Armés d’une potence, de drapeaux bulgares et de slogans contre le “fascisme médical” (on y a même vu un homme déguisé en Hitler), plusieurs centaines d’antivax – des “milliers” selon les organisateurs – ont manifesté, le mercredi 12 janvier, devant le Parlement bulgare avant de tenter de prendre d’assaut le bâtiment. “Nous sommes le peuple, cet édifice nous appartient et, ici, c’est la Bulgarie !” criaient-ils, raconte un reporter du site en bulgare de Radio Free Europe / Radio Liberty qui note, avec étonnement, que les forces de police présentes sur place, qui ne portaient ni boucliers, ni casques, ni matraques, ont eu beaucoup de mal à contenir les manifestants qui ont bien failli pénétrer dans le Parlement.
Une “expérimentation monstrueuse”
En fait, tous ces gens étaient venus des quatre coins du pays, acheminés par des cars affrétés par le parti nationaliste Vazrajdané (“Renaissance”), qui, avec près de 130 000 voix aux dernières élections (un peu moins de 5 % des électeurs), est devenu avec ses 13 députés le sixième parti présent au Parlement. Son leader, Kostadin Kostadinov, qui plaide pour une sortie de la Bulgarie de l’Union européenne, qu’il qualifie de “prison à ciel ouvert”, mène aussi une campagne acharnée contre toutes les mesures prises pour tenter d’endiguer l’épidémie de Covid-19. Et notamment le pass sanitaire et la vaccination : à la fin de l’année, il avait menacé les députés de “révolution” s’ils votaient pour l’obligation de présenter un certificat de vaccination pour se rendre au Parlement. “C’est un stratagème pour nous empêcher de venir travailler”, a-t-il notamment dit, arguant que ses députés – qui ostensiblement ne portent pas de masques – n’allaient certainement pas se faire injecter un “liquide non identifié” administré dans le cadre d’une “expérimentation monstrueuse sur le genre humain”.
Après avoir été repoussés des portes du Parlement, ces militants ont continué vers le siège du gouvernement, puis vers le ministère de la Santé ; une délégation demandant l’abrogation immédiate du pass sanitaire a même été reçue par la ministre de la Santé, Assena Serbezova, selon la chaîne de télévision privée Bulgaria On Air. “Une tension extrême dans les rues de la capitale et plusieurs blessés du côté des forces de l’ordre. Un manifestant armé a été arrêté”, résume son correspondant sur place, évoquant l’ambiance de cette journée particulière, alors que les militants de Vazrajdané ont promis des actions encore plus spectaculaires à venir.
Taux de mortalité
Le premier paradoxe, comme l’ont souligné de nombreux députés, est que ce parti est représenté au Parlement, où ses représentants s’expriment régulièrement sur les sujets liés à la pandémie. “Je ne connais pas d’autres pays de l’UE où ce genre de manifestations sont organisées par un parti politique qui, de surcroît, appelle à mettre le Parlement à sac”, a réagi sur les ondes de la radio nationale BNR le socialiste Ivaïlo Kalfine, ancien ministre des Affaires étrangères. “Le parti Vazrajdané a ainsi montré son vrai visage”, a-t-il conclu.
Les médias bulgares soulignent aussi que cette manifestation de force intervient au moment où la Bulgarie sort à peine d’une vague particulièrement meurtrière causée par le variant Delta et s’enfonce dans celle provoquée par le variant Omicron. “Ce qui se passe ici est une véritable tragédie”, a estimé Skender Sila, le représentant de l’OMS dans le pays, cité par le quotidien Sega, tout en appelant les Bulgares à se faire vacciner. Avec à peine 26 % de sa population ayant un schéma vaccinal complet, la Bulgarie est, de loin, le pays le moins vacciné d’Europe. Et celui qui enregistre un des plus forts taux de mortalité liée au Covid.
Double discours
Le deuxième paradoxe est que certains mentors politiques des antivax, comme les députés de Vazrajdané, se sont révélés eux-mêmes vaccinés et détenteurs d’un pass sanitaire en bonne due et forme. Selon une enquête de la chaîne de télévision bTV diffusée le 7 janvier, c’est le cas d’au moins quatre des 13 députés du parti au Parlement. L’un d’eux, Nikolaï Drenchev, le secrétaire du groupe parlementaire, est l’un des plus virulents pourfendeurs des vaccins. “Tant qu’on ne me met pas un pistolet sur la tempe, je ne me vaccinerai pas. Et je ne conseillerai à personne de le faire”, clamait-il encore tout récemment, alors qu’il a reçu le 19 août 2021 une dose du vaccin Janssen, selon l’enquête de bTV. Aucun des quatre n’a nié avoir tenu un double discours sur le sujet, se barricadant derrière l’argument que leur “statut vaccinal personnel” était une affaire strictement privée. Ce qui ne les a pas empêchés d’appeler leurs militants antivax et anti-pass sanitaire de mettre à sac le Parlement, certains d’entre eux leur prêtant même main-forte.
Alexandre Lévy
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