“C’est officiel, rapporte le Manila Times. Sara Duterte-Carpio, maire de Davao, est candidate à la vice-présidence des Philippines, sous l’étendard du parti Lakas-CMD.” En l’annonçant ce samedi 13 novembre, celle qui est aussi la fille du président en fonction “met fin à des mois de spéculation quant à ses intentions pour les élections locales et nationales de 2022.”
Cette candidature, observe le Nikkei Asia, “se profile comme une alliance avec le candidat à la présidentielle Ferdinand Marcos Jr”, d’autant que le parti de ce dernier “vient de désigner Sara Duterte-Carpio, qui appartient à une formation différente, comme sa candidate à la vice-présidence.” Ainsi que l’explique le magazine, aux Philippines, “le président et le vice-président sont élus séparément”. Mais la combinaison de ces deux candidatures est perçue comme “redoutable”.
Sara Duterte-Carpio est la fille de Rodrigo Duterte, l’autoritaire président, au pouvoir depuis 2016 et connu pour sa guerre brutale contre la drogue qui lui vaut des poursuites de la Cour pénale internationale. Quant à Ferdinand Marcos Jr, il “est le fils et l’homonyme de feu l’ancien dictateur, chassé par une révolution populaire en 1986.” Or, souligne le Nikkei Asia, “les familles Duterte et Marcos sont alliées. Les deux enfants-candidats caracolent en tête des sondages d’opinion.” Et si la première est largement soutenue dans le sud du pays, sur l’île de Mindanao, la seconde compte de solides appuis dans le nord.
Chaises musicales
Le mois dernier, Rodrigo Duterte a annoncé à la surprise générale qu’il se retirait de la vie politique. Selon la Constitution, il n’a pas le droit d’exercer un deuxième mandat, mais on s’attendait à ce qu’il se présente au poste de vice-président, avec un colistier ‘faible’, pour “diriger depuis son rôle de numéro deux”, comme l’indiquait la BBC.
Or en déclarant son retrait, le 2 octobre, Duterte avait dans le même mouvement annoncé qu’il soutenait la candidature de son allié Christopher Lawrence “Bong” Go au poste de vice-président.
Nouveau coup de théâtre ce 13 novembre. Tandis que Sara Duterte-Carpio entre dans la danse, le Philippine Star rapporte que le sénateur Bong Go opte pour une candidature à la présidence – plutôt qu’à la vice-présidence – et que le président Duterte aurait finalement décidé de se porter candidat à la vice-présidence lundi 15 novembre. Comme l’indiquait récemment The Diplomat,, la date limite pour présenter une nouvelle candidature était le 8 octobre, mais il est encore permis de remplacer une candidature par une autre jusqu’au 15 novembre – ce qui fait que les récentes annonces correspondent à un vaste jeu de chaises musicales, rythmé par les déclarations de retraits et de remplacements.
Père contre fille
Quoi qu’il en soit, si le président Duterte se porte effectivement candidat, “il affrontera sa fille dans la course à la vice-présidence”, observe le PhilStar, qui suit la situation en direct. D’après le site d’information Rappler, “le président Duterte a toujours soutenu une candidature de Go à la présidence et essayé de convaincre sa fille de faire équipe avec celui-ci. L’autre option offerte à Sara était de se présenter à la présidence avec Go pour colistier. Mais dans l’entourage de la présidence comme dans celui de la mairie de Davao, il est bien connu que les deux ne s’entendent pas.”
Bref, conclut le média, les Philippins sont en train d’assister “à l’échelle nationale à une scène qu’ils ne voient d’ordinaire que dans des élections locales : le président a l’intention de se présenter à la vice-présidence, contre sa propre fille.”
Aux Philippines, le fils de l’ancien dictateur Marcos se présente à la présidentielle
La candidature du fils de l’ancien dictateur Ferdinand Marcos à l’élection présidentielle de 2022 souligne combien les réformes constitutionnelles des années 1980 n’ont pas réussi à venir à bout du système oligarchique des Philippines.
“Rouvrant un débat récurrent sur l’héritage politique de son père”, relève The Diplomat, le fils de l’ancien dictateur philippin Ferdinand Marcos a annoncé sa candidature pour l’élection présidentielle de l’année prochaine.
Dans une vidéo postée sur sa page Facebook, Ferdinand Marcos Junior indique vouloir rassembler les Philippins pour faire face à la pandémie de Covid-19 qui a tué des dizaines de milliers de personnes et bousculé l’économie :
“Nous devons ensemble relever le défi – un peuple, un pays. J’apporterai au pays ce pouvoir unificateur.”
En fait, estime The Diplomat, “Bongbong”, le surnom de Ferdinand Marcos Junior, “apporte dans une course à la présidence déjà très disputée l’héritage controversé de son père, qui a dirigé les Philippines durant trente et un ans, dont neuf ans de loi martiale. Durant cette période, Marcos a conduit l’assassinat, l’emprisonnement et la torture de milliers de Philippins, et a volé environ 10 milliards de dollars des comptes de l’État. Une somme toujours recherchée aujourd’hui. Sa femme, Imelda, a été le symbole de l’extravagance de cette corruption. Marcos a été renversé lors de manifestations massives en 1986, et est mort en exil à Hawaï trois ans plus tard.”
Le pouvoir de l’argent
Loretta Ann Rosales, une ancienne présidente de la Commission des droits de l’homme et ancienne prisonnière politique détenue et torturée durant le régime Marcos, estime que cette candidature “cherche à rendre respectable le legs sombre et tyrannique de son père et à saboter les efforts entrepris pour tenir la responsabilité de sa famille”. Elle a indiqué à Associated Press, repris par The Diplomat :
“Nous ne pouvons accepter qu’il utilise les biens mal acquis de sa famille pour financer son ambition présidentielle, blanchir les crimes commis et parachever la quête d’une réécriture de l’histoire.”
“Le fait que le fils d’un dirigeant brutal puisse être en position de concourir pour la présidence est le symbole du pouvoir de l’argent, en particulier de la fortune familiale, sur la scène politique, écrit The Diplomat. La famille Marcos n’a pas eu à rendre de comptes pour la corruption et les importantes violations des droits de l’homme durant la période de loi martiale. Bien au contraire, la famille a pu revenir aux Philippines et retrouver une place politique importante, notamment dans sa province d’origine de Ilocos Norte.”
Une concentration des terres
Imelda Marcos a été à plusieurs reprises élue à la Chambre des représentants. Sa fille, Imee, a été élue au Sénat en 2019, après avoir servi comme gouverneure de Ilocos Norte. Bongbong a également eu des mandats dans ces deux chambres et a perdu de peu l’élection de vice-président, en 2016.
En septembre 2020, la Chambre des représentants a approuvé un texte déclarant le 11 septembre, date de naissance du dictateur, comme un jour férié à Ilocos Norte.
The Diplomat estime que Bongbong a ses chances. Le site explique que la distribution du pouvoir n’a guère changé aux Philippines depuis la chute de Marcos et la mise en place d’un système électoral.
“Certes, détaille le site, la Constitution de 1987 interdit formellement ‘les dynasties politiques’. Néanmoins, le pays demeure entre les mains d’un réseau de familles riches qui, en 2013, gouvernaient toujours 72 des 80 provinces du pays. Depuis les années 1980, cette élite a résisté à toutes les tentatives de briser la concentration de la propriété terrienne. Un système pérennisant une distribution inégalitaire de la richesse, une réalité qui continue à faire du système politique philippin une oligarchie.”
The Diplomat remarque également combien le président Rodrigo Duterte a contribué à réhabiliter l’image de l’ancien dictateur.
Courrier International
The Diplomat
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