« En dépit du pas en avant gigantesque réalisé par la révolution d’Octobre dans le domaine des rapports nationaux, la révolution prolétarienne, isolée dans un pays arriéré, s’est avérée incapable de résoudre la question nationale, particulièrement la question ukrainienne, qui, a par essence un caractère international. La réaction thermidorienne, couronnée par la bureaucratie bonapartiste, a rejeté les masses laborieuses très en arrière dans le domaine national également. Les grandes masses du peuple ukrainien sont mécontentes de leur sort national et aspirent à le changer radicalement. C’est ce fait que le révolutionnaire politique, à la différence du bureaucrate et du sectaire, doit prendre comme point de départ.
« Si notre critique était capable de penser politique, il aurait deviné sans difficulté les arguments des staliniens contre le mot d’ordre de l’indépendance de l’Ukraine : “il nie la position de défense de l’URSS”, “détruit l’unité des masses révolutionnaires”, “ne sert pas les intérêts de la révolution, mais ceux de l’impérialisme”. En d’autres termes, les staliniens répètent les trois arguments de notre auteur. C’est ce qu’ils feront à coup sûr dès demain. (…)
« Le sectaire, bien souvent, se retrouve du côté de la police, couvrant le statu quo, c’est à dire la violence policière, par des spéculations stériles sur la supériorité de l’unification socialiste des nations sur leur division. Assurément, la séparation de l’Ukraine constitue un risque en comparaison d’une fédération socialiste volontaire et égalitaire ; mais elle constituera un acquis indiscutable par rapport à l’étranglement bureaucratique du peuple ukrainien. Afin de se rapprocher plus étroitement et plus honnêtement, il est parfois nécessaire de commencer par se séparer. » (1)
L’article cité de Trotski, « L’indépendance de l’Ukraine et les brouillons sectaires », de juillet 1939, est, dans une certaine mesure, beaucoup plus important que l’article d’avril de la même année, « La question ukrainienne », et ceci à plusieurs titres. Premièrement, il démasque et désarme des positions des sectaires prétendument marxistes qui, au nom de la défense d’un internationalisme prolétarien transformé en abstraction stérile, refusent le mot d’ordre de l’indépendance nationale d’un peuple opprimé par la bureaucratie du Kremlin. Dans cet article, Trotski se situe dans la continuité de la lutte idéologique menée par Lénine contre la « tendance à l’économisme impérialiste ». Une tendance qui était active dans les rangs du parti bolchévique comme dans l’extrême gauche de la social-démocratie internationale. Précisons que l’adjectif impérialiste attribué par Lénine à la forme d’économisme, surgissant dans le mouvement révolutionnaire au sujet de la question nationale, se justifie par les raisons théoriques évoquées par l’auteur du terme. Soumise à un examen sociologique, cette tendance dévoile ses assises privilégiées parmi les militants socialistes révolutionnaires appartenant aux nations dominantes et impérialistes. Les sectaires, dénoncés par Trotski, ne sont qu’une réédition, face aux tâches et au programme de la révolution antibureaucratique, de la même tendance combattue par Lénine à l’heure du débat sur le droit des nations à l’auto-détermination dans le cadre de la révolution anticapitaliste.
Deuxièmement, l’article de Trotski contient une réflexion théorique et politique qui est indispensable pour la compréhension de la justesse et de la nécessité d’un mot d’ordre comme celui de l’indépendance de l’Ukraine soviétique ainsi que d’une révolution nationale d’un peuple opprimé en tant que facteur et segment de la révolution antibureaucratique en URSS (et, aujourd’hui, en Europe de l’Est). Exposer toute la richesse de cette réflexion dépasserait le cadre de cet article, aussi nous invitons nos lecteurs à l’étudier par ailleurs.
Troisièmement, Trotski explique que, dans des cas comme celui de l’Ukraine, un internationalisme véritable et une recherche réelle de l’unité internationale de la classe ouvrière sont impossibles sans un soutien clair et résolu au « séparatisme » national. « Pour rendre possible une fraternité authentique des peuples à l’avenir, l’avant garde ouvrière de la Grande Russie doit comprendre dès maintenant les causes de la séparation de l’Ukraine, aussi bien que la puissance latente et la légitimité historique qui sont derrière elle, et doit sans réserve déclarer au peuple ukrainien qu’elle est prête à soutenir de toutes ses forces le mot d’ordre d’une Ukraine soviétique indépendante dans un combat commun contre la bureaucratie autocratique et l’impérialisme. » (2) Il va de soi que cette tâche doit être assumée, avant-même le prolétariat russe, par l’avant-garde du mouvement ouvrier international. La défense du mot d’ordre de l’indépendance de l’Ukraine, décidée lors des Congrès mondiaux de la IVe Internationale en 1957 et 1979, est une tâche d’une importance politique énorme aujourd’hui. La montée des mouvements nationaux des masses opprimées par l’URSS exige que le mot d’ordre de l’indépendance nationale soit présent dans la propagande directe, large et dans l’agitation. En s’abstenant, les opposants socialistes de l’URSS laissent le terrain libre à la bureaucratie qui vise à isoler les luttes antibureaucratiques, menées dans les républiques non-russes, du combat des travailleurs de Grande-Russie. Ils passent ainsi à côté d’une des premières tâches transitoires dans la lutte antibureaucratique.
Quatrièmement, Trotski apporte un éclaircissement essentiel aux débats historiques sur le droit des nations à l’autodétermination tout en expurgeant ce mot d’ordre léniniste de ses traits abstraits et politiquement inopérants. Si l’oppression d’un peuple est un fait objectif, explique Trotski, on n’a pas besoin, pour avancer le mot d’ordre d’indépendance, que ce peuple réclame et engage une lutte pour sa libération. Au moment où Trotski lançait ce mot d’ordre, personne, en Ukraine soviétique, ne pouvait revendiquer un chose pareille sans faire face au peloton d’exécution ou sans devenir un bagnard dans « l’archipel du Goulag ». Un attentisme de la part des révolutionnaires ne conduirait qu’à leur désarmement politique et programmatique. Un peuple opprimé a besoin de l’indépendance par le fait même qu’il est opprimé. L’indépendance, précise Trotski, c’est le cadre démocratique indispensable dans lequel un peuple opprimé devient libre de s’autodéterminer. Autrement dit, il n’y a pas d’autodétermination hors du cadre de l’indépendance nationale. « Pour déterminer librement ses rapports avec les autres républiques soviétiques, pour posséder le droit de dire oui ou non, l’Ukraine doit reprendre sa totale liberté d’action, au moins pour la durée de cette période constituante. Il n’existe aucun autre nom pour cela que l’indépendance étatique. » Pour s’autodéterminer – et tout peuple opprimé a besoin et doit le faire dans la plus totale liberté d’action –, il faut convoquer un congrès constituant de la nation. « Mais un congrès “constituant” ne signifie rien d’autre que le congrès d’un État indépendant qui se prépare à nouveau à déterminer son propre régime interne aussi bien que sa position internationale. » (3)
Devant cette explication d’une rigueur implacable, tout autre discours sur le droit des nations opprimées à l’autodétermination ne peut être que charlatanesque ou magique. On ne peut défendre ce droit sans lutter pour qu’un peuple opprimé dispose des moyens de l’exercer, c’est-à-dire sans exiger son indépendance étatique indispensable pour convoquer une congrès constituant libre.
Finalement, et il s’agit là d’un fait de première importance, Trotski reconnaît que la révolution d’Octobre n’a pas résolue la question nationale, héritée de l’empire russe. Isolée dans un pays arriéré, elle ne pouvait que très difficilement aboutir à sa solution. Mais était-elle armée pour cela ? Dans la perspective d’une nouvelle révolution, antibureaucratique, il faut savoir si on peut reprendre l’armement d’alors ou si c’est un armement qualitativement différent qui s’impose. Nous pensons que Trotski était persuadé de la nécessité d’opter pour la seconde solution, et qu’il avait raison. Il nous semble prioritaire d’aborder ce sujet, jamais abordé par le mouvement trotskiste, qui est néanmoins le point de départ obligé pour toute discussion sur l’actualité du mot d’ordre de Trotski de 1939.
La République socialiste soviétique d’Ukraine – formellement (et fictivement, comme, aussi, la Biélorussie) État membre des Nations unies – est la plus importante parmi les républiques non-russes de l’Union soviétique. En même temps, elle est le plus grand pays de l’Europe après la Russie par sa superficie (603 700 km2) et l’un des plus grands du point de vue de sa population (plus de cinquante millions d’habitants dont 74 % d’Ukrainiens). Le peuple ukrainien est aujourd’hui la plus grande nation opprimée en URSS et en Europe. La classe ouvrière urbaine constitue plus de 50 % de la population totale et plus de 75 % de la population ukrainienne de la république. La libération du potentiel énorme que représente cette classe, écrasée aujourd’hui sous le double fardeau du pouvoir bureaucratique et de l’oppression nationale, est une tâche fondamentale et une condition du développement de la révolution antibureaucratique en URSS et en Europe de l’Est ainsi que de la révolution socialiste sur le continent tout entier. Toute avancée dans la construction du socialisme, en URSS comme en Europe, est inimaginable sans la victoire de la révolution nationale ukrainienne qui a, comme l’expliquait Trotski, une portée stratégique internationale. Ce que les sectaires ignorent en abordant la question ukrainienne, poursuivait-il, c’est le fait que la révolution nationale, une des formes les plus importantes et les plus complexes de la lutte des classes, ne peut être contournée par des simples références à la révolution antibureaucratique à l’échelle de toute l’URSS ni à la révolution européenne et mondiale future (4).
Le bolchevisme devant une révolution nationale imprévue
Considéré par beaucoup – y compris à un moment par Marx et Engels – comme un « peuple sans histoire » (5), le peuple ukrainien s’est constitué comme nation de manière « historique » par excellence, parce que héroïque. En 1648, la communauté des hommes libres et de démocratie militaire, dite cosaque, a formé une armée populaire de libération et déclenché un gigantesque soulèvement paysan contre l’État polonais, sa classe dominante et son Église. L’État national établi lors de ce soulèvement n’est pas parvenu à se stabiliser mais la révolution cosaque et paysanne a cristallisé une nation historique avant même la configuration des nations modernes par l’expansion du capitalisme. Depuis la fin du 18e siècle, la majorité du territoire ukrainien se trouvait transformée en provinces, appelées Petite-Russie, de l’empire tsariste. À la veille de la révolution russe, c’était une colonie du type « européen » (6).
Comparée au niveau général du développement socio-économique de cet empire, la région était parmi les plus industrialisées et caractérisées par une forte pénétration du capitalisme dans l’agriculture. Ukrainien était synonyme de paysan parce qu’environs 90 % de la population vivait dans les campagnes. Parmi les 3 600 000 prolétaires (12 % de la population), 900 000 travaillaient dans l’industrie et 1 200 000 dans l’agriculture. Fruit d’un développement très inégal du capitalisme, la moitié du prolétariat industriel se trouvait concentrée dans l’enclave minière et sidérurgique du Donbass. Du fait d’un développement colonial et de la « solution » tsariste de la question juive, seulement 43 % du prolétariat était de nationalité ukrainienne – le reste étant russe, russifié et juif. Les Ukrainiens constituaient moins d’un tiers de la population urbaine (7). La partie occidentale d’Ukraine, la Galicie, appartenait à l’empire austro-hongrois. Les deux revendications centrales du mouvement national renaissant étaient l’indépendance et l’unité (samostiinist’ i sobornist’) de l’Ukraine.
La révolution de 1917 a ouvert la voie à la révolution nationale ukrainienne. C’était la plus puissante, la plus massive et la plus violente de toutes les révolutions menées par les nations opprimées de l’empire. Les masses exigeaient une réforme agraire radicale, l’indépendance et la constitution d’un pouvoir ukrainien. Les partis petits-bourgeois et ouvriers opportunistes de la Rada (conseil) centrale qui dirigeait le mouvement national s’opposaient à la revendication de l’indépendance. Ils ne l’ont proclamée qu’après la révolution d’octobre envers laquelle ils étaient hostiles. En autorisant le passage des unités militaires contre-révolutionnaires, la Rada centrale provoqua une déclaration de guerre de la part de la Russie soviétique à la République populaire ukrainienne. Mais les bolcheviques avaient été très mal préparés pour faire face à la révolution nationale ukrainienne.
Le droit des nations à l’autodétermination, mis en avant par Lénine, était un mot d’ordre peu assimilé dans le parti. Il fut même contesté par un courant important, qualifié par Lénine comme « tendance de l’économisme impérialiste ». Contestation d’autant plus dangereuse qu’elle apparaît au sein d’un parti prolétarien d’une nation traditionnellement oppresseuse, devenue impérialiste, dans un empire caractérisé par Lénine d’énorme prison des peuples. Outre les écrits de Lénine, le seul ouvrage de synthèse sur la question nationale dont disposait le parti bolchevique, était celui, très médiocre, confus et largement faux, de Staline. Écrit en 1913, il n’abordait même pas la question nationale dans le cadre de l’impérialisme (8). Lénine lui-même exprimait des positions confuses et peu réfléchies, telle une inspiration excessive de sa pensée par le cas du melting-pot américain ou le refus catégorique de la solution fédéraliste. Il l’a condamnait comme contradictoire avec son idée de l’État centralisé et exigeait de toute nationalité qu’elle choisisse entre une séparation étatique complète et une autonomie nationale-territoriale dans le cadre d’un État multinational centralisé. C’est dans cet esprit qu’il a éduqué le parti pendant plus de dix ans. Après la révolution et sans donner aucune explication de son tournant, il proclama la fédération des nations comme la solution correcte et compatible avec le centralisme étatique. Un tournant que beaucoup de dirigeants bolcheviques ne prirent pas au sérieux. Au-delà du mot d’ordre démocratique du droit à l’autodétermination des peuples, le bolchevisme n’avait pas de programme ni de stratégie de la révolution permanente, nationale et sociale, pour les peuples opprimés de l’empire.
En Ukraine, à quelques exceptions près, le parti bolchevique (comme aussi le parti menchevique) n’agissait qu’au sein du prolétariat moderne le plus concentré qui n’était pas de nationalité ukrainienne. L’expansion du communisme au sein du prolétariat du pays suivait entièrement la dynamique du développement colonial du capitalisme industriel. L’action politique au sein du prolétariat national était le domaine de la social-démocratie ukrainienne se situant en dehors de la scission entre bolcheviques et mencheviques et accusée par les premiers de capituler devant le « nationalisme bourgeois » ukrainien. Notons que la bourgeoisie « nationale » existait à peine. A cette époque là, la distinction entre le nationalisme des oppresseurs et celui des opprimés était déjà présente dans les écrits de Lénine, mais les deux étaient qualifiés de bourgeois. La notion du nationalisme révolutionnaire n’était pas encore apparue. Le populisme socialiste-révolutionnaire, en voie de se nationaliser et de s’autonomiser vis-à-vis de son équivalent russe, représentait une autre force politique active au sein des masses ukrainiennes. Le parti bolchevique en Ukraine n’employait que le russe dans sa presse et sa propagande. Il ignorait la question nationale et n’avait même pas de centre de direction sur place. Rien d’étonnant qu’au moment de l’éclatement de la révolution nationale, il ait été pris au dépourvu.
En Ukraine, le parti bolchevique n’a tenté de s’organiser comme une entité qu’après la paix de Brest-Litovsk, c’est-à-dire lors de la première retraite bolchevique et au début de l’occupation du pays par l’armée impérialiste allemande. À la conférence ad hoc à Tahanrih (avril 1918) plusieurs tendances se sont affrontées. A droite, les « katerynoslaviens » avec Emmanouil Kviring. A gauche, les « kiéviens » avec Youri Piatakov. Mais aussi les « poltaviens », ou, si on veut, les « nationaux », avec Mykola Skrypnyk et Vassyl Chakhraï, renforcés par l’adhésion d’un groupe d’extrême gauche de la social-démocratie ukrainienne. La droite, s’appuyant sur le prolétariat industriel russe, exige alors la formation d’un « PC (b) russe en Ukraine ». Les « poltaviens » et les « kiéviens » veulent pour leur part un parti bolchevique entièrement indépendant. Une partie des « poltaviens » vise, de cette manière, à résoudre de manière radicale la question nationale au travers de la fondation d’une Ukraine soviétique indépendante. Chakhraï, le plus radical, demande même que le parti s’appelle « PC (b) ukrainien ». Les « kiéviens » sont pour un parti (et peut être même un État) indépendant tout en niant l’existence de la question nationale et en considérant le droit des nations à l’autodétermination comme un mot d’ordre opportuniste. Avec Piatakov ils représentent, sur le plan théorique, la plus extrême « tendance de l’économisme impérialiste ». Toutefois, en même temps, ils appartiennent au « communisme de gauche » boukharinien, hostile à la paix de Brest et au centralisme léniniste. Pour s’affirmer, en Ukraine, en opposition à Lénine, ils ont besoin d’un parti bolchevique indépendant. Par ailleurs, ils considèrent qu’en Ukraine on a besoin d’une stratégie particulière, tournée vers les masses paysannes et ancrée dans leur potentiel insurrectionnel. C’est pour ces raisons que les « kiéviens » s’allient avec les « poltaviens ». Et c’est la position de Skrypnik qui s’impose. En refusant la démarche de Kviring d’un côté et de Chakraï de l’autre, la conférence proclame le « PC (b) d’Ukraine » en tant que section ukrainienne, indépendante du PC (b) russe, de l’Internationale communiste (9).
Skrypnik, ami personnel de Lénine, en réaliste étudiant toujours les rapports de force, cherche pour l’Ukraine un minimum de fédération avec la Russie soviétique et un maximum d’indépendance nationale. À son avis, c’est l’extension internationale de la révolution qui permettra de résister le plus efficacement à la pression centralisatrice grande-russe. A la tête du premier gouvernement bolchevique en Ukraine, il a vécu des expériences très amères : le comportement chauvin de Mouravev, le commandant de l’Armée rouge qui s’est emparé de Kiev, le refus de reconnaître son gouvernement et le sabotage de son travail par un autre commandant, Antonov-Ovseenko, pour qui l’existence d’un tel gouvernement était le produit de fantaisies sur une nationalité ukrainienne. En outre, Skrypnik a été obligé de se battre avec acharnement pour l’unité de l’Ukraine contre les bolcheviques russes qui, dans plusieurs régions, proclamaient des républiques soviétiques en morcelant le pays. L’incorporation de la Galicie à l’Ukraine soviétique ne les intéressait pas non plus. L’aspiration nationale à la « sobornist’ », l’unité du pays, était ainsi ouvertement bafouée. C’est avec la droite « katerynoslavienne » du parti que l’affrontement fut le plus grave (10). Elle a formé une république soviétique dans une région minière et industrielle, Donetsk-Kryvy Rih, incluant le Donbass, en vue de l’intégrer à la Russie. Cette république, proclamaient ses dirigeants, est celle d’un prolétariat russe « qui ne veut pas entendre parler d’une quelconque Ukraine et n’a rien de commun avec elle » (11). Cette tentative de sécession pouvait compter sur des appuis à Moscou. Le gouvernement de Skrypnyk devait lutter contre ces tendances de ses camarades russes, pour la « sobornist’ » de l’Ukraine soviétique dans les frontières nationales fixées, à travers la Rada centrale, par le mouvement national des masses.
Le premier congrès du PC (b) d’Ukraine a eu lieu à Moscou. Pour Lénine et la direction du PC (b) russe, les décisions de Tahanrih avaient la saveur d’une déviation nationaliste. Ils n’étaient pas prêts à accepter un parti bolchevique indépendant en Ukraine ni une section ukrainienne du Komintern. Le PC (b) d’Ukraine ne pouvait être qu’une organisation régionale du PC (b) panrusse, selon la thèse « un pays, un parti ». L’Ukraine n’est-elle pas un pays ?
Considéré comme responsable de la déviation, Skrypnik fut éliminé de la direction du parti. Dans cette situation, Chakraï, le plus intransigeant parmi les « poltaviens », passa à une dissidence ouverte. Dans deux livres au contenu incendiaire, écrits avec son camarade juif ukrainien Serhiy Mazlakh, ils lancent les fondements du communisme indépendantiste ukrainien. Pour eux, la révolution nationale ukrainienne est un fait d’une énorme importance pour la révolution mondiale. La tendance naturelle et légitime de cette révolution et de sa transcroissance en révolution sociale ne peut qu’aboutir à la formation d’une Ukraine soviétique ouvrière et paysanne en tant que État indépendant. Le mot d’ordre de l’indépendance est donc crucial pour assurer cette transcroissance, pour former l’alliance ouvrière-paysanne, pour permettre la prise de la direction par le prolétariat révolutionnaire et pour établir une unité véritable et sincère avec le prolétariat russe. Ce n’est que de cette manière que l’Ukraine pourra devenir une place forte de la révolution prolétarienne internationale. Dans le cas contraire, ce sera le désastre. Voilà le message du courant Chakraï (12).
Et ce sera effectivement le désastre.
Les causes de l’échec du deuxième gouvernement bolchevique
En novembre 1918, sous l’effet de l’écroulement des puissances centrales dans la guerre impérialiste et du déclenchement de la révolution en Allemagne, une insurrection nationale généralisée renverse le hetmanate, un État fantoche établi par l’impérialisme allemand. Les dirigeants opportunistes de l’ancienne Rada centrale de la République populaire ukrainienne, qui se sont, il y a peu, compromis avec l’impérialisme allemand, prennent la tête de l’insurrection pour restaurer la république et son pouvoir, appelé cette fois le Directoire. Symon Peltioura, un ancien social-démocrate devenu un droitier vouant une haine féroce au bolchevisme, y devient le dictateur militaire de fait. Mais cette montée sans précédent d’une révolution nationale de masses est aussi celle d’une révolution sociale. Comme face à la Rada centrale auparavant, les masses perdent rapidement leurs illusions envers le Directoire petliouriste pour se tourner de nouveau vers le programme social des bolcheviques. L’extrême gauche du parti socialiste-révolutionnaire ukrainien, dite borotbiste (13), de plus en plus procommuniste, affirme son influence idéologique parmi les masses (14). Dans une situation très favorable pour opérer une jonction entre la révolution russe et la révolution ukrainienne, l’Armée rouge envahit à nouveau le pays, chasse le Directoire et établit dans le pays le second gouvernement bolchevique. Piatakov en prend la tête avant d’être rapidement révoqué par Moscou.
Tout en continuant à tourner le dos à la question nationale, mais toujours sensible à la réalité sociale ukrainienne – pour lui, la révolution ukrainienne n’était pas nationale mais simplement paysanne –, le gouvernement Piatakov voulait être un pouvoir d’État indépendant. Il était indispensable, à ses yeux, d’établir un tel pouvoir pour assurer la transcroissance d’une révolution paysanne en révolution prolétarienne et pour donner une direction prolétarienne à la guerre populaire révolutionnaire. Pour prendre la place de Piatakov, on désigne à Moscou Khristian Rakovski. Récemment venu des Balkans, où la question nationale est particulièrement complexe et exacerbée, après un séjour à Kiev, il se proclame spécialiste de la question ukrainienne et est reconnu comme tel à Moscou, y compris par Lénine. En réalité, tout en étant un militant très doué et entièrement dévoué à la cause de la révolution mondiale, c’est un ignorant complet et dangereux dans sa prétendue spécialité. Dans les Izvestia, organe du gouvernement soviétique, il annonce les thèses suivantes : les différences ethniques entre Ukrainiens et Russes sont insignifiantes, les paysans ukrainiens ne possèdent pas de conscience nationale, ils envoient même des pétitions aux bolcheviques pour demander d’être des sujets russes, ils refusent de lire les proclamations révolutionnaires en ukrainien tout en se jetant sur de telles proclamations en russe. La conscience nationale des masses est écrasée par leur conscience sociale de classe. Le mot « Ukrainien » est pour eux presque une offense. La classe ouvrière est purement russe par son origine. La bourgeoisie industrielle et la majorité des grands propriétaires fonciers sont russes, polonais ou juifs. En conclusion, Rakovski ne reconnaît même d’entité nationale à l’Ukraine et le mouvement national ukrainien n’est pour, pour lui, que l’invention de l’intelligentsia petliouriste qui s’en sert pour se hisser au pouvoir (15).
Rakovski comprend parfaitement que la révolution bolchevique en Ukraine est « le nœud stratégique » et « le facteur décisif » de l’extension de la révolution socialiste en Europe (16). Cependant, incapable d’inscrire sa vision dans la dynamique de la révolution nationale ukrainienne, de reconnaître dans cette dernière un sujet à part entière, incontournable et indispensable, Rakovski condamnera sa stratégie à butter sur l’obstacle de la question ukrainienne. Une erreur tragique mais tout à fait relative si on la compare avec celle commise un an et demi plus tard par Lénine, qui plongera la révolution européenne dans le bourbier de la question nationale polonaise en donnant l’ordre d’envahir la Pologne.
En opposition aux revendications de Piatakov, le gouvernement de Rakovski – celui, sur le papier, d’une « république indépendante » – se considère comme une simple délégation régionale du pouvoir de l’État ouvrier russe. Mais la réalité objective est implacable. Devant l’imposition par Rakovski d’un centralisme communiste grand-russe, la réalité nationale, révélée déjà par des bolcheviques comme Chakraï, mais aussi la réalité sociale, exprimée à leur manière par des bolcheviques comme Piatakov, frappe à la porte. Ce centralisme déclenche de puissantes forces centrifuges. Ce n’est pas une révolution prolétarienne qui prend les commandes d’une révolution nationale. Ce n’est pas non plus une direction militaire prolétarienne qui s’impose à la tête d’une insurrection armée, nationale et sociale. La prise de la conscience de classe par les masses d’un peuple opprimé passe nécessairement par la prise de conscience nationale. En s’aliénant et même en réprimant les éléments porteurs de cette conscience, on se condamne à recruter aux appareils administratifs des petits-bourgeois russes, en général réactionnaires, toujours disponibles pour servir tout pouvoir moscovite. En ce qui concerne l’armée, dans une situation pareille, on ne peut que recruter parmi les éléments dotés d’un niveau de conscience élémentaire, voire déclassée, et construire ainsi un conglomérat de forces armées les plus disparates où sont nommés commandants un Nestor Makhno – que la presse centrale présente en termes élogieux comme un chef révolutionnaire naturel de la paysannerie pauvre révoltée tout en semblant ignorer son credo communiste-libertaire contradictoire avec celui du bolchevisme (17) – ou un simple aventurier sans principe comme Matviy Hryhoryiv. Ce dernier est promu par Antonov-Ovseenko au rang d’un tout puissant commandant rouge d’une vaste région.
Une politique agraire gauchiste, celle de la « commune », transplantée en Ukraine de Russie (un seul pays, une seule politique agraire) ne fait qu’aliéner la paysannerie moyenne ainsi que la jeter dans les bras de la paysannerie riche et la rendre hostile au gouvernement Rakovski tout en isolant et divisant la paysannerie pauvre. Le système du pouvoir est celui d’une dictature militaire exercée par le parti bolchevique, par les comités révolutionnaires et les comités de paysans pauvres nommés par en haut par ce parti. L’existence des soviets n’est autorisée que dans quelques grandes villes, mais même là leur rôle n’est que strictement consultatif. En même temps, la revendication populaire la plus massive est celle de tout le pouvoir aux soviets démocratiquement élus et cette revendication d’origine bolchevique se heurte justement à la politique bolchevique. Sur le terrain national, c’est la russification linguistique, la « dictature de la culture russe » proclamée par Rakovski, la répression des militants de la renaissance nationale. Dans une telle situation, c’est le philistin chauvin grand-russe qui s’empare du drapeau rouge pour réprimer tout ce qui lui rappelle le nationalisme ukrainien et pour défendre en son nom une Russie historique « une et indivisible ». Après coup, Skrypnyk établira une liste d’environ 200 ordonnances « interdisant l’utilisation de la langue ukrainienne » rendues sous le gouvernement Rakovski par « divers pseudo spécialistes, bureaucrates soviétiques, pseudo communistes » (18). Dans une lettre à Lénine, les communistes-borotbistes caractériseront la politique de ce gouvernement comme celle « d’expansion d’un impérialisme rouge (nationalisme russe) » donnant l’impression que « le pouvoir soviétique en Ukraine était tombé dans les mains des Cent-Noirs expérimentés en train de préparer une contre-révolution » (19).
Lors d’une aventure militaire, l’armée rebelle de Hryhoryiv prend la ville d’Odessa et proclame avoir jeté à la mer le corps expéditionnaire de l’Entente qui venait de l’évacuer. Un exploit fictif que la propagande bolchevique va légitimer. Mais, à ce moment, les larges masses sont déjà hostiles au pouvoir soviétique. Voyant le vent tourner, le « vainqueur de l’Entente » Hryhoryiv se révolte contre le pouvoir « de la Commune, de la Tchéka et des commissaires » envoyés de Moscou et de « cette terre où on a crucifié Jésus Christ ». Il donne le signal d’une vague insurrectionnelle pour chasser le gouvernement Rakovski. Conscient de l’état d’esprit des masses, il les exhorte à établir partout et par en bas le pouvoir des soviets, de réunir les délégués en congrès national afin d’élire un nouveau gouvernement (quelques mois plus tard, accusé d’être responsable de pogroms antisémites, Hryhoryiv sera abattu par Makhno en présence de leurs armées réunies). Même l’extrême gauche social-démocrate, procommuniste, prend les armes contre le « gouvernement russe d’occupation ». Des pans entiers de l’Armée rouge désertent pour se joindre à l’insurrection. Les troupes d’élite des « Cosaques rouges » se décomposent politiquement, tentées par le banditisme, les pillages et les pogroms (20).
Ces soulèvements ouvrent la voie à l’armée blanche de Denikine tout en isolant la révolution hongroise. De Budapest, Bela Kun, désespéré, réclame un changement radical de la politique bolchevique en Ukraine. Du front ukrainien de l’Armée rouge, son commandant, Antonov-Ovseenko, fait de même. Parmi les bolcheviques ukrainiens, le courant « fédéraliste », proche de fait des thèses de Chakraï et du borotbisme, passe à une activité fractionnelle. Les borotbistes, toujours alliés aux bolcheviques mais méfiants et jaloux de leur autonomie se constituent en parti communiste ukrainien (borotbiste) pour réclamer leur reconnaissance en tant que section nationale du Komintern. Largement influent parmi la paysannerie pauvre et le prolétariat de nationalité ukrainienne dans les campagnes et les villes, ce parti aspire à l’indépendance de l’Ukraine soviétique. Il envisage même la possibilité d’engager, à ce sujet, un affrontement armé avec le parti frère bolchevique, mais pas avant la victoire de la révolution sur Denikine et sur l’ensemble des fronts de la guerre civile et de l’intervention impérialiste.
La révolution hongroise, comme la révolution bavaroise, dépourvues du soutien militaire bolchevique, sont écrasées. La révolution russe est, quant à elle, en danger mortel du fait de l’offensive de Denikine.
La « Russie une et indivisible » ou l’indépendance de l’Ukraine ?
C’est dans ces conditions que lors d’un nouveau tournant dramatique et décisif dans le déroulement de la guerre civile – le passage de l’Armée rouge à la contre-offensive générale pour battre Denikine –, Trotski prend une initiative politique de première importance. Le 30 novembre 1919, dans son ordre aux troupes rouges qui entrent en Ukraine, il proclame : « L’Ukraine est la terre des ouvriers et des paysans travailleurs ukrainiens. Ce sont seulement eux qui ont le droit de gouverner et de diriger en Ukraine et y édifier une vie nouvelle (...). Soyez bien conscients que votre tâche n’est pas de soumettre l’Ukraine mais de la libérer. Une fois les bandes de Denikine battues jusqu’à la dernière, le peuple travailleur de l’Ukraine libérée décidera lui-même de ses rapports avec la Russie soviétique. Nous sommes convaincus que le peuple travailleur ukrainien se prononcera pour l’union fraternelle la plus étroite avec nous (...). Vive l’Ukraine soviétique libre et indépendante ! » (21) Après deux ans de guerre civile en Ukraine, c’est la première initiative du pouvoir bolchevique destinée à appeler, dans les rangs de la révolution prolétarienne, les forces sociales et politiques, ouvrières et paysannes, de la révolution nationale ukrainienne. L’objectif de Trotski est aussi de contrecarrer radicalement la dynamique, de plus en plus centrifuge, du communisme ukrainien, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du parti bolchevique.
La recherche par Trotski d’une solution politique centrale à la question nationale ukrainienne est soutenue par Rakovski (qui s’est rendu compte de ses erreurs) et très étroitement concertée avec Lénine, lui aussi conscient du désastre provoqué par une politique qu’il a lui même souvent avalisée, voire impulsée. Lénine demande au comité central du PC (b) russe le vote d’une résolution qui « fait un devoir à tous les membres du parti de contribuer par tous les moyens à lever tous les obstacles qui s’opposent au libre développement de la langue et de la culture ukrainiennes (...) opprimées durant des siècles par le tsarisme russe et les classes exploiteuses ». Des mesures seront prises, annonce la résolution, pour qu’à l’avenir tous les employés des institutions soviétiques en Ukraine sachent s’exprimer dans la langue nationale (22). Mais Lénine va beaucoup plus loin. Dans une lettre manifeste aux ouvriers et paysans d’Ukraine, il reconnaît pour la première fois quelques faits essentiels. « Nous, les communistes grand-russes, (...) avons des divergences avec les communistes bolcheviques ukrainiens et les borotbistes » qui portent sur l’indépendance de l’Ukraine, les formes de son alliance avec la Russie et, d’une façon plus générale, sur la question nationale (...). Il est inadmissible que la division se fasse pour de telles questions. Elles seront réglées au congrès des soviets d’Ukraine. » Dans la même lettre ouverte, Lénine déclare aussi, pour la première fois, qu’on peut être militant du parti bolchevique et partisan de l’indépendance complète de l’Ukraine. C’est une réponse à une des questions clés posées un an plus tôt par Chakraï, exclu entretemps du parti avant son assassinat par les troupes blanches. Par ailleurs, Lénine affirme : « Les borotbistes se distinguent entre autres des bolcheviques en ce qu’ils sont pour l’indépendance absolue de l’Ukraine. Les bolcheviques ne voient là (...) aucun obstacle à une collaboration prolétarienne bien comprise » (23).
L’effet est spectaculaire et d’une portée stratégique. Les forces insurrectionnelles des masses ukrainiennes contribuent à l’écrasement de Denikine. En mars 1920, le congrès du PC borotbiste décide la dissolution du parti et l’adhésion de ses militants au parti bolchevique. La position de la direction borotbiste est la suivante : unissons-nous organiquement avec les bolcheviques pour contribuer à l’extension internationale de la révolution prolétarienne ; c’est dans le cadre de la révolution mondiale que les conditions pour l’indépendance de l’Ukraine soviétique seront beaucoup plus favorables que dans celui d’une révolution panrusse. Avec un grand soulagement, Lénine déclare : « Grâce à la juste politique du comité central, admirablement appliquées par le camarade Rakovski, nous avons vu, au lieu d’un soulèvement des borotbistes devenu à peu près inévitable, les meilleurs éléments borotbistes adhérer à notre parti, sous notre contrôle. (...) Cette victoire vaut une paire de bonnes batailles » (24). Un historien communiste commentera en 1923 : « C’est dans une grande mesure sous l’influence borotbiste que le bolchevisme dans ce pays a expérimenté l’évolution d’un “parti communiste russe en Ukraine” vers un “parti communiste d’Ukraine” » (25). Mais il reste une organisation régionale du PC (b) russe, sans droit d’être une section du Komintern.
L’adhésion du borotbisme au bolchevisme se produit juste avant une nouvelle échéance politique : l’invasion de l’Ukraine par l’armée bourgeoise polonaise accompagnée par les troupes ukrainiennes sous le commandement de Petlioura et, en conséquence, l’éclatement de la guerre soviéto-polonaise. Cette fois, le chauvinisme grand-russe des masses se déchaîne avec une ampleur et une agressivité échappant à tout contrôle bolchevique. « Pour les éléments conservateurs de la Russie, c’était une guerre contre l’ennemi héréditaire, dont on ne pouvait supporter qu’il réapparût sous la forme de nation indépendante, une guerre authentiquement russe, même si elle était menée par des internationalistes bolcheviques. Pour les orthodoxes du rite grec, c’était une lutte contre un peuple dont la fidélité au catholicisme romain était incorrigible, une croisade chrétienne, même si elle était menée par des communistes athées. » (26) Ce qui animait les larges masses, c’était la défense de la Russie « une et indivisible », très ouvertement soufflée par la propagande. Les Izvestia publiaient un poème stupéfiant par son caractère ultra-réactionnaire à la gloire de « l’État moscovite ». Voici son contenu : « Comme jadis le Tsar Ivan Kalita rassemblait les pays russes l’un après l’autre (...) tous les patois et tous les pays, toute la terre multinationale, se réuniront dans une foi nouvelle » afin de « rendre leur puissance et leur richesse au palace du Kremlin » (27).
L’Ukraine fut la première victime de cette explosion chauvine. Volodymyr Vynnytchenko, un social-démocrate ukrainien de gauche, ancien leader de la Rada centrale, qui a rompu avec le Directoire petlouriste et négocié à Budapest avec Bela Kun un changement de la politique bolchevique en Ukraine, se trouvait à Moscou à l’invitation du gouvernement soviétique alors que, à l’appel de l’ancien commandant en chef de l’armée tsariste de « Défendre la Mère Patrie Russe », beaucoup d’officiers blancs se ralliaient à l’armée rouge. Gueorgui Tchitchérine, alors commissaire aux affaires étrangères, a expliqué à Vynnytchenko que son gouvernement ne pouvait aller à Canossa à l’égard de la question ukrainienne. Vynnytchenko a noté dans son journal : « L’orientation vers le patriotisme d’une Russie une et indivisible exclut toute concession aux Ukrainiens (...). Dans une situation où on va à Canossa devant les Gardes blancs (...) il ne peut y avoir, évidement, d’orientation vers la fédération, l’autodétermination et d’autres choix semblables désagréables pour la Russie une et indivisible ». Par ailleurs, suivant le vent nationaliste grand-russe qui soufflait dans les couloirs du pouvoir soviétique à Moscou, Tchitchérine suggérait à nouveau la possibilité d’annexion directe à la Russie de la région ukrainienne de Donbass (28). Dans les campagnes ukrainiennes, des fonctionnaires soviétiques demandaient aux paysans : « Quelle langue, russe ou petliouriste, voulez-vous qu’on enseigne dans les écoles ? Quels internationalistes êtes-vous, si vous ne parlez pas russe ! ».
Face à cette régression chauvine grand-russe, les communistes borotbistes, devenus bolcheviques, poursuivaient leur combat. Un de leurs dirigeants centraux, Vassyl Ellan-Blakytny écrivit alors : « En se fondant sur les liens ethniques de la majorité du prolétariat urbain d’Ukraine avec le prolétariat, le semi-prolétariat et la petite-bourgeoisie de Russie et en tirant argument de la faiblesse du prolétariat industriel en Ukraine, une tendance que nous appelons colonisatrice revendique la construction du système économique dans le cadre intégré de la République russe, celui de l’ancien empire restauré auquel appartient l’Ukraine. Cette tendance poursuit la subordination totale du PC (b) d’Ukraine au parti russe et vise plus généralement à la dilution de toutes les jeunes forces prolétariennes des nations sans histoire dans la section nationale russe du Komintern. (...) En Ukraine, la force dirigeante naturelle de cette tendance est un secteur du prolétariat urbain et industriel qui n’a pas assimilé la réalité ukrainienne. Mais, au-delà et avant tout, ce qui constitue sa force, c’est la masse de la petite bourgeoisie urbaine russifiée qui a toujours été le soutien principal de la domination de la bourgeoisie russe en Ukraine. » Et les bolcheviques d’origine borotbiste concluaient : « La politique colonisatrice de grande puissance qui domine aujourd’hui en Ukraine est profondément préjudiciable à la révolution communiste. En ignorant les aspirations nationales, naturelles et légitimes, des masses laborieuses ukrainiennes hier opprimées, elle est entièrement réactionnaire et contre-révolutionnaire en tant qu’expression d’un vieux, mais toujours vivant, chauvinisme impérialiste grand-russe » (29).
Entre-temps, l’extrême gauche social-démocrate formait un nouveau parti communiste ukrainien, appelé oukapiste, pour continuer à revendiquer l’indépendance nationale et pour accueillir en son sein les éléments du borotbisme qui refusaient l’adhésion au bolchevisme. Issu de la tradition théorique de la social-démocratie allemande, ce nouveau parti était sur ce terrain beaucoup plus fort que le borotbisme, d’origine populiste, où on maîtrisait mieux l’art de la poésie que la science de l’économie politique. Mais il était moins lié aux masses (30). Masses qui, par ailleurs, furent de plus en plus épuisées par cette révolution, permanente dans le double sens, quotidien et théorique, mais où le sens théorique, celui de Trotski, ne correspondait pas dans la réalité au concept de transcroissance mais plutôt à celui de déchirure permanente entre une révolution nationale et une révolution sociale. Une de ses conséquences les plus néfastes fut l’incapacité de réaliser l’unité de l’Ukraine (la revendication de sobornist’). L’erreur fatale de Lénine d’envahir la Pologne a exacerbé dans le sens antibolchevique la question nationale polonaise et bloqué l’extension de la révolution. Cela a conduit à une défaite de l’Armée rouge et à la cession à l’État bourgeois polonais de plus d’un cinquième du territoire national ukrainien en plus des parties accaparées par la Roumanie et la Tchécoslovaquie.
Tout historien honnête et a fortiori tout militant marxiste-révolutionnaire doit reconnaître que la promesse faite par la direction bolchevique lors de l’offensive contre Denikine, de convoquer un congrès constituant des soviets d’Ukraine censé se prononcer sur les trois options possibles avancées par Lénine dans sa lettre de décembre 1919 – l’indépendance complète, un lien fédératif plus ou moins étroit et la fusion complète de l’Ukraine avec la Russie – n’a jamais été réalisée. Trotski raconte que, lors de la guerre civile, des dirigeants bolcheviques envisageaient de mettre en avant un projet audacieux de démocratie ouvrière pour résoudre la question anarchiste dans la région sous contrôle de l’armée insurrectionnelle makhnoviste. Lui-même « discuta plus d’une fois avec Lénine de la possibilité de concéder aux anarchistes certains territoires dans lesquels, avec le consentement de la population locale, ils pourraient réaliser leur expérience de suppression immédiate de l’État. » (31) Aucune discussion similaire au sujet d’une question cent fois plus importante comme celle de l’indépendance de l’Ukraine soviétique n’est rapportée.
C’est après des combats acharnés menés à la fin de sa vie par Lénine ainsi que par des bolcheviques comme Skrypnyk et Rakovski, par d’anciens borotbistes comme Blakytny et Oleksander Choumsky et par beaucoup de dirigeants communistes des diverses nationalités opprimées par l’ancien empire russe, que le 12e congrès du parti bolchevique, en 1923, reconnaîtra formellement l’existence, dans ce parti et dans le pouvoir soviétique, d’une « tendance vers le chauvinisme impérialiste russe » extrêmement dangereuse. Cette victoire, même si elle sera très partielle et fragile, ouvrira devant les masses ukrainiennes la possibilité d’accomplir certaines tâches de la révolution nationale et de connaître, pendant les années 1920, une renaissance nationale sans précédent. Mais cette victoire n’empêchera pas à terme une dégénérescence de la révolution russe et une contre-révolution bureaucratique et chauvine qui, pendant les années 1930, s’accompagnera en Ukraine d’un véritable holocauste national : la mort de millions de paysans à la suite d’une famine provoquée par la politique stalinienne de pillage du pays, l’extermination physique de la quasi-totalité de l’intelligentsia nationale et la destruction par la terreur policière des appareils du parti bolchevique et de l’État de la République soviétique d’Ukraine. Le suicide, en 1933, de Mikola Skrypnyk, un vieux bolchevique qui tentait de concilier la poursuite de la révolution nationale avec l’allégeance au stalinisme, sonnera le glas de cette révolution pour toute une période historique.
Des erreurs tragiques à ne pas répéter
La pression de la révolution russe sur la révolution nationale ukrainienne avait deux effets totalement opposés. D’une part, c’est cette pression qui a pour l’essentiel conduit au renversement du pouvoir de la bourgeoisie en Ukraine. De l’autre, elle freinait le processus de différenciation de classe des forces sociales et politiques de la révolution nationale. Et cela, à cause de son incapacité à comprendre et à résoudre la question nationale. L’expérience de la révolution de 1917-1920 a posée de manière dramatique la question des relations entre une révolution sociale du prolétariat de la nation dominante et une révolution nationale des masses travailleuses de la nation opprimée. Skrypnyk écrivait en juillet 1920 : « Notre tragédie en Ukraine consiste justement dans le fait que pour gagner la paysannerie et le prolétariat rural, une population de nationalité ukrainienne, nous devrions faire appel au soutien et aux forces d’une classe ouvrière russe ou russifiée réagissant avec répugnance même à la plus petite expression de la langue et de la culture ukrainienne. » (32) Dans la même période, le parti communiste ukrainien (oukapiste) tentait d’expliquer à la direction du Komintern : « Le fait que des dirigeants de la révolution prolétarienne en Ukraine s’appuient sur les couches supérieures, russes et russifiées, du prolétariat du pays et ignorent la dynamique de la révolution ukrainienne, ne leur permet pas de se défaire du préjugé de la Russie une et indivisible qui inonde toute la Russie soviétique. Une telle attitude conduit à la crise de la révolution ukrainienne, coupe le pouvoir soviétique des masses, aggrave la lutte nationale, pousse une masse considérable de travailleurs dans les bras de la petite bourgeoisie nationaliste ukrainienne et freine la différenciation entre le prolétariat et la petite bourgeoisie. » (33)
Était-il possible d’empêcher cette tragédie ? Oui, si les bolcheviques avaient disposé d’une stratégie appropriée dès avant l’éclatement de la révolution. Premièrement, si, au lieu d’être, en Ukraine, un parti russe, ils avaient résolu la question de la construction d’un parti révolutionnaire du prolétariat de la nation opprimée. Deuxièmement, s’ils avaient intégré à leur programme la lutte pour la libération nationale du peuple ukrainien. Troisièmement, s’ils avaient reconnu la nécessité politique et la légitimité historique de la révolution nationale ukrainienne et du mot d’ordre de l’indépendance de l’Ukraine. Quatrièmement, s’ils avaient éduqué le prolétariat russe (en Russie et en Ukraine) et les rangs de leur propre parti dans l’esprit du soutien total à ce mot d’ordre et s’ils avaient combattu de cette manière le chauvinisme des nations dominantes, l’idéal réactionnaire d’un rassemblement des pays russes. Rien ne se serait opposé à ce qu’en même temps les bolcheviques mènent parmi les travailleurs ukrainiens la propagande en faveur de l’unité la plus étroite avec le prolétariat russe et, pendant la révolution, en faveur d’une union étroite de l’Ukraine et de la Russie soviétique. Au contraire, ce n’est qu’alors que cette propagande serait politiquement cohérente et efficace.
Lénine avait un jour tenté d’élaborer une telle stratégie. En témoigne son « discours séparatiste » sur la question ukrainienne, prononcé à Zurich en octobre 1914. Il disait alors : « Ce que fut l’Irlande pour l’Angleterre, l’Ukraine l’est devenu pour la Russie : exploitée à l’extrême, sans rien recevoir en retour. Ainsi, autant les intérêts du prolétariat international en général que ceux du prolétariat russe en particulier, exigent que l’Ukraine reconquière son indépendance étatique qui seule lui permettra d’atteindre le développement culturel indispensable au prolétariat. Malheureusement, certains de nos camarades sont devenus des patriotes impériaux russes. Nous autres, moscovites, sommes esclaves non seulement parce nous nous laissons opprimer, mais nous aidons aussi par notre passivité à ce que d’autres soient opprimés, ce qui n’est nullement dans notre intérêt » (34). Plus tard, cependant, Lénine n’a pas maintenu ses thèses radicales de Zurich. Nous les retrouvons en revanche dans la pensée politique du communisme indépendantiste ukrainien, celle de Chakraï, des bolcheviques fédéralistes, des borotbistes et des oukapistes.
Pourtant, il ne faut pas s’étonner que les bolcheviques n’avaient aucune stratégie des révolutions nationales des peuples opprimés de l’empire russe. Les questions stratégiques de la révolution étaient plus généralement le talon d’Achille de Lénine lui-même, comme en témoigne sa théorie de la révolution par étapes. En ce qui concerne la théorie de la révolution permanente de Trotski (que Lénine avait adoptée implicitement après la révolution de février), elle n’était alors élaborée que pour le prolétariat de Russie, pays capitaliste sous-développé, et non pour le prolétariat des nations opprimées par la Russie, État impérialiste et prison des peuples. Les fondements théoriques de la stratégie de la révolution permanente du prolétariat d’une nation opprimée sont apparus durant les années de la révolution parmi les courants indépendantistes du communisme ukrainien. Les oukapistes avaient été probablement le seul parti communiste (même s’il n’avait jamais été reconnu par le Komintern en tant que section) qui revendiquait ouvertement la théorie de la révolution permanente. L’idée théorique de base, ébauchée déjà par Chakraï et Mazlakh et assumée par les borotbistes, mais développée avant tout par les oukapistes, était simple. Au stade impérialiste, le capitalisme est, bien sûr, marqué par le processus d’internationalisation des forces productives, mais il ne s’agit là que d’une face de la médaille. Déchiré par ces contradictions, le capitalisme de l’époque impérialiste ne génère pas une tendance sans générer simultanément une contre-tendance. La tendance opposée, c’est celle de la nationalisation des forces productives qui se manifeste, en particulier, par la constitution de nouveaux organismes économiques, ceux des pays coloniaux et dépendants, et engendre des mouvements de libération nationale.
La révolution mondiale prolétarienne n’est que l’effet d’une des tendances contradictoires du capitalisme moderne (l’impérialisme), même si c’est l’effet dominant. L’autre, inséparable du premier, ce sont les révolutions nationales des peuples opprimés. C’est pour cette raison que la révolution internationale est inséparable d’une vague de révolutions nationales et qu’elle ne peut s’étendre sans s’appuyer sur ces révolutions. La tâche des révolutions nationales des peuples opprimés consiste à libérer le développement des forces productives entravé et déformé par l’impérialisme. Libération impossible sans instauration des États nationaux indépendants gouvernés par le prolétariat. Les États ouvriers nationaux des peuples opprimés sont un relais indispensable pour la classe ouvrière internationale afin qu’elle puisse procéder à la solution des contradictions du capitalisme et à la gestion ouvrière d’une économie mondiale. Si le prolétariat cherchait à édifier son pouvoir sur la base d’une seule des deux tendances contradictoires dans le développement des forces productives, il entrerait inévitablement dans une contradiction avec lui même.
Dans leur mémorandum envoyé au IIe congrès de l’Internationale communiste (été 1920), les communistes oukapistes résumaient leur démarche dans les termes suivants : « Le prolétariat international a pour tâche d’attirer à la révolution communiste et à la construction d’une nouvelle société non seulement les pays capitalistes avancés mais aussi les peuples retardés des pays coloniaux en profitant des révolutions nationales de ces derniers. Pour accomplir cette tâche, il faut qu’il y participe et joue le rôle dirigeant dans la perspective de la révolution permanente. Il faut qu’il empêche la bourgeoisie d’arrêter les révolutions nationales au niveau de la réalisation du mot d’ordre de libération nationale ; qu’il poursuive la lutte jusqu’à la prise du pouvoir et à l’instauration de la dictature du prolétariat ; et qu’il conduise jusqu’au bout la révolution démocratique bourgeoise en constituant des États nationaux destinés à rejoindre le réseau international de l’union émergente des Républiques soviétiques. » Ceux-ci doivent s’appuyer « sur les forces du prolétariat national et sur les masses laborieuses du pays ainsi que sur l’aide mutuelle de tous les détachements de la révolution mondiale » (35).
À la lumière de l’expérience de la première révolution prolétarienne, c’est justement cette stratégie de révolution permanente qu’il faut adopter aujourd’hui pour assurer la solution de la question des nationalités opprimées.
Zbigniew Marcin KOWALEWSKI
1. Léon Trotsky, Œuvres, vol. 21, ILT, Paris 1986, pp. 331-332. Ce texte peut aussi être lu sur le web : https://www.marxists.org/francais/trotsky/œuvres/1939/07/lt19390730.htm
Disponible sur ESSF (article 61337), L’indépendance de l’Ukraine et les brouillons sectaires :
http://www.europe-solidaire.org/spip.php?article61337
2. Ibid. pp. 337-338.
3. Ibid. p. 337.
4. Ibid. p. 334.
5. Voir, à ce sujet, un des plus importants ouvrages sur la question nationale, celui du marxiste ukrainien R. Rosdolsky, « Friederich Engels und das Problem der geschischtslosen Völker », Archiv für sozial Geschischte, vol. 4, 1964. [En français : Friedrich Engels et les peuples « sans histoire ». La question nationale dans la révolution de 1848, Syllepse, Paris 2018.]
6. Voir l’étude de M. Volobuiev, apparue en 1928 et objet de violentes attaques des staliniens : « Do problemy oukraïns’koï ekonomiki », in Dokoumenty oukraïns’koho komounizmou, Prolog, New York 1962.
7. Voir J.M. Bojcun, « The Working Class and the National Question in Ukraine, 1880-1920 », Graduate Program in Political Science, York University, Toronto 1985 [The Workers’ Movement and the National Question in Ukraine, 1897-1918, Brill, Leiden-Boston 2021] ; B. Krawchenko, Social Change and National Consciousness in Twentieth Century Ukraine, MacMillan, London 1985, pp. 1-45.
8. Au sujet des débats marxistes de l’époque sur la question nationale voir C. Weill, L’Internationale et l’autre, l’Arcantère, Paris 1987.
9. L’étude classique mais biaisée par l’anticommunisme sur l’implantation du pouvoir bolchevique en Ukraine est celle de J. Borys, The Sovietization of Ukraine 1917-1923, CIUS, Edmonton 1980. Voir aussi T. Hunczak, The Ukraine 1917-1921 : A Study in Revolution, Harvard University Press, Cambridge 1977. Les études classiques sur l’histoire du PC (b) d’Ukraine sont celles de M. Ravitch-Tcherkassky, Istoriia kommounistitcheskoï partii (b-ov) Oukraïny, Gosoudarstvennoe Izdatelsovo Oukraïny, Kharkiv 1923, et celle de M. Popov, Narys istorii Komounistytchnoï partiï (bilchovykiv) Oukraïny, Proletarii, Kharkiv 1929.
10. V. Holoubnytchy, « Mykola Skrypnik i sprava sobornosty Oukraïny », Vpered, n°5-6 (25-26).
11. M.M. Popov, Op. cit., pp. 139-140 et 143-144. En ce qui concerne les rapports entre bolcheviques ukrainiens et le gouvernement soviétique russe, le degré de tensions peut être illustré par une échange de télégrammes qui avait lieu au début d’avril 1918. Le commissaire du peuple aux nationalités Staline au gouvernement Skrypnyk : « Vous avez assez joué au gouvernement et à la république. Il est temps d’abandonner ce jeu ; en voilà assez. » Skrypnyk à Moscou : notre gouvernement « fait dépendre ses actions non de l’attitude de tel ou tel commissaire de la Fédération russe, mais de la volonté des masses laborieuses d’Ukraine (...) Des déclarations comme celle du commissaire Staline voudraient détruire le régime des soviets en Ukraine (...) Elles sont une collusion directe avec les ennemis des classes laborieuses ukrainiennes. » (R. Medvedev, Le Stalinisme : origine, histoire, conséquences, Seuil, Paris 1972, pp. 63-64.
12. Sans aucun rapport avec l’actuelle organisation ukrainienne qui porte ce nom (ndlr.)
13. V. Skorovstansky (V. Chakhraï), Revoliutsiia na Oukraïne, Bor’ba, Saratov 1919 ; S. Mazlakh, V. Chakhraï, Do khvyli, Prolog, New York 1967. Pour la traduction en anglais du second livre voir S. Mazlakh, V. Chakhraï, On Current Situation in the Ukraine, University of Michigan Press, Ann Arbor 1970.
14. Voir I. Majstrenko, Borotbism : A Chapter in the Hisotry of Ukrainian Communism, Research Program on the USSR, New York 1954.
15. Kh. Rakovsky, « Beznadezhnoe delo : O petliouroskoï avantioure », Izvestiia, n°2 (554), 1919 ; voir également F. Conte, Christian Rakovski (1873-1941) : Essai de bibliographie politique, tome 1, Université Lille III, Lille 1975, pp. 287-292.
16. « Tov Rakovsky o programme Vremennogo Oukraïnskogo Pravistelstva », Izvestiia, n°18 (570), 1919.
17. Voir A. Sergeev, « Makhno », Izvestiia, n°76 (627), 1919.
18. M. Skrypnyk, « Statti i promovy z natsionalnoho pytannia », Soutchasnist’, München 1974, p.17.
19. F. Silycky, « Lenin i borot’bisty », Novy Zhournal, n°118, 1975, pp. 230-231. Il faut regretter que la désastreuse politique nationale du gouvernement Rakovski, en 1919, soit passée sous silence par P. Broué, « Rako », Cahiers Léon Trotski, n°17 et 18, 1984, et à peine abordée par G. Fagan dans son introduction à Ch. Rakovski, Selected Writings on Opposition in the USSR 1923-1930, Allison and Busby, London-New York, 1980.
20. Voir A.E. Adams, Bolsheviks in the Ukraine : The Second Campaign, 1918-1919, Yale University Press, New Haven-London, 1963, ainsi que J.M. Bojcun, op. cit., pp. 438-472.
21. L. Trotsky, Escritos militares, tome 2, Ruedo Ibérico, Paris 1976, p. 302.
22. V. Lénine, Œuvres, tome 30, Editions Sociales-Editions du Progrès, Paris-Moscou 1976, pp. 162-165.
23. Ibid. pp. 301-307.
24. Ibid. p. 483.
25. M. Ravitch-Tcherkassky, op. cit., p. 14.
26. I. Deutscher, Trotsky : Le prophète armé, tome 2, UGE, Paris 1979, p. 336.
27. M. Kozyrev, « Bylina o derzhavnoï Moskve », Izvestiia, n°185 (1032), 1920.
28. V. Vynnitchenko, Chtchodennyk 1911-1920, CIUS, Edmonton-New York 1980, pp. 431-432.
29. Cité par M. M. Popov, op. cit., pp. 243-245.
30. Sur l’histoire de l’oukapisme et, en général, du communisme indépendantiste ukrainien, la meilleure étude est celle de J. E. Mace, Communism and the Dilemmas of National Liberation : National Communism in Soviet Ukraine, 1918-1933, Harvard University Press, Cambridge, 1983. [On lira également avec intérêt : Ch. Ford, « Outline History of the Ukrainian Communist Party (Independentists) : An Emancipatory Communism 1918-1925 », Debatte : Journal of Contemporary Central and Eastern Europe, vol. 17, n° 2, 2009.]
31. L. Trotski, Œuvres, vol. 17, ILT, Paris 1983, p. 352. Dans le cadre de la glasnost gobatchévienne, on affirme que ce n’était pas seulement un sujet de discussion mais aussi une promesse formelle – et frauduleuse d’avance – faite à Makhno par la direction bolchevique. Voir l’article de « réhabilitation » du mouvement makhnoviste de V. Golovanov, « Batka Makhno ili ‘oboroten’ grazhdanskoï voïny », Literatournaïa Gazeta, n° 6, 1989.
32. M. Skypnyk, op. cit., p. 11.
33. Le mémorandum du PC ukrainien, in Oukraïns’ka souspilno-politychna doumka v 20 stolitti : Dokumenty i materialy, vol. 1, Soutchasnist’, New York 1938, p. 456.
34. Ce discours ne se trouve pas dans les Œuvres complètes de Lénine. Il a été rapporté par la presse de l’époque. Voir R. Serbyn, « Lénine et la question ukrainienne en 1914 : le discours séparatiste » de Zurich », Pluriel-Débat, n° 25, 1981.
35. Le mémorandum du PC ukrainien, op. cit., pp. 449-450.