[1/2 La menace écofasciste] - L’écofascime est déjà une réalité. En Europe comme en France, l’extrême droite accapare les fondements de l’écologie pour justifier ses discours identitaires et nationalistes. Qui sont les écofascistes ? Pourquoi s’approprient-ils l’écologie ? Une alliance avec Éric Zemmour est-elle possible ? Reporterre a mené l’enquête, en deux parties.
PARTIE I
Le fond de l’air est brun et les nostalgiques du fascisme [
Certains groupes appellent à créer « des Zones identitaires à défendre » (Zid), d’autres achètent des fermes à la campagne pour « défendre les terroirs », d’autres s’arment lourdement en prévision d’une hypothétique guerre civile. Certains apprennent les rudiments de la vie sauvage en pleine nature et se revendiquent de la décroissance. Fruit d’un bricolage idéologique déconcertant, ces mouvances mêlent culture de l’alimentation saine et fascination pour les armes, haine des migrants et jardinage, virilisme et néopaganisme [
Les autorités commencent à y être attentives. Le coordonnateur national du renseignement et de la lutte contre le terrorisme, Laurent Nuñez, évoque « un mouvement qui se développe », à l’image des suprémacistes blancs aux États-Unis, et qui « n’hésite pas à appeler à des techniques de clandestinité et à la pratique du survivalisme ». Dans le contexte de la catastrophe environnementale, ces courants disparates marquent une recomposition en profondeur du mouvement fasciste.
« L’homme doit défendre son biotope contre les espèces invasives »
« L’écologie est une aubaine pour eux, explique à Reporterre le philosophe Dominique Bourg. Elle leur permet de se rénover, de se réaffirmer et de reprendre une importance dans l’époque. » Pour lui, cette récupération est, somme toute, logique : « Cela fait des décennies qu’ils fantasment le déclin. Le changement climatique apporte de l’eau au moulin. Il nourrit leur croyance en l’apocalypse, nourrit aussi leur imaginaire marqué par la peur de l’invasion et de la disparition. »
Dès 1999, un des idéologues de l’extrême droite, Guillaume Faye, prédisait « un choc des civilisations » et une « convergence des catastrophes », économique, géopolitique et environnementale. Pour les fascistes, la prophétie serait en train de se réaliser. La crise climatique accélérerait le « grand remplacement », théorie popularisée par l’écrivain Renaud Camus qui prétend que les « peuples européens », dits « de souche », seront peu à peu remplacés par les peuples issus de l’immigration. Pour y résister, les écofascistes pensent qu’il va falloir accaparer et protéger les rares territoires où les« populations de souche » pourraient encore vivre, et lutter contre « les hordes de migrants » qui fuient les autres continents devenus inhospitaliers.
L’écologie sert ici de paravent à une pensée ségrégationniste. Depuis les années 1970, les intellectuels du Groupement de recherche et d’études pour la civilisation européenne (Grece) en sont les principaux instigateurs. Ils mènent un travail idéologique pour incorporer les thèmes de l’écologie à l’extrême droite. Le philosophe Alain de Benoist, le fondateur du Grece, se dit lui-même décroissant [
Au creux de ces théories résident la haine de l’autre, le culte de la frontière et la hantise du métissage. « La vraie écologie se doit de préserver la diversité humaine par le maintien des grandes races dans leur environnement naturel », écrit ainsi Alain de Benoist. « L’homme doit défendre son biotope contre les espèces invasives. Il faut protéger les écosystèmes, à commencer par les écosystèmes humains que sont les nations », poursuit dans la même lignée Hervé Juvin. Ce cadre du Rassemblement national a créé l’association Les localistes ! avec l’ancien membre de la France insoumise Andréa Kotarac. Dans son manifeste, ce mouvement assure que « toute la France est une zone à défendre ».
« Cette approche est ethnodifférentialiste, explique à Reporterre l’historien Stéphane François. Il ne s’agit plus d’établir une hiérarchie entre des races biologiques, mais de tracer des frontières étanches entre des “cultures” ou des “civilisations”. » Cette vision correspond à ce que le philosophe Malcom Ferdinand désigne sous le nom « d’écologie de l’arche de Noé ». Par écofascisme, il faudrait entendre une politique désireuse de préserver les conditions de vie sur Terre, mais au profit exclusif d’une minorité, blanche de surcroît.
« Embarquer sur l’arche de Noé, c’est d’abord acter d’un point de vue singulier, d’un ensemble de limites tant dans la charge que peut supporter la Terre que dans la capacité de son navire. Monter sur l’arche de Noé, c’est quitter la Terre et se protéger derrière un mur de colère. C’est adopter la survie de certains humains et non humains et légitimer le recours à la sélection violente de l’embarquement », écrivait le chercheur dans son livre Une écologie décoloniale.
« Il faut tuer les envahisseurs et ainsi sauver l’environnement »
Cette vision n’est pas seulement théorique. Elle se traduit aussi en actes. Le 15 mars 2019, à Christchurch, en Nouvelle-Zélande, un homme équipé d’armes de guerre, Brenton Tarrant, a ouvert le feu dans une mosquée, tué 51 personnes et blessé 49 autres. Quelques minutes auparavant, il diffusait un manifeste de soixante-quatorze pages dans lequel il détaillait son parcours idéologique et se revendiquait ouvertement « écofasciste ». « L’immigration et le réchauffement climatique sont deux faces du même problème, écrivait-il. L’environnement est détruit par la surpopulation, et nous, les Européens, sommes les seuls qui ne contribuent pas à la surpopulation. [...] Il faut tuer les envahisseurs, tuer la surpopulation, et ainsi sauver l’environnement. »
Le 3 août de la même année, un autre attentat s’est déroulé à El Paso, au Texas, dans un supermarché fréquenté par des Hispaniques. Patrick Crusius a tué 23 personnes et en a blessé 26 autres à l’arme automatique. Son manifeste est encore plus révélateur que celui de Brenton Tarrant : « Notre style de vie détruit notre environnement. Il crée une dette massive pour les générations futures. [...] J’aime les habitants de ce pays, mais ils sont tous trop têtus pour changer leur façon de vivre. Dans ces conditions, la prochaine étape est de réduire le nombre de gens qui consomment des ressources en Amérique. Si nous pouvons nous en débarrasser en quantité suffisante, alors notre mode de vie pourra devenir un peu plus viable sur le long terme. » Plus loin, dans son manifeste, il déclarait s’être préparé toute sa vie à un futur qui n’existe pas.
Ces deux affaires sont loin d’être des épiphénomènes. En Europe, plusieurs groupuscules armés se revendiquent aussi de l’écofascisme, tandis que de nombreuses personnes d’extrême droite pratiquent le survivalisme. Selon Stéphane François, « le noyau des militants écofascistes compte en France 200 à 300 personnes. Autour, il y a une nébuleuse plus diffuse où ce type d’idées se propage notamment par des revues comme Éléments, Terre et peuple, Réfléchir et agir ou la maison d’édition Culture & ; Racines. Leur lectorat tourne autour de 20 000 personnes ».
Ces revues prônent une conception romantique de l’écologie, faisant la part belle aux poètes régionaux — Giono, Mistral, etc. — et aux classiques de la bibliothèque néonazie française — Saint-Loup ou Robert Dun, un ancien SS précurseur d’une écologie racialiste. Contre une écologie « colonisée par la gauche cosmopolite », leur écologie promeut la figure du paysan enraciné dans son milieu régional et fait le lien entre le peuple, la terre et le sang. Leur écologie est inséparable d’une certaine vision du nationalisme, et vient justifier la nécessité d’une révolution à la fois anticapitaliste et identitaire.
Avec le numérique, ces messages trouvent désormais encore plus d’écho. Ils circulent via les réseaux sociaux, les chaînes YouTube et les messageries cryptées. Au cours de son enquête, Reporterre s’est glissé dans plusieurs groupes écofascistes qui échangent sur l’application Telegram. Ils s’appellent NEO (195 abonnés) ou Ecofash propaganda (2 600 abonnés). Ses membres diffusent en toute tranquillité des visuels et des textes de propagande appelant « à défendre notre race » et vantant pêle-mêle « l’écologisme aryen », la vie dans les bois ou les méfaits de la révolution industrielle. On retrouve aussi des slogans comme « Sauvez les abeilles pas les migrants » ou « La terre ne ment pas ».
Les images qui circulent sur les réseaux sociaux écofascistes :
[Voir l’article original.]
« Ce pays mérite une guerre civile raciale bien sale »
Récemment, en France, plusieurs affaires judiciaires ont révélé l’imminence du péril. Le parquet antiterroriste a d’ailleurs été saisi à plusieurs reprises. Mardi 23 novembre 2021, un groupe de survivalistes d’extrême droite nommé Recolonisons la France et composé de treize personnes a été arrêté par les forces de l’ordre qui ont découvert un arsenal de 130 armes lors de l’interpellation. Les membres de ce groupe sont jeunes et issus de la gendarmerie. Cette structure se définissait comme un « groupe communautaire de survivalistes patriotes ».
Quelques jours auparavant, deux militants d’ultradroite étaient également arrêtés en Occitanie. Ils prévoyaient de faire un attentat et se qualifiaient « d’accelérationistes ». Ils étaient persuadés de l’arrivée de l’effondrement et de la guerre civile, et souhaitaient encourager des affrontements entre communautés.
En octobre dernier, trois autres survivalistes d’extrême droite ont été mis en examen dans la région de Saint-Étienne (Loire), après la découverte de plusieurs armes et munitions à leur domicile. Sur l’un des terrains perquisitionnés, une base de vie avait été organisée avec un important stock de vivres et de médicaments. Un pistolet-mitrailleur, un fusil d’assaut, deux fusils à pompe et trois grenades, ainsi que 2 500 munitions avaient également été retrouvés.
Il y a tout juste un an, dans le Puy-de-Dôme, un homme de 48 ans assassinait trois gendarmes et en blessait un quatrième. Il était armé d’un Glock et d’un fusil d’assaut AR-15 et possédait des équipements de combat. Selon le procureur, Éric Maillaud, le forcené était « catholique, très pratiquant, voire extrémiste. Survivaliste. Il semblerait qu’il était convaincu de la fin du monde prochaine ».
De manière générale, le courant survivaliste est très perméable aux idées d’extrême droite. Il est également bien présent au sein de la police. Dans une enquête, en juillet 2020, Mediapart avait révélé les échanges entre plusieurs membres des forces de l’ordre à Rouen (Seine-Maritime). Des policiers se définissaient eux-mêmes comme fascistes et adeptes du survivalisme, et stockaient armes et vivres. « Ce pays mérite une guerre civile raciale bien sale » ; « Moi, je veux un État normand, fasciste, barbare, et qu’on se retrouve entre nous, entre Blancs », écrivaient-ils sur leur groupe privé WhatsApp.
« La véritable nature des Européens, c’est d’être un Waffen SS »
« À son origine, le survivalisme est issu d’une pensée profondément réactionnaire », rappelle le sociologue Bertrand Vidal. Le mouvement a été créé pendant la guerre froide face à la menace soviétique. « Ses fondateurs, dont Kurt Saxon, écrivaient des conseils de survies et des fictions édités par l’imprimerie du parti nazi étasunien. À la base du survivalisme, il y a une conscience dichotomisante du monde : d’un côté il y aurait les élus, les winners de la fin du monde, et de l’autre côté les damnés de la terre, ceux qui méritent de disparaître. Logiquement, l’extrême droite a pu se lover dans cette vision. »
En 2016, un des pontes du survivalisme, Piero San Giorgio, déclarait que la véritable nature des Européens, « c’est d’être un Waffen SS, un lansquenet, un conquistador... ». Il ajoutait qu’« on fait en sorte que des gens qui n’auraient pas dû exister existent... on sauve les malades, les handicapés... c’est très bien, ça donne bonne conscience, mais c’est pas comme ça qu’on construit une civilisation, c’est comme ça qu’on la détruit ».
Son livre Survivre à l’effondrement économique s’est très largement vendu et a été traduit en dix langues. Dans ses ouvrages, il théorise le concept de « base autonome durable » (BAD) comme moyen de survie. Selon lui, il faut acquérir des propriétés dans des zones rurales afin d’y établir des bases retranchées autosuffisantes tant au niveau alimentaire qu’énergétique, avec de quoi tenir une période difficile, pour participer à une guerre civile qu’il juge inéluctable.
Piero San Giorgio organise avec le fasciste Alain Soral et son association Égalité et Réconciliation des stages de survie dans le sud de la France près de Perpignan (Pyrénées-Orientales). Il a aussi assuré la promotion d’articles de survivalisme sur le site de commerce en ligne Prenons le maquis d’Alain Soral, dont il a été partenaire et actionnaire. Une affaire florissante. Alain Soral lui-même s’est installé à la campagne. Il a acheté à Ternant, dans la Nièvre, une ferme au lieu-dit La Souche. À l’extrême droite, plusieurs militants ont fait le choix d’un retour à la terre ou, du moins, d’une vie loin des métropoles. Ce repli à la campagne est vu comme une première étape, avant de repartir à la reconquête du territoire.
Génération identitaire invite ainsi à « développer des stratégies de résilience communautaire dans des espaces abandonnés » pour « y susciter une économie qui nourrit ses membres ou une partie importante ». « Cela ne pourra se faire qu’à la campagne », précise l’un de ses porte-parole, Clément Martin, dans un récent article. « Dans toute guerre, il y a une avant-garde et une arrière-garde : les deux positions ne se contredisent pas, elles sont complémentaires. Il s’agit de garder à l’esprit que pour perdurer, notre idéal doit s’incarner dans des familles où les enfants sont heureux de grandir au cœur d’un terroir préservé. C’est pourquoi il est impératif de reconquérir nos campagnes et d’en faire nos Zid : zones identitaires à défendre », écrivait-il.
Ces projets avancent en souterrain. Même l’Action française appelle ses « patriotes » à s’enraciner. Plusieurs « fermes nationalistes » ont déjà été créées. La plus connue s’appelle la Desouchière, à Mouron-sur-Yonne (Nièvre). Ses membres prônent une vie en communauté seulement entre « Blancs », « au cœur du Morvan, en vieux pays celtique, là où de tout temps une rude race a vécu avec ténacité et indépendance ». Ils avaient associé à son projet une Amap [
Le retour à la campagne est dans l’air du temps. Logan Alexandre Nisin, en prison depuis quatre ans après avoir projeté de faire des attentats avec son groupe OAS, était également le trésorier de l’association France-Village. Celle-ci avait pour ambition d’acheter un petit village pour « sauver la race blanche ».
L’écofascisme n’a donc rien d’un fantasme, il est déjà une réalité. Demain, Reporterre reviendra sur ses origines historiques et sa récente conquête des esprits, sa porosité avec certains milieux écologistes et sa possible alliance avec la candidature d’Éric Zemmour.
Gaspard d’Allens (Reporterre)
PARTIE II : Du XIXe siècle à Zemmour, l’écofascisme contamine le débat politique
ENQUÊTE — Nazisme, liens avec l’écologie… Pour comprendre l’essor de l’écofascisme, il faut remonter aux sources de cette idéologie. La menace est réelle, tant cette doctrine fait écho à certaines idées du candidat Éric Zemmour.
[2/2 La menace écofasciste] - L’essor actuel de l’écofascisme découle d’une bataille idéologique, à l’œuvre depuis des décennies, pour imposer ses thèmes de prédilection et rapprocher l’extrême droite de l’écologie. Au sein des milieux écologistes et émancipateurs, on a tendance à minimiser cette lame de fond et à n’y voir qu’un mouvement condamné à la marginalité. On aurait tort. La confusion inédite qui règne aujourd’hui pourrait changer la donne. « Dans le clair-obscur surgissent les monstres », écrivait Antonio Gramsci.
Reporterre revient dans cet article sur trois éléments qui invitent à prendre au sérieux « le péril vert brun » : son corpus idéologique et ses racines profondes, sa porosité avec certains courants de l’écologie politique et enfin la candidature d’Éric Zemmour, qui pourrait parvenir à opérer la jonction entre le mouvement fasciste traditionnel et ses nouvelles composantes.
En premier lieu, il faut rappeler que le fascisme [
« Écofascisme » est une expression inventée par Pentti Linkola, un écrivain finlandais qui prônait la désindustrialisation, l’immigration zéro et la réduction de la population pour protéger la planète. L’auteur, mort en 2020, qualifiait la démocratie de « religion de la mort » et défendait la mise en place de mesures autoritaires pour maintenir la vie humaine sur Terre.
Une histoire ancienne
La pensée écofasciste est le fruit d’un bricolage idéologique qui trouve ses fondements dès le XIXe siècle. Elle reprend à son compte les analyses de l’économiste Thomas Malthus, qui faisait de la surpopulation la principale cause du problème écologique. Ce dernier préconisait une régulation volontaire des naissances, notamment au sein des classes populaires, et l’arrêt de toute aide aux nécessiteux pour « éviter la fin prématurée de l’espèce humaine ».
L’écofascisme puise aussi sa source dans le folklore du mouvement völkisch en Allemagne, qui mêlait environnementalisme et nationalisme xénophobe. Deux penseurs, Ernst Moritz Arndt et Wilhelm Heinrich Riehl, ont nourri cet imaginaire. Dès 1815, ils se prononçaient contre l’exploitation à courte vue des forêts et des sols et flattaient, en parallèle, la pureté raciale du peuple teuton, prétendument envahi par les Juifs et les Slaves. L’amour de la terre se liait alors à l’antisémitisme, et le mysticisme de la nature au populisme ethnocentrique.
Ernst Haeckel, le biologiste qui a inventé le mot « écologie » en 1866, fut lui-même un partisan du mouvement völkish. « Les racines du fascisme plongent profondément dans la pensée écologiste du XIXe siècle », explique ainsi l’historien Paul Guillibert dans un article paru dans la revue Mouvements. À un moment de l’histoire, ces deux courants — l’écologie et l’idéologie fasciste — se sont entremêlés.
Ils ont d’ailleurs donné naissance à « l’aile verte » du parti nazi. Composée principalement de Walther Darré, Fritz Todt, Alwin Seifert et Rudolf Hess, cette fraction écologiste obtint, avant son éviction en 1942, de nombreuses avancées en matière d’environnement, y compris la création de plusieurs milliers de fermes agroécologiques en Allemagne. Leur écologie était historiquement liée à l’idée d’enracinement, ils défendaient le mot d’ordre nazi « Blut und Boden » (« le sang et le sol »), qui visait à définir une communauté politique racialement homogène sur un territoire délimité par des frontières naturelles.
Une idéologie partie à « la conquête des esprits »
Cette forme d’écologie n’a pas disparu avec la fin du nazisme, bien au contraire : certains cadres dénazifiés, comme le pasteur Werner Georg Haverbeck et Renate Riemeck, médiéviste et ancienne secrétaire du SS Johann von Leers, en firent de nouveau la promotion dans les années 1970. À la même époque, en France, un ancien SS, Robert Dun (de son vrai nom Maurice Martin), a été l’un des pionniers de cette forme d’écologie. De même, en 1995, le militant antisémite et rescapé de la collaboration avec les nazis, Henry Coston, publiait à son compte un libelle intitulé Non ! L’écologie n’est pas de gauche.
La pensée écofasciste a retrouvé dès les années 1980 un terrain fertile, notamment en France. Avec le concours de la Nouvelle Droite et de l’idéologue déterminant Alain de Benoist. Ces courants ont mené ce qu’ils appellent « une lutte métapolitique », un combat culturel extraparlementaire qui considère la transformation idéologique comme une précondition au changement politique.
Selon la chercheuse Lise Benoist, contactée par Reporterre, « ces métapoliticiens se revendiquent “gramscistes de droite”, ils partent à la conquête des esprits et s’opposent férocement à une hégémonie culturelle qu’ils jugent à gauche ». En quarante ans, ces idéologues ont creusé peu à peu leur sillon et ont réussi à imposer dans le débat public leur obsession identitaire, qu’ils ont reliée aux questions écologiques. Ils ont notamment introduit le thème de la décroissance à l’extrême droite et construit une nouvelle doctrine autour de l’écologie de la frontière.
Dans son récent livre La grande confusion, le sociologue Philippe Corcuff estime qu’ils ont gagné la bataille des idées. Ils ont réussi à « désagréger des repères politiques antérieurement stabilisés » et « développé des passerelles discursives entre des courants que l’on pouvait juger auparavant antagonistes ».
Une porosité avec les courants plus classiques de l’écologie
La profondeur historique et l’ossature théorique de l’écofascisme est une des premières raisons qui peut nous pousser à nous inquiéter. « Elle pourrait entraîner une reconfiguration idéologique du fascisme », alerte Antoine Dubiau, l’animateur du blog Perspectives printanières. Le deuxième élément particulièrement déstabilisant est de remarquer que ces courants écofascistes ne sont pas toujours si isolés qu’on le croit et pas forcément coupés des courants de l’écologie politique.
On peut citer, là aussi, de nombreux exemples. Comme le raconte l’historien Stéphane François, dans son livre Les vert-bruns, certains ex-cadres nazis ont participé à la création des Grünen en Allemagne. Aux États-Unis, des écofascistes ont également infiltré le mouvement biorégionaliste. L’idéologue d’extrême droite Alain de Benoist avait des liens avec Edward « Teddy » Goldsmith, le fondateur de la revue britannique The Ecologist. L’une des théoriciennes de l’antispécisme, Maximiani Portas, plus connue sous le nom de Savitri Devi, était à la fois une ardente néonazie et une militante écologiste radicale qui a inspiré de nombreux hippies après les années 1968. Le fondateur du groupe Earth First !, Dave Foreman, est aussi une personnalité sulfureuse : il estimait que l’immigration de masse était la cause majeure de la détérioration écologique.
Une écologie enracinée défend aussi bien le territoire local, l’héritage européen et la nécessité du noyau familial hétérosexuel
La France n’est pas épargnée par ces liens nauséabonds. On retrouve des personnes proches des courants écofascistes dans le Mouvement écologiste indépendant (MEI) d’Antoine Waechter. Cet ex-candidat à la présidentielle défend une écologie ni de droite ni de gauche et vante le localisme, les terroirs en citant parfois d’anciens vichystes comme Yann Fouéré. Des membres de la Nouvelle Droite sont entrés dans son parti, tel le militant identitaire Laurent Ozon, qui animait la revue Le Recours aux forêts ou encore Fabien Niezgoda et l’essayiste François Bousquet, qui dirige la revue Éléments.
« Ils se retrouvent sur une critique du capitalisme mondialisé, de la marchandisation de la nature et de l’aliénation des formes de vie moderne, raconte la chercheuse Lise Benoist. C’est une base commune pour une écologie enracinée, qui défend aussi bien le territoire local, l’héritage européen et la nécessité du noyau familial hétérosexuel. »
En septembre 2020, la chercheuse, qui travaille avec Andreas Malm et le Zetkin Collective, avait pu s’introduire dans un colloque de l’extrême droite organisé à la Maison de la chimie, à Paris, et intitulé « La Nature comme socle ». Elle décrivait un événement incongru avec des stands où les livres d’Alain de Benoist côtoyaient ceux de Pablo Servigne sur l’effondrement.
« Les écologistes ont un gros travail de clarification idéologique à mener s’ils veulent éviter que certains milieux d’extrême droite se réapproprient leurs batailles, estime Antoine Dubiau, du blog Perspectives printanières. C’est une menace à prendre très au sérieux. La façon dont nous parlons de l’écologie aujourd’hui, de la nature ou de la démographie peut parfois être soluble dans une conception fascisante. Il faut fermer les brèches à travers lesquels ces militants pourraient s’engouffrer pour éviter toute tentative de capture. »
Cette perspective nécessiterait un travail intellectuel important, pour repolitiser et redéfinir les concepts propres à l’écologie. Un constat partagé par le philosophe Pierre Madelin dans la revue Terrestres : « Nous ne sommes pas suffisamment préparés à combattre cette alliance criminelle entre le brun et le vert, ni conceptuellement ni politiquement. »
L’alliance carbofascisme — écofascisme
Il y a pourtant urgence. La candidature d’Éric Zemmour à la présidentielle française pourrait rebattre les cartes. Évidemment, le polémiste d’extrême droite n’a que faire de l’écologie, comme l’a montré Reporterre, mais il charrie autour de lui une nébuleuse proche du survivalisme.
Récemment, Streetpress a révélé comment un groupe d’extrême droite, soutien actif d’Éric Zemmour, s’entraînait au tir sur des caricatures racistes de juifs, de musulmans et de Noirs dans une forêt de l’ouest de la France. Le groupe se fait appeler la « Famille Gallicane ». Composé de plusieurs dizaines de membres actifs, il rassemble quelques centaines de sympathisants. Dans leur cercle de discussion, ces adhérents font l’apologie du terroriste Brenton Tarrant — auteur des attentats de Christchurch, en Nouvelle-Zélande, en 2019 —, qui se réclamait de l’écofascisme et appelait à se communautariser.
« Le seul élément vraiment saillant de leur doctrine, ce sont les références récurrentes au survivalisme, dit à Reporterre Mathieu Molard, le rédacteur en chef de Streetpress. La Famille Gallicane, comme de nombreux groupuscules radicaux en France, se revendique de ce mouvement populaire aux États-Unis, dont les adeptes s’entraînent à survivre et s’arment en prévision d’une catastrophe ou d’un effondrement de notre civilisation. »
Une alliance pourrait donc se dessiner entre ces différents groupuscules survivalistes ou écofascistes et le mouvement autour de la candidature d’Éric Zemmour. Cela ne serait d’ailleurs pas complètement inédit. Aux États-Unis, le climatoscepticisme de Donald Trump n’a pas empêché certains de ses soutiens de flirter avec les tenants de l’écofascisme. Par exemple, l’auteur Mike Ma, qui s’en réclame, écrivait pour le site ultranationaliste de l’ancien conseiller spécial de la Maison Blanche, Steve Bannon. Donald Trump était aussi très proche de John Tanton, un milliardaire engagé à la fois pour la protection de l’environnement et contre l’immigration, qui dirigeait avant sa mort, en 2019, la Federation for American Immigration Reform. De nombreux survivalistes aux États-Unis ont soutenu Donald Trump aux dernières élections. On en retrouve d’ailleurs plusieurs parmi les inculpés de l’assaut du Capitole, le 6 janvier 2021.
En France, la question reste pour l’instant en suspens. L’alliance n’est pas encore effective, mais appelle à la plus grande vigilance. Comme l’annonçait déjà André Gorz dès les années 1970, « la grande bataille a commencé. Ce sera leur écologie ou la nôtre ».
Gaspard d’Allens (Reporterre)