Cette agression impérialiste prouve que la situation géopolitique mondiale est très volatile, ce que que nous avons analysée dans ce texte. La priorité stratégique de Joe Biden était la Chine et la région indo-pacifique. Et maintenant, il est obligé de se concentrer sur la Russie et l’Europe. En tout cas, la place centrale occupée par l’Eurasie dans les grands rapports de force et les différends se confirme.
La discussion au sein du CI a souligné la nécessité d’approfondir la réflexion sur (a) l’articulation entre les crises économique-sociale et géopolitique (en plus de la crise écologique), notamment après la crise économico-financière décisive de 2007-2008 ; (b) la question de savoir si, depuis la pandémie, cette combinaison de crises sans précédent a ouvert un nouveau moment, bien que défensif, dans la situation mondiale ; (c) l’absorption par la QI de l’idée de la crise de la reproduction sociale, du care (d’où l’importance à accorder aux thèmes du social care dans notre programme).
La défaite internationale que les mouvements révolutionnaires ont subie dans les années 1980 dans tous les grands secteurs géopolitiques a ouvert la voie à la contre-révolution néolibérale, à la mondialisation et financiarisation capitalistes de l’économie, à la réintégration dans le marché mondial de la Chine et de la Russie, initiant une nouvelle phase d’expansion du capital.
La phase triomphante de la mondialisation a été accompagnée d’une succession de soubresauts financiers, jusqu’à la grande crise dite des subprimes en 2007-2009, dont les conséquences perdurent aujourd’hui encore. L’impact économique et social de ces crises, et en particulier de la dernière, a été considérable, contribuant notamment à une redistribution internationale du capital aux dépens des pays les plus touchés (rachat d’entreprises à prix cassés) et à l’appauvrissement brutal de couches sociales. Dans plus d’un pays, les classes moyennes, ruinées, ont basculé à cette occasion dans la réaction.
Sur fond de crises pandémique (Covid-19), climatique et, plus généralement, écologique, la phase triomphante de la mondialisation capitaliste a laissé place à une mondialisation conflictuelle, lourde de contradictions. Un arc de crises anciennes (dette, gouvernance internationale, etc.) s’imbrique dorénavant de façon particulièrement dynamique et explosive, ouvrant une crise globale, multidimensionnelle, et imprimant un cours nouveau à la lutte géopolitique pour l’hégémonie entre les Etats-Unis et la Chine.
Le grand capital impérialiste (Occident, Japon) était convaincu de pouvoir se subordonner la Russie et la Chine (devenue l’atelier du monde) – et il aurait pu en être ainsi. Il n’avait pas prévu que les nouvelles classes bourgeoises en Chine, particulièrement, pourraient s’appuyer sur l’héritage de la révolution (à commencer par l’indépendance) pour utiliser à leur profit la liberté de circulation des marchandises et du capital instauré dans le marché mondial. Bien que la formation sociale chinoise présente effectivement des traits de subordination, le pays est devenu la deuxième puissance mondiale, bouleversant les rapports géopolitiques. Quant à la Russie, elle réaffirme son intention de maintenir sa zone d’influence autour de ce qui était autrefois l’empire tsariste et l’Union soviétique.
Le cadre général d’analyse développé par la Quatrième Internationale depuis le dernier Congrès mondial reste valide, mais la situation évolue rapidement. Nous devons prendre pleinement la mesure de l’accélération de la crise globale ouverte par le capitalisme, une question qui irrigue les trois textes en discussion au CI.
1. Approfondissement, aggravation des dynamiques antérieures
Après 40 ans de mondialisation néolibérale sous l’égide des Etats-Unis, les chaînes financières, de production et de services sont internationalisées. La « logique » du capital mondialisé exige une liberté de spéculation et d’investissement sans frontières. Elle entre en contradiction avec et la « logique » d’Etats qui, non seulement, limitent la libre circulation des travailleurs, mais s’opposent aujourd’hui au nom d’intérêts géostratégiques. Les conflits entre puissances conduisent en effet à découper des « camps » dans un monde marqué par un très haut degré d’interdépendance économique, interférant de plus en plus négativement avec le « bon fonctionnement » du système économique capitaliste (développement de technologies concurrentes et incompatibles…). Parmi les derniers exemples en date : Washington impose un durcissement des contrôles US (incluant un audit) sur les entités étrangères cotées à Wall Street et en réponse, au nom de la souveraineté nationale, Pékin commence à imposer à certaines des entreprises chinoises concernées par cette menace leur « rapatriement » à Hong Kong, ce qui pourrait conduire à un « découplage financier » international, de concert avec un « découplage technologique » partiel…
Dans le même temps, l’idée d’une « nouvelle guerre froide » entre une alliance occidentale (entendue dans son sens politique : incluant le Japon, la Corée du Sud, l’Australie...) et la Chine (avec ou sans la Russie) est de plus en plus propagée. À l’époque des « blocs Est et Ouest », la formule de la guerre froide était déjà inadéquate, car symptomatiquement européocentrique : la guerre en Asie était fort chaude, il suffit de se rappeler l’escalade américaine au Vietnam. À ce stade, l’analogie avec la situation de l’après-guerre est trompeuse, car la situation mondiale diffère profondément, la Chine et la Russie étant intégrées dans le même marché mondial que les États-Unis ou l’Union européenne. La mondialisation capitaliste est un fait essentiel.
Dans le domaine militaire, deux points chauds sont apparus : Taiwan entre les Etats-Unis et la Chine ; l’Ukraine et la Mer noire entre la Russie et l’Occident. Plus généralement, la course aux armements entre dans une nouvelle étape qui pourrait voir la mise au point d’armes (hypersoniques …) bouleversant les systèmes de missiles et boucliers antimissiles. La « miniaturisation » de l’arme nucléaire vise à rendre son utilisation sur un théâtre d’opérations politiquement acceptable. Les attributs de Grandes Puissances se complexifient. La Navale, avec ses armadas porte-avions et sa flotte de sous-marins, doit être aujourd’hui complétée par une recherche d’hégémonie dans l’espace, ainsi qu’en matière d’intelligence artificielle (permettant notamment la manipulation de l’information et des communications).
2. Une situation sans précédent
Pour répondre politiquement aux enjeux présents, nous devons donc partir de l’existence d’une convergence ou d’une articulation des crises, en un moment de bifurcation de l’histoire qui constitue un défi majeur pour tous les acteurs politiques.
• La crise écologique globale dont les peuples subissent déjà les effets et dont la réalité devient perceptible, provoquant des prises de conscience et le développement de nouveaux mouvements de résistance. Il s’agit bien évidemment du réchauffement climatique, mais aussi de l’effondrement de la biodiversité, de l’érosion des sols, de la raréfaction des ressources en eau potable…
• La crise de la mondialisation capitaliste qui ne se manifeste pas par une démondialisation ordonnée, mais par des contractions croissantes au sein d’un ordre néolibéral dominant qui n’est pas fondamentalement remis en cause, alors précisément qu’elle manifeste les désordres engendrés par le mode de régulation capitaliste néolibéral qui a commencé à être imposé voilà une cinquantaine d’années.
• La crise de la gouvernance capitaliste internationale (le « multilatéralisme ») dont Donald Trump a été le détonateur, mais que l’élection de Joe Biden ne permet pas de surmonter aisément. Elle exprime en effet une fracture du projet politique stratégique bourgeois, qui dure depuis le début du siècle, mais s’est aggravée ces 15 dernières années, entre les secteurs qui parient sur le vieux néolibéralisme démocratique cosmopolite et ceux qui, au vu de la perte de légitimité des « démocraties » dans le monde, parient sur des voies post-fascistes (nationalistes, xénophobes, racistes, obscurantistes) dont Trump, Bolsonaro, Duterte, Modi, Erdogan et tant de mouvements à l’Est comme à l’Ouest, au Nord comme au Sud, sont des exemples.
• La crise sanitaire provoquée par les particularités de la pandémie Covid-19. Contrairement à de précédentes épidémies de coronavirus, elle a pris une dimension proprement mondiale et s’est inscrite dans la durée du fait, notamment, d’une capacité de mutations de Sars-Cov-2 bien supérieure à ce qui était initialement prévu et de l’intensité des des échanges dans le cadre de la mondialisation. Nous étions déjà entrés dans une nouvelle période d’épidémies répétées, nous savons maintenant à quel point il s’agit d’un enjeu central à l’échelle internationale ! L’ampleur de la présente pandémie est sans précédent depuis la Première Guerre mondiale (la grippe dite espagnole).
• La crise sociale alimentée par les politiques néolibérales et l’ampleur des dettes publiques ou privées débouchant sur les processus de précarisation générale de secteurs sociaux entiers et au déchirement du tissu social dans diverses parties du monde. Exacerbées par le degré d’enrichissement des plus riches, par les épidémies et pandémies, les inégalités se creusent de façon exponentielle tant sur le plan international entre diverses régions, que sur le plan national au sein de la plupart des pays.
• La crise démocratique avec une tendance dominante aux attaques généralisées contre les libertés démocratiques ou les droits des personnes et des secteurs sociaux populaires, à la radicalisation de régimes autoritaires et la montée d’extrêmes droites et de courants fascisants de nature variés (y compris de références religieuses, et ce dans toutes les religions d’extension internationales).
• La crise de la citoyenneté avec l’accentuation des oppressions de classe, de genre, de « race », la remise en cause du droit de vote pour toutes et tous dans un nombre croissant de pays, et la perte de substance de la « démocratie bourgeoise » d’antan jusqu’en Occident.
Ces crises se combinent, se nourrissent les unes les autres, provoquant de multiples résistances sociales, parfois massives, y compris avec d’importantes répercussions politiques (voir l’élection présidentielle au Chili), mais qui ont du mal à s’inscrire dans la durée et à se coordonner.
3. Les conflits interimpérialistes de grandes puissances
La situation politique internationale est dominée par le conflit Washington / Pékin, la puissance établie (les Etats-Unis) faisant face à l’expansion de la puissance montante (la Chine), avec la Russie cherchant dans ce contexte à renforcer sa main. Il serait aventureux de prétendre prévoir l’avenir de ces conflits qui dépendra, notamment, de l’évolution de la situation interne dans ces pays.
Joe Biden a réussi ce qu’Obama avait voulu, mais n’avait pas pu : redéployer le dispositif US dans l’océan Pacifique, tout en s’appuyant sur des puissances régionales au Moyen-Orient (Israël, Arabie saoudite, Egypte…) pour défendre ses intérêts dans cette partie du monde. Face à la Chine, il veut renégocier le Partenariat transpacifique. Il a formalisé ses alliances dans le théâtre d’opérations indo-pacifique en donnant un contenu plus opérationnel à l’accord Quad (États-Unis, Inde, Japon, Australie) et en signant l’accord Aukus avec l’Australie et la Grande-Bretagne. C’est un succès du point de vue de l’impérialisme étatsunien qui, par ailleurs, possède la première armée au monde (de loin), et bénéficie d’un réseau sans pareil d’alliances étatiques et de 750 bases militaires réparties dans 80 pays.
La Chine en revanche ne possède qu’une seule véritable base militaire à l’étranger, même si elle possède de nombreux ports dans le monde où sa flotte peut mouiller. En dehors de l’Eurasie, elle n’a pas d’alliés de poids, même si elle a des Etats clients. Notons cependant que :
• Si la débâcle afghane n’a pas signifié le retrait US de la zone asiatique, elle renforce la main de la Chine en Asie centrale.
• Des alliés US comme l’Inde ou le Japon ont leurs propres intérêts à défendre face à la Chine qui ne correspondront pas nécessairement toujours avec les priorités de Washington.
• Les Etats-Unis sont moins présents sur le continent eurasiatique que la Chine dont l’expansion est considérable. L’Union européenne a joué hier un rôle important pour consolider l’ordre de l’OMC, mais elle ne pèse que fort peu dans les principales zones de conflit. Elle n’offre même pas aux USA un allié efficace sur le continent, en particulier quand la Chine et la Russie s’allient. L’Europe de l’Ouest, berceau des impérialismes traditionnels, n’est pas le centre de gravité de l’Eurasie.
• Malgré leur suprématie militaire globale, les Etats-Unis ne sont pas en position de force en mer de Chine que Pékin a militarisée aux dépens des pays limitrophes. La puissance de feu chinoise dans cet espace est décuplée par sa proximité géographique, jamais bien loin de ses côtes, et par un dispositif de transport continental qui lui permet un déploiement rapide de ses forces. Un conflit militaire autour de Taiwan tournerait à son avantage.
Bien entendu, Washington aurait la possibilité de contre-attaquer ailleurs en coupant militairement les lignes d’approvisionnement de Pékin, en réduisant ses possibilités d’utiliser les échanges bancaires internationaux, etc. Mais cela voudrait dire s’engager dans un conflit mondial avec des risques d’effondrement du système économique. Objectivement, ni la Chine ni les Etats-Unis n’ont intérêt à un tel conflit. La guerre est improbable, mais elle n’est pas impensable. Un accident est toujours possible, ainsi qu’une crise politique ou sociale dans l’un des pays concernés. La position de Joe Biden est très fragile, le trumpisme reste très puissant aux USA. La position de Xi Jinping n’est pas consolidée, peut-être plus fragile qu’il n’y paraît.
La Russie bénéficie de sa position géostratégique en Eurasie, de ses ressources énergétiques, de sa production d’armements, de son savoir-faire en matière de logistique militaire, de sa flotte de sous-marins (bien supérieure à celle de la Chine), de solides points d’appui au Moyen-Orient (notamment en Syrie), de ses réseaux de pirates informatiques. Elle ne constitue pas à proprement parler une troisième puissance mondiale, mais elle s’est renforcée dans son espace géopolitique en soutenant la répression brutale des manifestations au Belarus ou au Kazakhstan, en maintenant la Géorgie divisée, en jouant le bras de fer sur l’Ukraine et la question de l’OTAN…. Elle peut de même concurrencer ses rivaux en Afrique, grâce notamment à l’exportation de ses mercenaires (l’organisation Wagner) en contrepartie d’avantages économiques et politiques.
La Russie et la Chine se font concurrence, tout particulièrement dans les anciennes Républiques soviétiques d’Asie centrale, mais elles font aussi bloc contre l’Alliance atlantique et l’OTAN. [coupe]. Dans la situation présente, l’alliance entre Pékin et Moscou tend à se consolider, en faisant peser la menace d’un conflit militaire simultané autour de Taïwan et aux frontières est- européennes.
Le Japon est directement concerné par les deux points « chauds » que sont la péninsule coréenne et Taiwan. Tokyo vise, en profitant de ce contexte, à achever sa politique de réarmement complet, à s’émanciper définitivement de la clause pacifiste de la Constitution japonaise et à neutraliser la pression d’une opinion publique anti-guerre. Le rôle de l’impérialisme nippon croît dans le Pacifique Nord.
Les puissances impérialistes européennes, l’Allemagne et la France en premier lieu, se trouvent en position de marginalité par rapport au conflit USA/Chine. Plus généralement, elles se trouvent en situation de faiblesse face aux enjeux internationaux. L’Union européenne est affaiblie à la fois par le Brexit et le poids maintenu de la pandémie en Europe de l’ouest, qui compromet sa place dans la reprise économique. De plus, une série de ses contradictions se révèlent être un obstacle pour jouer un rôle politique correspondant à son poids économique de troisième pôle mondial.
L’Union européenne est, elle aussi, largement dépendante des chaînes de valeurs internationales et, de plus, l’Allemagne, dépendante de la Russie pour son approvisionnement en énergie (renforcé par la réalisation du gazoduc Nordstream 2) et la Chine détient une place importante dans ses exportations [coupe].
Les préoccupations principales des dirigeants européens, avant tout allemands, se situent à l’Est et dans le bassin oriental de la Méditerranée, avec à la fois la question ukrainienne, les relations au sein d’une UE affaiblie avec le groupe de Visegrad (Pologne, Hongrie, République tchèque et Slovaquie) dont les régimes jouent la carte de la contraction nationaliste avec des régimes autoritaires.
De plus, les dirigeants européens cherchent à avoir une politique indépendante vis-à-vis de la Russie avec laquelle ils doivent gérer la question ukrainienne.
Les USA, tout en ayant, avec l’administration Biden, encore augmenté l’aide militaire à l’Ukraine (elle arrive en 3e position de l’aide militaire américaine, après Israël et l’Egypte), appuient, pour l’instant, la politique de modération demandée par l’Allemagne en refusant la prolongation des sanctions visant la mise en service de Nordstream2.
A la question ukrainienne, s’ajoute celle de la politique turque. Tout en pesant au maximum comme membre de l’OTAN, notamment dans le soutien au gouvernement ukrainien, et en cherchant le soutien de l’Allemagne, la Turquie joue sa propre partition dans le bassin oriental de la Méditerranée. Ce pays joue un rôle de verrou policier contre l’accès des migrants en Europe, et cherche à développer sa propre indépendance énergétique et son rôle régional, par ses accords avec la Lybie et ses prospections gazières sous-marines, concurrente du projet EastMed Gréce/Israël/Chypre qui a le soutien de la France.
De plus, la France notamment, qui a beaucoup moins de poids économique vis-à-vis de l’Europe de l’Est, de l’Ukraine et de la Russie, essaie de compenser cette faiblesse par son poids diplomatique et son statut de membre permanent du Conseil de Sécurité des Nations Unies. Mais elle a déjà perdu beaucoup de son poids dans le Maghreb ; elle est aussi affaiblie par la situation dans les Antilles françaises et son coup de force en Kanaky et se retrouve de même en situation de faiblesse dans sa zone d’influence traditionnelle en Afrique subsaharienne. Le retrait du Mali fait ressortir l’incapacité de ses forces militaires de sécuriser les intérêts impérialistes dans une zone importante d’approvisionnement en matières premières. L’Allemagne, d’ailleurs, a accru ces dernières années ses efforts pour elle aussi prendre part au dispositif militaire dans une région qui, malgré des enjeux économiques importants dans les années à venir, n’est plus une zone préservée pour les intérêts économiques européens.
De façon générale, les puissances régionales peuvent jouer leur propre jeu et pas seulement servir de relais qui aux Etats-Unis, qui à la Chine, qui à la Russie, qui au Japon. Si les rapports de domination de type « nord-sud » n’ont pas disparu, ni le Nord ni le Sud ne sont aujourd’hui des réalités homogènes.
4. L’Eurasie et la zone Indo-Pacifique
Le conflit Etats-Unis / Chine se joue sur tous les continents, mais pas sous les mêmes formes ni avec la même intensité. Suivant les continents et les zones océaniques, les autres impérialismes et les puissances régionales jouent des rôles plus ou moins importants. L’histoire politique et l’héritage des mouvements populaires façonnent diversement les résistances à l’ordre néolibéral.
L’ensemble formé par l’Eurasie et la zone Indo-Pacifique occupe cependant aujourd’hui une place nodale dans l’économie et la géopolitique mondiale.
C’est dans cet ensemble que toutes les grandes puissances se retrouvent face à face, y compris sur le plan militaire. La crise coréenne concerne très directement les Etats-Unis, le Japon, la Russie et la Chine. La mer de Chine est l’une des principales voies de communication économiques du monde, où le droit de navigation est l’objet de constants conflits. Des arcs de bases états-uniennes visent à contrôler de déploiement au grand large des forces navales chinoises. Les Etats insulaires du Pacifique sud sont l’objet d’une intense lutte d’influence entre USA, Australie, Chine (et France grâce au maintien de la Kanaky-Nouvelle Calédonie dans le giron colonial).
Moyen-Orient. La stabilité relative de la situation au Moyen-Orient n’est peut-être que temporaire. Elle peut laisser rapidement place à une crise « chaude », en tout cas en ce qui concerne la question de l’Iran [à développer].
En Amérique latine, les États-Unis maintiennent le blocus économico-financier des gouvernements de Cuba et du Venezuela, avec lesquels ils mènent la traditionnelle lutte idéologique. Elle préserve ses bases militaires en Colombie, maintient sa Quatrième Flotte dans l’Atlantique Sud, effectue des manœuvres militaires conjointes avec l’armée brésilienne de Bolsonaro et poursuit sa présence économique et politique traditionnelle en Amérique centrale continentale.
Dans l’ensemble, cependant, les grandes multinationales américaines partagent de plus en plus le marché de l’« arrière-cour » avec des banques, des industries et des sociétés de télécommunications d’Europe, de Chine, de Corée et même d’Inde. M. Biden utilise les négociations avec le gouvernement mexicain pour tenter de faire en sorte que ce partenaire subalterne ralentisse la vague de migration en provenance d’Amérique centrale, des Caraïbes et du Sud. Sous sa direction, les États-Unis ont mis un terme aux escarmouches directes avec la Bolivie, le Chili et l’Argentine, bien que les situations instables au Pérou, probablement au Chili et au Brésil polarisé, puissent les conduire à de nouvelles poussées interventionnistes.
[Il manque une synthèse africaine]
5. Pour un renouveau internationaliste
L’internationalisme est l’expression d’une solidarité qui constitue l’un des fondements essentiels à notre engagement dans le combat pour le socialisme. Il est aussi une nécessité stratégique. Nos adversaires opèrent mondialement. Les défis auxquels nous sommes confrontés ne peuvent être relevés qu’à l’échelle internationale.
Contribuer à un renouveau internationaliste constitue ainsi l’une des principales responsabilités de notre Internationale. Il faut, à cette fin, collaborer avec toutes les forces qui y sont disposées en s’opposant partout à l’impérialisme, en luttant partout pour une « démocratie réelle », en défendant partout les peuples opprimés.
• Le « campisme » représente un obstacle majeur à la mise en œuvre d’un tel internationalisme. En se situant sur le plan des rapports entre Etats, avant celui de la solidarité entre peuples, il conduit en effet à sacrifier des populations victimes d’une grande puissance (en l’occurrence la Chine et la Russie) et de régimes répressifs (ou de mouvements contre-révolutionnaires), du moment qu’ils seraient peu ou prou anti-américains.
A l’époque de la guerre froide, et jusqu’à la fin des années 80, le campisme amenait des courants de gauche à oublier ou justifier les crimes des bureaucraties soviétiques et chinoises par la défense de régimes issus de révolutions socialistes. Dans les deux dernières décennies, la nécessaire mobilisation face aux interventions impérialistes amena aussi certains à taire la nature réactionnaire des régimes de Saddam Hussein, Bachar El Assad ou de Kadhafi, ignorant la nécessaire solidarité avec les courants démocratiques de résistance à ces régimes et érigeant des dictateurs en champions de la lutte anti-impérialistes. Aujourd’hui, l’histoire se répète sous forme caricaturale et les régimes de Poutine et de Xi Jinping trouvent dans les pays occidentaux de véritables ambassadeurs au sein de la gauche, gommant la nature inter-impérialiste des conflits qui opposent USA, Chine et Russie et excusant la nature oppressive et dictatoriale de ces régimes, comme si ne se posait pas, dans ces pays comme ailleurs, la nécessité d’imposer les droits démocratiques.
• Avec la pandémie Covid-19, le coût exorbitant que nous payons du fait de l’ordre néolibéral et de l’emprise de Big Pharma a été mis en pleine lumière. Cette leçon de choses est valide pour toutes les épidémies, notamment là où Covid-19 n’est pas la plus meurtrière. Le combat pour le droit à la santé a véritablement pris une dimension internationale autour de l’exigence de la levée des brevets sur les vaccins contre le coronavirus et pour permettre aux pays du Sud de produire les vaccins et d’assurer des campagnes de vaccination efficaces. A l’autoritarisme prévalent dans la gestion de la crise par les classes dominantes, il faut opposer les principes d’une politique de démocratie sanitaire associant les populations à la définition et la mise en œuvre de la santé communautaire. Aux courants obscurantistes qui se nourrissent de cette crise, il faut opposer notre politique alternative, mais aussi contribuer à assurer une information rationnelle, où l’analyse est fondée sur l’état des connaissances (autocritique) scientifiques.
• Il est urgent de se mobiliser pour la reconstitution d’un mouvement anti-guerre mondial. Même si l’on peut aujourd’hui penser que la guerre entre grandes puissances et improbable, elle est n’est pas inimaginable. La menace de guerre est en elle-même inacceptable, en particulier quand elle prend une dimension nucléaire, ce qui est le cas aujourd’hui. A l’heure de la crise climatique, il est totalement irresponsable de déployer des centaines de milliers de soldats et toute la logistique qui va avec – le fait que l’armement fasse partie des secteurs qui ne sont pas pris en compte dans le calcul prévisionnel du réchauffement climatique est d’une hypocrisie sans nom ! S’en remettre à la diplomatie pour sauver la paix, c’est hypothéquer l’avenir et avaliser l’idée selon laquelle les peuples ne pourraient être, au bout du compte, que des spectateurs passifs.
Le sentiment antiguerre a été ravivé dans divers pays (dont les Etats-Unis), notamment par la crise afghane, mais la capacité d’actions antiguerre coordonnées sur le plan international reste bien en deçà des nécessités. Nous devons retrouver et raviver les meilleures traditions des puissants mouvements anti-guerre des années 70. Les puissants mouvements anti-guerres des années 60 et 70 aux USA et en Europe, les mobilisations contre le déploiement des Pershing dans les années 80, ont joué un rôle essentiel dans l’arrêt des escalades militaires et vivifié, à l’époque, les mouvements populaires et les mobilisations de la jeunesse. Des forces militantes vives se mobilisent aujourd’hui dans beaucoup de pays contre les injustices sociales, le réchauffement climatique et les discriminations sexistes et raciales. Il devient aussi une tâche militante urgente que se construire un mouvement international anti-guerre qui construise une solidarité et mette au premier plan le droit des peuples menacés par les interventions des impérialismes concurrents.
• La question des migrations et des frontières a pris une ampleur sans précédent. Des murs physiques ne cessent de s’ériger en Europe, en Amérique du Nord, ainsi que des murs juridiques (détention de migrant.es au large de ses côtes par l’Australie, accords entre l’Union européenne et la Turquie…).
L’Europe forteresse n’a jamais si bien mérité son nom avec Frontex, une agence disposant aujourd’hui de pouvoirs exorbitants et opaques.
La solidarité doit s’affirmer de part et d’autre des murs, pour la sauvegarde des populations déplacées, pour le respect de la liberté de déplacement ainsi que du droit d’asile que les gouvernements concernés ignorent de façon délibérée (voir notamment le sort fait aux réfugié.es syriens ou afghans).
Les déplacements forcés de population sont une conséquence inévitable de la crise globale que nous traversons et qui est, pour une grande part, de la responsabilité de l’ordre dominant (nourrissant la crise écologique et la précarité généralisée). La très grande majorité des migrations sont régionales (entre pays dit du Sud), voire nationales (au sein d’un même pays). Une réalité que le discours anti-migrants dans les pays du « centre » masque volontairement.
• Les « murs » ne se construisent pas que sur les continents. Le droit maritime façonné par l’intérêt des puissances multiplie des frontières maritimes qui privatisent et contribue à militariser les mers et les océans. L’avenir écologique de la planète et les conséquences du réchauffement climatique se jouent pour une part importante dans les océans. Les océans doivent (re)devenir un bien commun, des espaces de coopération internationale au bénéfice des populations riveraines vivant de la pêche et de la sauvegarde de la biodiversité.
• A la politique de sécurité imposée par les puissances (en termes de pouvoirs), opposons une politique de sécurité fondée sur la solidarité entre peuples et la primauté des droits. A cette fin, contribuons à renforcer les alliances entre mouvements progressistes dans toutes les zones de conflits pour affirmer les solidarités par-delà les frontières - comme cela se fait entre Pakistanais et Indiens, par exemple, contre la menace nucléaire, en déployant des structures de coopération régionales , en Europe orientale...
• Contribuons à renforcer les traditions de soutiens réciproques entre ces réseaux régionaux et à les mobiliser en commun face à des crises particulièrement importantes (Birmanie).
• Contribuons aussi à renforcer les mouvements de solidarité envers les populations victimes de catastrophes plus ou moins naturelles (ouragans, tremblements de terre…), de crises sanitaires (pandémies…), de régimes dictatoriaux… voire des trois à la fois en assurant une aide matérielle et un appui politique.
Par-delà les prises de position de principe, le renouveau internationaliste ne peut se réaliser qu’au travers de multiples mobilisations et actions concrètes. C’est en s’engageant dans ces campagnes concrètes que le l’internationalisme redeviendra un bien commun.
23 février 2022
Quatrième internationale