous n’avions aucun contact en Birmanie, un pays dont nous ne connaissions que bien peu de choses. Quelques membres du NPA s’étaient engagé.es dans la solidarité Birmanie lors des premières campagnes pour la libération d’Aung San Suu Ky, mais le fil avait été rompu. Nous avons cependant régulièrement couvert l’évolution de la situation, avec des articles dans notre hebdomadaire et une documentation plus développée sur notre site Internet en utilisant, en particulier, des traductions françaises parues sur le site suisse « A l’Encontre », sur le site français d’Europe solidaire sans frontière (ESSF), ainsi que sur le site du Réseau syndical international de solidarité et de luttes. Dès sa formation, nous avons soutenu la Communauté birmane de France (CBF).
Nous avons aussi pu bénéficier des informations que nous ont communiquées des organisations avec lesquelles nous sommes en relations régulières en Asie du Sud et du Sud-Est. Nous suivons par ailleurs l’actualité via des publications en anglais tel l’Irrawaddy.
Nous nous sommes, dès le lendemain du 1er février 2021, joints aux appels à la solidarité. Nous avons, ainsi que bon nombre de militant.es du NPA, contribué au soutien financier à la résistance birmane (soutien qui se poursuit encore).
Nous pensons que si les sanctions contre la junte militaire avaient été à la hauteur des enjeux, le putsch aurait pu être mis en échec. Malheureusement, cela n’a pas été le cas, la junte (avec l’aide de la Russie, mais pas seulement !) a pu s’engager dans une politique sans merci de répression massive et la grève civique a donné naissance à la résistance armée, y compris en pays Bamar, dans la plaine centrale, puis à la formation du gouvernement d’unité nationale (GUN), dont nous avons noté la composition multiethnique et sa volonté de reconnaître les terribles torts faits aux Rohingyas.
1. Ce qui nous amène à répondre à votre première question : nous pensons que le Gouvernement d’Unité nationale doit être formellement reconnu par la France, par tous les pays et dans toutes les instances internationales d’où la junte militaire doit être chassée.
2. Nous sommes pour que la junte birmane soit poursuivie pour crimes contre l’humanité devant la Cour pénale internationale, en particulier pour le génocide perpétré à l’encontre des Rohingyas. Notons que le rôle joué dans le passé par Aung San Suu Kyi, qui a activement défendu l’armée devant les instances internationales, ne pourra qu’être soulevé à cette occasion.
3. Nous sommes pour en finir avec le mode de fonctionnement particulièrement antidémocratique du Conseil de sécurité de l’ONU – les membres permanents et le droit de veto – qui permet à cinq puissances (inclus la France, soit dit en passant) de s’arroger des droits spéciaux à l’encontre de tous les autres Etats. Une réforme en profondeur de l’ONU ne pourrait aller dans le bon sens qu’en commençant par le « sommet ».
4. Nous sommes en faveur des sanctions contre le MOGE et les conglomérats liés à la hiérarchie militaire birmane. TotalEnergie ne doit plus financer la MOGE sous quelque forme que ce soit. Aucune banque ou entreprise française ne doit pouvoir continuer à financer et investir dans l’économie kaki. Toutes les ambiguïtés à ce sujet de la politique de l’Union européenne doivent être levées. Il y a plus. Nous suivons avec beaucoup d’intérêt le travail remarquable effectué par l’association Justice for Myanmar qui montre, notamment, comment des équipements de surveillance et du matériel de haute technologie sont fournis à la junte par des entreprises européennes. Comme vous le dites, aucune entreprise française (ou européenne), où qu’elle se trouve, ne doit pouvoir continuer à alimenter en toute impunité un régime criminel.
L’éventualité que Philippe Poutou soit élu président de la République n’étant pas l’hypothèse la plus probable, ce à quoi nous nous engageons, c’est de poursuivre le travail de solidarité multiforme envers la résistance à la dictature militaire, dans le bassin de l’Irrawaddy comme dans la périphérie montagnarde, en collaboration avec les nombreuses associations qui se mobilisent aux frontières pour ce faire.
L’équipe de campagne de Philippe Poutou, candidat du Nouveau Parti anticapitaliste (NPA)
Lettre d’Info Birmanie
Info Birmanie, MVAC 4 rue des Arènes 75005 Paris
www.info-birmanie.org / infobirmanie gmail.com
M. Poutou
Paris, le 7 mars 2022
Objet : Info Birmanie interpelle les candidat(e)s à l’élection présidentielle
Monsieur Poutou,
A l’heure où l’invasion de l’Ukraine par la Russie mobilise l’attention des médias et des candidats à l’élection présidentielle, Info Birmanie tient à alerter sur le sort du peuple birman qui lutte lui aussi pour la démocratie, face à une junte militaire dont la Russie représente le principal allié militaire et diplomatique.
La junte birmane s’est empressée de saluer l’invasion russe, alors que le gouvernement d’unité nationale (NUG, démocratique) - composé pour partie d’élus déchus par le coup d’Etat militaire du 1er février 2021 - dénonce l’acte de guerre de la Russie et exprime sa solidarité avec le peuple ukrainien. D’un côté, le camp de l’arbitraire, de la répression et de la barbarie, de l’autre celui de la démocratie. On peut d’ailleurs entendre ces jours-ci des voix de la société civile birmane exprimer que si le peuple birman recevait le dixième du soutien – sous toutes ses formes - destiné aux Ukrainiens, il pourrait en finir avec la dictature qui l’oppresse et restaurer la démocratie.
La junte militaire, non reconnue au niveau international et qualifiée d’organisation terroriste par un expert indépendant de l’ONU, plonge le pays dans le chaos. Selon l’Index de l’Economist Intelligence Unit (EIU) 2021, la Birmanie compte désormais parmi les 3 pays les moins démocratiques au monde, derrière la Corée du Nord et devant l’Afghanistan. C’est aussi devenu l’un des plus dangereux. Tous les indicateurs sont au rouge : situation des droits humains, situation humanitaire, indicateurs économiques, conflits armés. La répression a fait plus de 1500 morts et des milliers de blessés [1]. Plus de 12 000 personnes ont été arrêtées et plus de 6100 maisons incendiées. Le nombre de déplacés internes a doublé en un an, avec plus de 450 000 IDP supplémentaires à cause des combats. Plus de 14 millions de birmans ont besoin d’aide humanitaire et la moitié de la population a basculé sous le seuil de pauvreté. Parce que l’issue du combat démocratique birman nous concerne tous, parce que la junte birmane participe de cette menace que les régimes dictatoriaux et autoritaires représentent pour la sécurité du monde et la préservation des valeurs démocratiques, nous vous soumettons une série de questions.
Quatre thématiques, pour savoir quelle politique vous entendez mener sur le dossier birman si vous êtes élu(e) à la Présidence de la République :
1/ Reconnaissance / Collaboration de la France avec le Gouvernement d’unité nationale
Le 5 octobre 2021, le Sénat français a voté une résolution appelant à la reconnaissance par la France du Gouvernement d’Unité Nationale (NUG) en tant que seul gouvernement légitime élu de la Birmanie. La résolution votée par l’Assemblée nationale le 23 février 2022 demande au gouvernement français de « soutenir les représentants légitimement élus du peuple birman ».
Si vous êtes élu(e), quelle sera la nature et la forme que vous donnerez à la collaboration de la France avec le NUG face à la junte militaire ? Quel soutien diplomatique et matériel entendez-vous lui apporter ?
2/ Justice Internationale / Lutte contre l’impunité
La junte birmane est mise en cause pour crimes de guerre et crimes contre l’Humanité, mais continue d’agir en toute impunité. Depuis des décennies, les militaires commettent des crimes de guerre, des crimes contre l’Humanité, voire de génocide dans le cas des Rohingya (cette qualification reste à trancher par un juge). Depuis 2019, une enquête préliminaire est en cours devant la Cour Pénale Internationale (CPI) à l’initiative de son Procureur, s’agissant de certains crimes subis par les Rohingya. La même année, la Gambie a déposé une requête devant la Cour Internationale de Justice (CIJ) mettant en cause l’Etat birman pour violation de la Convention sur le génocide de 1948. Ces procédures en cours représentent un espoir pour toutes les victimes de la junte.
Si vous êtes élu(e), la France se joindra-t-elle à la requête déposée par la Gambie, comme l’ont fait, en septembre 2020, des pays tels que le Canada et les Pays-Bas ? Comment entendez-vous promouvoir la justice internationale et la lutte contre l’impunité face aux crimes les plus graves perpétrés par la junte actuelle en Birmanie ?
3/ Paralysie du Conseil de sécurité / Réforme de l’ONU
Le Conseil de sécurité de l’ONU est entièrement paralysé par les vétos russe et chinois dans le dossier birman. En conséquence, aucune résolution contraignante n’a pu être adoptée ces dernières années en dépit de l’extrême gravité de la situation en Birmanie, qu’il s’agisse d’un embargo sur les armes ou d’une saisine de la Cour Pénale Internationale (CPI) par le Conseil de sécurité qui permettrait de couvrir l’ensemble des crimes commis par les militaires à l’échelle du pays.
Quelle est votre position sur ce blocage persistant et par quelles initiatives appuierez-vous une réforme profonde des institutions de l’ONU pour remédier à cet échec, auquel nous assistons également dans le dossier Ukrainien ?
4/ Mise en œuvre des sanctions contre la MOGE / Entreprises françaises
Depuis 2019, la mission d’établissement des faits de l’ONU sur la situation en Birmanie alerte sur la nécessité pour les entreprises présentes en Birmanie de couper tout lien avec les militaires birmans, très présents dans l’économie du pays. Depuis le coup d’Etat militaire du 1er février 2021, plusieurs groupes internationaux ont rompu leurs liens avec la junte militaire - devenus intenables - sur fond d’une très forte mobilisation en ce sens de la société civile et du peuple birman. C’est dans ce contexte que le groupe TotalEnergies a annoncé son départ de Birmanie d’ici le mois de juillet 2021. Dans la foulée de cette annonce, l’Union Européenne (UE) a placé la Myanmar Oil and Gas Enterprise (MOGE) sous sanction, tout en assortissant celle-ci d’une dérogation dont la portée prête à interprétation. Human Rights Watch demande actuellement au gouvernement français de préciser que celle-ci ne permet pas à TotalEnergies de céder des parts à la MOGE. Elle ne devrait pas non plus permettre à TotalEnergies de poursuivre les paiements qui alimentent la junte militaire jusqu’au départ du groupe. D’autres entreprises françaises sont par ailleurs mises en cause pour leurs liens avec des entreprises liées à la junte, en particulier le secteur bancaire et financier dans le cadre de ses investissements (Crédit Agricole, BNP Paribas et Société Générale) [2].
Si vous êtes élu(e), quelle sera votre position au sujet des modalités de retrait de TotalEnergies et des entreprises françaises qui continuent d’être en lien avec des entreprises liées à la junte ? Plus largement, entendez-vous promouvoir l’application des lois existantes / et ou des réformes spécifiques visant à assurer qu’aucune entreprise française où qu’elle se trouve - ne puisse alimenter un régime criminel en toute impunité ?
Dans l’attente de vous lire, nous ne manquerons pas de rendre compte de vos réponses.
Cordialement,
Mathieu Flammarion,
Président d’Info Birmanie