Neuf mois ont passé depuis le coup d’État mené par l’armée en Birmanie. La répression a fait plus de 1 200 morts et 7 250 personnes ont été arrêtées, mises en examen ou condamnées, selon le bilan fourni par l’ONG Association d’assistance aux prisonniers politiques [1].
Le mois dernier, l’ancienne dirigeante Aung San Suu Kyi, prix Nobel de la paix en 1991, 76 ans, a comparu pour la première fois devant un tribunal de la junte. Le 12 novembre, le journaliste américain Danny Fenster, 37 ans, poursuivi pour violation de la loi sur les visas, association illégale et incitation à la dissidence, a été condamné à 11 ans de prison. Travaillant pour le média Frontier Myanmar, Danny Fenster a été arrêté à l’aéroport de Rangoun en mai, alors qu’il s’apprêtait à quitter le pays.
Il devait comparaître de nouveau mardi 16 novembre pour deux autres chefs d’accusation, sédition et terrorisme, pour lesquels il encourt la perpétuité, mais l’ancien ambassadeur américain à l’ONU, Bill Richardson, a annoncé avoir obtenu sa libération et il était lundi sur le chemin du retour vers les États-Unis, selon un tweet du Centre Richardson [2].
Les journalistes indépendants sont donc traqués et le peu d’informations qui filtrent indiquent que le pays, frappé par une crise économique et sanitaire d’ampleur, a basculé dans la guerre civile. Des jeunes protestataires ont rejoint les zones tenues par les mouvements ethniques armés.
Dans le même temps, un gouvernement en exil, le gouvernement d’unité nationale de la République de l’Union du Myanmar (NUG selon son acronyme en anglais), formé peu après le putsch du 1er février, organise la résistance, à la fois sur le sol birman et à l’étranger.
Aung Myo Min Aung Myo Min au Forum de la Paix le 12 novembre 2021. © Compte Facebook Aung Myo Min
Son ministre des droits de l’homme, Aung Myo Min [3], était de passage à Paris, pour rencontrer des représentants du ministère des affaires étrangères français, des parlementaires, mais aussi la communauté birmane vivant dans l’Hexagone. Âgé de 55 ans, il appartient à la génération 1988 qui s’était soulevée contre une autre dictature militaire.
Étudiant à l’époque, il avait rejoint la résistance à la frontière avec la Thaïlande, comme des milliers de jeunes Birmans. C’est là qu’a débuté son engagement en faveur des droits humains au sein du Front démocratique de tous les étudiants birmans (ABSDF, All Burma Students’ Democratic Front). « Je me suis occupé du comité des affaires étrangères de l’armée des étudiants. C’est comme ça que j’ai commencé ma carrière d’activiste, en documentant les cas de violation des droits humains et en tissant des liens avec la communauté internationale », explique Aung Myo Min. Il s’occupe alors de rédiger des rapports adressés aux Nations unies pour pousser les membres de l’organisation internationale à sanctionner le régime militaire. Trente-trois ans plus tard, il est donc de nouveau confronté aux militaires, cette fois comme ministre chargé des droits humains.
« C’est d’une grande importance. C’est non seulement la première fois qu’il y a un ministère des droits humains dans un gouvernement birman, mais aussi la première fois qu’il y a un ministre homosexuel », souligne-t-il. Aung Myo Min est aussi de nouveau confronté à l’exil après être revenu dans son pays natal en 2012, où il dirigeait depuis cette date l’ONG Equality Myanmar. Il s’occupait de sensibiliser les différentes communautés birmanes aux droits humains et de pousser les autorités à renforcer les droits des citoyens.
François Bougon : Quelle est votre mission en tant que ministre des droits humains au sein du gouvernement birman en exil ?
Aung Myo Min : Ma mission est vaste, car les droits humains ne concernent évidemment pas un seul ministère. Le sujet est transversal. Ma stratégie se décline en trois points. Premièrement, je veux documenter les cas de violation des droits humains pour rendre possible à l’avenir une justice transitionnelle. Deuxièmement, je veux qu’on puisse utiliser ces preuves au bénéfice d’actions internationales afin que les responsabilités des auteurs soient définies et que la justice l’emporte. Enfin, je mets en avant mon expérience pour que les principes des droits humains soient intégrés dans toutes les politiques du NUG.
Notre premier objectif est de faire en sorte que cessent les livraisons d’armes au régime, que l’on arrête aussi toutes les aides, les sources de financement ou les échanges commerciaux qui permettent d’enrichir et de renforcer la puissance des militaires. Il faut aussi mettre un terme à la culture de l’impunité en Birmanie. Ce qui est important, c’est de prendre toutes les mesures pour pouvoir traduire les militaires devant une cour internationale indépendante afin qu’ils répondent de leurs crimes.
Vous n’avez pas rencontré durant votre séjour de représentants de Total, entreprise française critiquée pour sa présence en Birmanie dans le secteur de l’énergie. Si vous en aviez eu l’occasion, que leur auriez-vous dit ?
Total a expliqué vouloir verser aux associations qui travaillent pour les droits humains en Birmanie l’équivalent des taxes que l’entreprise est amenée à payer à la junte. Lorsque j’ai entendu cette nouvelle, je me suis dit que c’était un signe positif. Cependant, en regardant de plus près, je me suis aperçu qu’il ne s’agissait que d’une part infime de ce que rapporte le gisement exploité par Total [selon l’ONG EarthRights International, la suspension du paiement des dividendes ne représente que 10 % des montants générés par le gisement offshore de Yadana – ndlr]. Ce qui me laisse penser que nous sommes plus dans une opération de relations publiques pour tenter de redorer son image que d’une véritable action pour faire pression sur les militaires. Ce que nous réclamons, c’est qu’aucun dollar ne soit versé aux militaires, car avec cet argent ils tuent, grâce à toutes leurs armes, leurs technologies et leurs munitions. Nous voulons que Total cesse de donner le moindre dollar à la junte birmane, car lui donner de l’argent, c’est soutenir le génocide et les crimes contre l’humanité.
Quel était le but de votre visite à Paris ?
Mon objectif était de toucher trois secteurs différents. Le premier, celui des responsables gouvernementaux, en particulier le ministère des affaires étrangères ; le deuxième, celui des parlementaires ; le troisième, celui des communautés birmanes et des soutiens internationaux. La raison de ma rencontre avec le gouvernement français est d’obtenir à terme la reconnaissance du NUG comme gouvernement légitime. Nous sommes conscients que c’est une question controversée et que le processus est compliqué et comporte des défis, car la France ne peut pas décider seule, cela doit se faire avec les autres États européens. Cependant, il est possible d’avoir des contacts, de se parler, de faire en sorte que nous ayons des rencontres semblables à des rencontres officielles, de faire en sorte que le NUG gère le soutien aux civils en Birmanie… L’essentiel est de ne pas reconnaître les militaires comme gouvernement légitime. Ils représentent une institution criminelle qui a tenté un putsch, mais ce putsch n’a toujours pas réussi.
Quel rôle la Chine peut-elle jouer dans la crise birmane ?
C’est une question importante. La Chine est un voisin puissant, qui dispose d’une influence énorme en raison de sa présence commerciale en Birmanie. Nous sommes prêts à avoir des relations avec n’importe quel gouvernement, mais il faut qu’il ait un engagement sincère envers la démocratie et les intérêts du pays. Nous essayons d’avoir de bonnes relations diplomatiques pour échanger sur ce qui nous semble la meilleure solution pour changer le scénario brutal imposé par les militaires. Avoir des discussions informelles avec la Chine est important. C’est ce que nous faisons à travers les parlementaires de la Ligue nationale pour la démocratie [LND, la formation d’Aung San Suu Kyi – ndlr], qui ont établi le Comité représentatif du Parlement. Nous essayons de renforcer ce canal de communication. Par ailleurs, la Chine a de bonnes relations avec l’Asean [Association des nations de l’Asie du Sud-Est – ndlr] et l’Asean peut aussi transmettre nos messages et idées à Pékin.
Vous êtes satisfait de la position de l’Asean ?
La décision de l’Asean de ne pas inviter le chef de la junte [Min Aung Hlaing – ndlr] à son sommet annuel fin octobre a été une percée pour nous, car l’organisation régionale avait jusque-là une politique de non-ingérence et, en raison de sa politique d’engagement constructif avec la Birmanie, se gardait bien de parler des sujets sensibles. Il est clair, désormais, que la Birmanie n’est pas un sujet intérieur mais régional. La situation a des conséquences pour les autres pays frontaliers, que l’on parle du Covid mais aussi des droits humain et des conséquences de leurs violations. En tant qu’organisation régionale, l’Asean doit faire plus pour préserver la sécurité et la stabilité de la région en intervenant sur ces questions, et de la manière la plus forte possible.
Le gouvernement birman sous Aung San Suu Kyi a été très critiqué pour sa gestion de la question des Rohingyas. Avez-vous évolué sur ce dossier ?
Bien sûr. La question des Rohingyas a toujours été dans mon cœur, car je suis un militant des droits de l’homme. Toute atteinte contre un membre de l’humanité est une menace envers tous les êtres humains. J’ai toujours été opposé à quelque discrimination ou crime commis envers n’importe quel groupe. Donc, quand j’ai été nommé au sein de ce gouvernement, je me suis demandé ce que je pourrais faire sur ce sujet, parce qu’il met le pays sur une liste noire. Le premier texte sur lequel je travaille concerne la politique envers les Rohingyas.
Mais ce n’est pas moi qui vais le rédiger seul. Ce sera le résultat d’une longue série de consultations, car c’est une question qui concerne toutes les communautés. Je dois écouter, consulter toutes les parties prenantes, afin de définir les meilleures solutions. Cette position est exceptionnelle, car nous reconnaissons à la fois l’existence des Rohingyas et les crimes qui ont eu lieu au cours des 20 dernières années.
Il est important de définir les responsabilités pour pouvoir porter les cas devant la justice dans le futur. Il est aussi nécessaire d’abolir la loi de 1982 sur la citoyenneté [à partir de ce texte, les Rohingyas n’étaient plus reconnus comme l’un des 135 groupes ethniques de Birmanie et sont devenus apatrides – ndlr], car elle est discriminatoire. Nous nous engageons aussi à tout faire pour mettre en œuvre certaines des recommandations émises en 2017 par l’ancien secrétaire général de l’ONU Kofi Annan pour obtenir la paix dans l’État Rakhine [présentées alors que ce dernier présidait la commission consultative sur l’État Rakhine – ndlr].
Je continue à consulter les différents groupes de Rohingyas à l’intérieur du pays, dans les camps de réfugiés et ailleurs dans le monde. Mon ministère a d’ailleurs nommé un activiste rohingya très respecté, Aung Kyaw Moe, au sein de notre conseil consultatif. Il nous donne des conseils très précieux et aussi des lignes directrices pour ce processus. Il amène également d’autres personnalités importantes pour ce processus.
J’ai rencontré Aung Myo Min samedi 13 novembre, à l’occasion de son passage dans la capitale parisienne, où il a également participé au Forum de la paix.