Les événements de ces derniers jours nous confrontent à une situation politique et sociale particulièrement grave, rendue encore plus compliquée et difficile par ses éléments contradictoires et les effets collatéraux qu’elle produit. Il y a un brouillard de confusion grandissant et beaucoup de simplifications excessives, même si certains faits essentiels sont clairs.
L’assaut contre le siège de la CGIL
Après une série de manifestations appelées sous l’égide des campagnes no vax et no green pass, dans lesquelles la présence d’organisateurs d’extrême droite était déjà trop claire, la grande manifestation de samedi à Rome a choisi, sans hésitation, cent ans après la destruction des Chambres du travail par les fascistes, de viser le siège national de la CGIL. L’assaut des forces d’extrême droite, sous le regard souriant de centaines de personnes, s’est prolongé, atteignant le cinquième étage du bâtiment, sans être en aucune façon contré par les soi-disant forces de l’ordre. Ces dernières ont donc été pleinement complices de l’agression, responsables également d’un maintien de l’ordre dans les rues qui a laissé le champ libre aux composantes fascistes no vax et autres pour parcourir la ville pendant de nombreuses heures. Au point qu’à la fin de la journée, il n’y a eu pratiquement aucune arrestation ou détention. Certaines arrestations n’ont eu lieu que le jour suivant.
Il ne peut y avoir aucun doute sur ce qui s’est passé. Il s’agit d’une attaque politique et symbolique des forces fascistes contre l’organisation historique de la classe ouvrière. C’est une agression contre les syndicats qui, au-delà de la ligne de collaboration actuelle des dirigeants, représentent une époque historique entière de l’organisation de la classe. C’est une attaque contre des millions de travailleurs organisés, une attaque objective contre toutes les organisations syndicales, tant confédérales que de base, contre tous les travailleurs de notre pays. Elle est très préoccupante.
Elle exprime en même temps le degré de banalisation des fascistes qui se poursuit depuis des années. Il n’y a pas eu de véritable mobilisation antifasciste qui ne soit pas seulement un front politique creux. Les politiques gouvernementales et la complicité et/ou l’indifférence des partis politiques à différents niveaux ont facilité cette normalisation. Dans le même temps, nous avons constaté le climat de plus en plus réactionnaire des idéologies dominantes ainsi que les privations massives causées par les politiques économiques d’austérité.
Il ne s’agit pas seulement d’un signal d’alarme, mais d’un danger plus immédiat, et pour cette raison, il est positif qu’il y ait eu une réaction forte et immédiate, avec les assemblées défensives devant les salles et le bureau du syndicat, avec une forte mobilisation des militants syndicaux et avec l’appel à une manifestation nationale.
Il est également clair que l’attaque a été possible parce qu’il n’y a pas de mobilisation globale contre les licenciements, la précarité, les politiques du gouvernement Draghi, pour le travail, l’emploi, les salaires, les droits, une véritable relance de la santé et de l’éducation publique, tous fondamentaux dans toute riposte contre la casse sociale systématique. C’est là que les fascistes peuvent obtenir un soutien. Nous nous battons depuis longtemps avec les courants syndicaux de la lutte des classes, tant à la base que la minorité au sein de la CGIL, pour une riposte anti-austérité globale.
C’est pourquoi, si d’un côté il est juste de se battre pour l’interdiction des organisations fascistes, en même temps nous devons être conscients que l’État capitaliste ne les éliminera jamais. Seules la mobilisation et la lutte peuvent étouffer dans l’œuf le squadrisme fasciste. Celui qui oublie les leçons de l’histoire ne peut que favoriser l’émergence de nouveaux malheurs.
Les sous-produits
Il y a ensuite les effets secondaires qui compliquent notre réponse. Les directions syndicales pratiquent depuis des années la collaboration de classe avec le gouvernement et les patrons et ont même récemment refusé de soutenir l’appel à la grève générale lancé par les travailleurs de GKN et des dizaines de milliers d’autres travailleurs à Florence le 18 septembre, avec leur slogan « soulevons-nous ». Les dirigeants syndicaux ne semblent pas vouloir comprendre l’exigence d’un changement de politique syndicale. Mais en même temps, ce qui s’est passé leur donne une nouvelle crédibilité politique, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur. Ils obtiennent la solidarité de nombreuses forces politiques et aussi celle du gouvernement. Draghi a donné à Landini une accolade de solidarité à la télévision. On ne peut que s’inquiéter de cette « accolade » car il s’agit d’une véritable « accolade de collaboration de classe » ; elle sert au chef du gouvernement à cimenter la convergence et la consultation de la CGIL (le syndicat confédéral encore soumis à une certaine pression combative de la base) dans la gestion du Plan de relance et dans la prochaine législation financière. La réaction syndicale ne conduira pas à une radicalisation et à l’hypothèse d’une grève générale qui semble plus éloignée que jamais. Mais c’est aussi pour cette raison que la manifestation de samedi prochain à Rome devient un événement politique important ; elle pourrait définir un nouveau rapport de forces dans le pays, surtout si elle est importante et si des secteurs de travailleurs trouvent le moyen d’exprimer leur combativité et leur volonté de se battre sur des revendications radicales. Nous verrons.
La loi de la dialectique agit puissamment dans ces événements dans l’interaction entre les faits objectifs et les choix subjectifs des forces politiques et syndicales et des institutions bourgeoises.
La grève générale des syndicats de base
C’est le deuxième événement récent important. Après des efforts de longue haleine, les organisations syndicales de base, de lutte de classe, basées sur une plate-forme unifiée, ont mené une grève nationale le 11 octobre, qui s’est appuyée sur les contradictions sociales actuelles et sur la souffrance de nombreux secteurs de travailleurs. La grève ne pouvait pas, étant donné son soutien actuel, bloquer véritablement le pays, mais elle a trouvé un écho plus important que par le passé, avec une participation significative dans certains secteurs, avec de grandes manifestations dans de nombreuses villes : à Rome avec la présence des travailleurs d’Alitalia, à Piacenza avec la concentration des travailleurs de la logistique, mais aussi à Turin, Milan, Florence et d’autres villes. Cette mobilisation a été très positive, même si elle a été inégale. Bien sûr, les manifestations ont aussi été marquées par une grande confusion, par l’extrémisme syndical, par la présence intrusive, ici et là, de militants no vax, et aussi par un sectarisme inacceptable, comme celui qui s’est exprimé devant les bureaux du syndicat CGIL à Milan. Mais dans cette même manifestation, de nombreux autres grévistes ont au contraire échangé leur solidarité avec les camarades qui défendaient le bâtiment de la CGIL. Peut-être pouvons-nous également dire que les directions de ces syndicats ne comprennent pas toujours parfaitement que ce qui s’est passé à Rome les affecte tous, même si c’est indirectement.
Tout cela est en partie inévitable étant donné l’état actuel de la lutte des classes.
Les divisions au sein de la classe ouvrière sont tout d’abord objectives, elles sont dues à un faible niveau de conscience qui prend ensuite différentes formes, elles sont syndicales et enfin aussi politiques. Je veux exprimer cela sous une forme personnalisée. L’auteur de ces lignes, qui assiste assidûment aussi bien aux manifestations du monde syndical confédéral majoritaire qu’à celles des syndicats de base, est toujours préoccupé et aussi aigri par les propositions conservatrices et cogestionnaires des directions bureaucratiques et par les propositions rebelles des directions de la base, qui sont compréhensibles mais souvent sans substance réelle. Nous avons vu ces dichotomies à de nombreuses reprises dans l’histoire du mouvement ouvrier et elles ne sont pas faciles à surmonter. Pour l’instant, je ne vois pas suffisamment de forces travailler patiemment pour les surmonter. C’est fondamental si nous voulons reconstruire l’unité de classe et un bloc de lutte de classe capable de résister à l’offensive capitaliste.
Les grands axes de notre orientation
Notre organisation a été présente ces jours-ci devant les locaux syndicaux et dans les marches du lundi des syndicats de base, en faisant valoir ses positions et en distribuant nos tracts. C’est sur la base de ces positions politiques que nous serons présents à la manifestation de samedi prochain à Rome [23 octobre].
Une lutte sérieuse et de masse doit être menée contre les forces fascistes. Les organisations fascistes et d’extrême droite doivent être interdites, mais il ne faut pas se faire d’illusions sur le fait que les institutions capitalistes peuvent résoudre ce problème. Nous pouvons accueillir positivement toute coalition avec d’autres forces démocratiques dans la lutte contre les fascistes. Elles sont utiles et nécessaires, mais l’indépendance vis-à-vis de l’État capitaliste et la construction d’un pôle stratégique alternatif de lutte de classe sont décisives pour réussir et ne pas finir écrasé et/ou subordonné aux politiques du gouvernement.
En même temps, une bataille forte doit être menée contre les politiques des capitalistes, contre les choix économiques du gouvernement Draghi et des patrons, qui sont les autres ennemis à combattre avec les fascistes. Les batailles pour l’emploi et pour la défense des conditions de vie de la classe ouvrière sont toutes en cours et la construction de l’insurrection est plus que jamais à l’ordre du jour. Elle doit s’exprimer dans la prochaine période par une très grande grève générale avec des revendications radicales.
Nous proposons de travailler ensemble avec les forces politiques de la gauche radicale pour construire cette voie.
13 octobre 2021
Franco Turigliatto