En février dernier, la Confédération Européenne des Syndicats (CES) présentait une étude relative à l’impact de la lutte contre le changement climatique sur le volume de l’emploi (1). Menée dans onze pays de l’Union Européenne, l’étude porte sur les secteurs suivants : électricité, pétrole, cimenteries, sidérurgie, transports et construction. Elle est basée sur l’hypothèse que l’UE adoptera des mesures pour réduire ses émissions de gaz à effet de serre de 30% en 2030. Les résultats donnent tort à ceux qui, à l’instar de GW Bush, prétendent que la régulation chiffrée des émissions impliquerait une perte massive d’emplois, par délocalisation des industries polluantes vers des pays du Sud non (encore ?) soumis à engagement.
Selon la CES, en effet, la délocalisation toucherait la sidérurgie, le secteur cimentier et le secteur pétrolier. Ces branches perdraient ensemble 70.000 emplois sur 470.000, mais leurs pertes seraient plus que compensées par la croissance de l’activité dans la production d’électricité et chez les équipementiers (+12%, 50.000 emplois), dans la construction (+14%, 2,5 millions d’emplois) ainsi que dans les transports (+30%, 500.000 emplois). Dans ces secteurs, la plupart des emplois créés seraient évidemment non délocalisables, car directement liés au territoire.
Avant de se réjouir plus avant, il faut bien voir que l’étude de la CES s’inscrit gentiment dans le cadre de la politique climatique et énergétique néolibérale et productiviste dont les lignes de force sont en gros les suivantes : libéralisation des marchés, taxe sur le carbone fossile couplée à une baisse des cotisations patronales de sécurité sociale, primes et incitants divers, subordination totale de la recherche scientifique aux besoins des entreprises, tentative de réhabilitation du nucléaire, possibilités accrues d’achat de droits de polluer aux pays du Sud, conversion massive de terres agricoles à la production de biomasse énergétique (agrocarburants, pellets de bois…), notamment dans les pays tropicaux.
La politique de l’UE en ces matières est entièrement axée sur le soutien au patronat européen dans sa lutte de concurrence pour les marchés. Les conséquences sociales devraient à tout le moins éveiller la méfiance du monde syndical. Dans ces colonnes, nous avons déjà pointé les pièges d’une taxe sur le carbone couplée à une baisse des cotisations patronales de sécurité sociale (2). Mais il y a bien d’autres problèmes. A titre d’illustration, il va de soi qu’un emploi perdu dans la sidérurgie n’est pas vraiment compensé par un emploi créé dans le secteur du bois-bûche (où 75% des jobs, en France par exemple, sont informels, avec des salaires et des conditions de travail à l’avenant) (3). Parler de gisements d’emplois accessibles à la seule condition d’une formation professionnelle adéquate, comme fait la CES, c’est se raconter des histoires… ou en raconter aux affiliés.
Il est vrai que la révolution énergétique pourrait s’accompagner d’un mieux-être social, notamment contribuer à supprimer le chômage de masse qui ronge nos sociétés. Mais ce résultat ne sera jamais le résultat automatique de telle ou telle technologie. Le contexte politique et social est déterminant. La guerre de concurrence sur le marché pousse constamment tout employeur à chercher les moyens de remplacer des travailleurs par des machines, afin de toucher un surprofit. Obligé d’opter pour des énergies renouvelables nécessitant plus de main-d’œuvre que les énergies fossiles, le capitalisme voudra, à titre de compensation, que cette main-d’œuvre soit plus exploitée. La conclusion n’est évidemment pas que le syndicat devrait ne rien faire contre le changement climatique, mais qu’il devrait mener contre le changement climatique une lutte antilibérale, au nom des besoins sociaux, pas au nom du marché.
Notes
(2) JDM du 10 avril 07
(3) ADEME & vous, N°1, 17/4/07