À l’heure où Washington a retiré ses troupes après une intervention infructueuse de 40 ans en Afghanistan, la réponse pourrait être oui. C’est un oui amer pour les plus de 850 000 citoyens américains qui ont servi là-bas. Beaucoup pensaient qu’ils étaient en mission pour éradiquer le terrorisme et reconstruire un pays, mais ils ont souvent réalisé qu’ils étaient du côté des seigneurs de la guerre et de la corruption massive. Les histoires amères qu’ils ont partagées avec leur famille et le grand public témoignent de leur réalité alors que l’administration Biden a accepté le piège que l’administration Trump avait négocié avec les talibans. Le retrait a été encore plus chaotique que le retrait américain du Vietnam et, compte tenu de la campagne anti-immigration et anti-asile de la droite, les réfugiés qui ont fui, moins nombreux, seront beaucoup moins bien accueillis aux États-Unis.
Il est clair que l’aventure post-11 Septembre s’est avérée être un échec à tous les niveaux. Si l’on considère les coûts des guerres de l’après-11 Septembre en Afghanistan, au Pakistan, en Irak, en Syrie et au Yémen, Washington a dépensé 8 000 milliards de dollars, dont un quart en Afghanistan. Dans toute la région, on compte au moins un million de morts et 38 millions de personnes déplacées.
Compte tenu de l’utilisation intensive de drones et de l’implication militaire de 39 autres pays, les décès américains se sont limités à environ 7 000. On estime que les soins à long terme pour les soldats blessés coûteront 2 000 milliards de dollars supplémentaires. Ajoutons à ces chiffres plus de 30 000 suicides de soldats rentrés chez eux.
Quelques-unes des violations des droits humains commises par les troupes ont été révélées au grand jour, la plus célèbre étant le scandale de la prison d’Abu Ghraib en Irak en 2004, où des photographies ont révélé des scènes de prisonniers nus et humiliés alors que des soldats américains posaient à proximité, le sourire aux lèvres. Le président George W. Bush a insisté sur le fait qu’il ne s’agissait pas d’un problème systémique mais de quelques soldats déshonorés, qui étaient les seuls à être punis.
Pendant cette période, la presse a fait état de l’utilisation par l’armée américaine de techniques d’interrogatoire telles que le waterboarding, le harcèlement et les abus sexuels, les violences physiques et la privation de sommeil. Les défenseurs de ces techniques de torture affirment qu’elles sont éthiquement acceptables car elles ont permis d’obtenir des renseignements militaires qui ont pu sauver des vies. Une étude du Sénat sur le renseignement a prouvé que ces affirmations étaient fausses.
La vidéo de 2007 montrant des membres d’équipage d’hélicoptères Apache riant et tuant des civils, y compris des enfants, dans une rue de Bagdad est peut-être moins connue. Elle a fait surface trois ans plus tard sur WikiLeaks et pourrait être l’une des raisons pour lesquelles le gouvernement américain est si désireux de garder Julian Assange enfermé.
Un nouveau front
Bien que le président Barack Obama n’ait pas réussi à faire sortir les troupes d’Afghanistan, et qu’il ait en fait augmenté les frappes de drones que Bush avait commencées au Yémen, il souhaitait « pivoter » vers l’Asie du Sud-Est afin de contrer l’influence croissante de la Chine dans la région. L’accord commercial qu’il a conclu dans le cadre du Partenariat transpacifique (TPP) incluait l’Australie, le Brunei, le Canada, le Chili, le Japon, la Malaisie, le Mexique, le Pérou, la Nouvelle-Zélande, Singapour et le Vietnam, mais laissait la Chine sur la touche. Comme l’a commenté en 2016 le Premier ministre japonais, Shinzo Abe : « Le succès ou l’échec de Washington fera basculer la direction du système mondial de libre-échange et [façonnera] l’environnement stratégique en Asie-Pacifique [1]. »
En revanche, le TPP, auquel s’opposent le mouvement ouvrier américain et les deux candidats à la présidence de 2016, n’est allé nulle part après l’élection de Trump. Mais l’administration Biden est confrontée au même problème : l’émergence de la Chine en tant que puissance économique et militaro-politique, comme le soulignait, entre autres, un éditorial de l’ATC [2]. Pourtant, Washington doit réfléchir à ses initiatives. La Chine est devenue « l’atelier du monde ». Elle a aussi ses propres projets de développement, internes et externes, qui concurrencent avec succès les investissements américains et européens.
Comme Obama, Biden veut pivoter vers l’Asie. Bien qu’il ait promis à la Chine que « nous ne cherchons pas une nouvelle guerre froide », son attitude agressive dément la rhétorique. Il en va de même pour le nouvel ambassadeur américain de Biden en Chine, R. Nichoas Burns, qui a qualifié Pékin d’agresseur dans ses relations avec des pays comme l’Inde, le Vietnam, les Philippines et le Japon. Burns a également invité le Sénat à faire davantage pour aider Taïwan à se protéger de la Chine, notamment par le biais de ventes d’armes.
Burns a également dénoncé les politiques génocidaires de la Chine à l’encontre de la population musulmane ouïghoure, l’étouffement de l’autonomie de Hong Kong, les abus continus au Tibet et l’intimidation de Taïwan. Il est vrai que si les hauts dirigeants du Parti communiste chinois sont de plus en plus autoritaires, ces politiques antidémocratiques n’ont jamais dérangé Washington dans ses relations avec des régimes amis comme l’Arabie saoudite. Ce n’est que de la poudre aux yeux.
Se préparer à une confrontation militaire
La réalité est que, si la puissance militaire de la Chine a augmenté, elle ne dépense qu’un tiers du budget militaire américain. D’autre part, la domination de l’armée américaine en Asie n’a cessé de s’éroder. Cela crée une situation dangereuse, car Pékin considère Taïwan comme une île qui doit s’unifier avec le continent et les Taïwanais, militairement plus faibles, sont de plus en plus réticents à cette perspective. Le porte-parole du département d’État américain, Ned Price, a récemment souligné que le soutien des États-Unis à Taïwan était « solide comme le roc », ajoutant que « nous avons également indiqué très clairement que nous étions déterminés à approfondir nos liens avec Taïwan ». Entre-temps, deux membres du Congrès ont demandé que soit clarifiée l’« ambiguïté stratégique » de longue date de Washington concernant la défense de Taïwan.
Ce n’est qu’en octobre 2020 que les rapports du renseignement américain ont relevé que les dirigeants de Pékin s’inquiétaient de voir le président Trump préparer une initiative militaire. C’est à ce moment-là que le président des chefs d’état-major interarmées, le général Mark A. Milley, a choisi de contacter son homologue chinois et de lui donner une assurance. Au début du mois d’octobre, le Wall Street Journal a révélé que l’armée américaine avait secrètement entraîné les forces militaires de Taïwan.
Le 15 septembre, un partenariat trilatéral a été annoncé par l’Australie, les États-Unis et le Royaume-Uni. Le pacte, connu sous le nom d’AUKUS, transformerait l’Australie, un État non doté d’armes nucléaires, en un État possédant des sous-marins à propulsion nucléaire. Bien que cette initiative soit annoncée comme un moyen de garantir la paix dans la région indo-pacifique, la Chine a répondu le jour suivant que c’était exactement le contraire et sapait en fait la paix et la sécurité dans la région.
Dans une lettre adressée au New York Times le 21 septembre, Rose Gottemoeller, ancienne sous-secrétaire d’État américaine chargée du contrôle des armements et de la sécurité internationale, a déclaré que l’AUKUS « a fait voler en éclats 60 ans de politique américaine » visant à minimiser l’utilisation d’uranium hautement enrichi. « Un tel uranium permet de fabriquer des bombes nucléaires, et nous n’avons jamais voulu qu’il se retrouve entre les mains d’États non dotés d’armes nucléaires, aussi propres soient-ils. »
Bien que les détails restent flous, il est concevable que, pendant la construction des sous-marins, l’Australie loue des sous-marins à propulsion nucléaire américains ou britanniques. Selon l’Arms Control Association, la technologie ne se limite pas aux sous-marins. Elle comprendra également « le partage de l’intelligence artificielle, des systèmes sous-marins et des capacités de frappe quantique, cybernétique et à longue portée. » Le Premier ministre australien Scott Morrison a également évoqué l’achat de « missiles de croisière Tomahawk et de missiles interarmées air-sol à portée étendue [3]. »
L’administration Biden veut certainement éviter une confrontation militaire avec la Chine, mais une rhétorique et une série d’actions qui échappent à tout contrôle peuvent avoir des conséquences inattendues. C’est le cas de son approche de la Chine et de sa façon de marcher sur la corde raide en étendant les armes nucléaires. C’est effrayant !
Autres initiatives de politique étrangère
Certains de ceux qui ont voté pour Biden ont supposé qu’il prendrait l’initiative d’une politique étrangère plus amicale, comme la normalisation des relations avec Cuba, qui était une caractéristique de l’administration Obama. Mais dans le cas de Cuba, Biden a renforcé les sanctions imposées par Trump. Face à un certain nombre de pays d’Amérique latine, la politique américaine est restée similaire.
C’était certainement le cas en Haïti, où l’administration Biden a soutenu le président Jovenel Moïse, qui gouvernait par décret depuis 2018. Le plan de Moïse était de gouverner tout en organisant un référendum constitutionnel suivi d’élections en 2021. Mais Moïse a été assassiné dans des circonstances non encore complètement éclaircies.
Depuis le coup d’État de 1991 soutenu par les États-Unis contre le président Jean-Bertrand Aristide, l’instabilité politique du pays s’est accompagnée d’une série de tempêtes tropicales, de pluies torrentielles, d’ouragans et de deux tremblements de terre majeurs, dont un en août dernier. Peu d’aide est arrivée.
À la mi-septembre, 30 000 Haïtiens ont tenté d’entrer aux États-Unis. Certains avaient été déplacés par le tremblement de terre il y a dix ans et d’autres étaient des réfugiés plus récents. Ils ont été confrontés à la répression des garde-frontière. Biden a été ensuite obligé de faire quelques assouplissements.
La responsabilité de freiner l’immigation a été confiéee à la vice-présidente Kamala Harris. Lors de son premier voyage à l’étranger, elle a dit aux Guatémaltèques et aux Mexicains que le voyage vers le nord était dangereux et qu’ils seraient refoulés à la frontière. La vice-présidente Harris, fille d’immigrés, a averti les personnes menacées par la violence : « Ne venez pas. Ne venez pas. Les États-Unis continueront à faire respecter leurs lois et à sécuriser leurs frontières. » Elle a promis de s’attaquer à la racine de leurs problèmes tout en se tenant à côté du président guatémaltèque Alejandro Giammattei, un politicien répressif et corrompu.
À ce jour, Biden n’a même pas levé le Titre 42 de Trump, qui empêche, pour des raisons supposées de santé publique, des personnes de demander l’asile. En juillet, l’administration a annoncé qu’elle expulserait des familles d’immigrants par le biais d’un processus de « renvoi accéléré », contournant la nécessité d’audiences devant un juge.
En résumé, nous pourrions conclure que la politique étrangère de l’administration Biden est une continuation des pratiques dangereuses et inhumaines. Au-delà des différences de langage avec Trump, l’objectif est le même : maintenir le « rang » de l’impérialisme américain et de son économie dans un contexte mondial bouleversé.
Dianne Feeley