L’ancien policier Jimmy Chérizier, alias Barbecue, est l’un des chefs mafieux les plus importants d’Haïti. Il est connu pour avoir formé G9 an fanmi (“G9 en famille”), une fédération criminelle de neuf des bandes les plus puissantes de la capitale Port-au-Prince.
Chérizier a collaboré avec la police et avec le Parti haïtien Tèt Kale (PHTK), actuellement au pouvoir. Toutefois, il a récemment lancé des défis à l’État haïtien, appelant à la révolution en juin 2021. Désormais, il chercherait à profiter du vide du pouvoir laissé par l’assassinat du président Jovenel Moïse.
La carrière criminelle de Jimmy Chérizier remonte au moins à 2017, lorsqu’il était dans la police. Il a commencé à se faire connaître en novembre 2017, quand il a participé à ce qui était censé être une opération antigang, et qui a abouti à l’exécution sommaire d’au moins neuf innocents dans le quartier de Grand Ravine, à Port-au-Prince.
Un an plus tard, Chérizier aurait participé au massacre de La Saline avec sa bande Delmas 6 et d’autres groupes. Des témoins rapportent que pendant les faits on l’a vu s’entretenir avec l’ancien fonctionnaire Joseph Pierre Richard Duplan [alors préfet du département de l’Ouest, qui inclut Port-au-Prince] et d’autres chefs de bandes.
Massacre : 71 morts
Il s’agit du pire massacre qu’ait connu Haïti en plus de dix ans. Bilan : au moins 71 morts. Chérizier est révoqué un mois plus tard, et un mandat d’arrêt est lancé contre lui.
Ayant échappé aux poursuites, il a participé à une tuerie qui a duré quatre jours dans le quartier de Bel-Air de Port-au-Prince, en novembre 2019. Chérizier et des membres de quatre gangs – Delmas 6, Base Nan Chabon, Krache Dife et St Martin Street Gang – ont incendié des habitations et tué au moins 24 personnes.
Avant ces opérations de nettoyage, Chérizier recevait un soutien matériel, logistique et financier de hauts fonctionnaires du gouvernement Jovenel Moïse. Ces derniers lui fournissaient de l’argent, des uniformes de policiers et des véhicules officiels pour mener à bien ses attaques.
Des coups de main qui visaient l’opposition
Moïse était sans cesse confronté à des manifestants, qui exigeaient sa démission. Les Haïtiens lui reprochaient la crise économique dans laquelle était plongé le pays, la corruption omniprésente, la pénurie d’essence et l’aggravation de la violence.
Les coups de main – qui visaient pour la plupart les quartiers d’opposition dans la capitale – profitaient aussi bien aux hauts fonctionnaires qu’à Chérizier. Le gouvernement pouvait s’attaquer aux bastions de l’opposition, tandis que Chérizier accroissait son influence en tant que chef de la bande Delmas 6, à laquelle il a toujours nié appartenir.
En mai 2020, Chérizier a été soupçonné de nouvelles attaques dans la capitale. Lui et d’autres chefs de bande, dont on suppose qu’ils étaient des proches du gouvernement, ont effectué une “réunion préparatoire” pour “organiser des opérations simultanées” dans plusieurs quartiers de Port-au-Prince, comme l’a révélé le Réseau national de défense des droits de l’homme (RNDDH).
Quelques jours plus tard, Chérizier et plusieurs bandes qu’il était parvenu à réunir ont fait des descentes dans les quartiers de Pont-Rouge, Chancerelles, La Saline et Fort-Dimanche pour élargir leur contrôle territorial, avec le soutien de la police nationale. Plusieurs personnes ont été brûlées vives ou tuées par balles, et des dizaines d’habitations ont été incendiées.
Ces actes ont été commis immédiatement avant la formation du G9 en famille, une coalition annoncée par Chérizier dans une vidéo publiée sur YouTube en juin 2020. Il y présente cette alliance comme une manière de rétablir la paix à Port-au-Prince. En réalité, les gangs ont pu alors étendre leur contrôle territorial et les politiques ont disposé d’une arme pour en finir avec l’opposition.
Appel à la révolution contre l’opposition
Chérizier a dû relever de nombreux défis en tant que chef de la coalition, et notamment régler des rivalités internes. À la mi-2021, il a joué les pacificateurs après que la bande Grand Ravine a lancé des offensives contre le quartier de Martissant, contrôlé par la bande Ti Bwa.
Les tensions entre G9 en famille et certains fonctionnaires sont aussi en augmentation. Fin juin 2021, Chérizier et ses hommes ont défilé dans les rues de La Saline en brandissant des armes qu’ils avaient jusqu’alors tenues cachées.
Chérizier a alors lancé un appel à la révolution contre l’opposition, les entreprises et le parti au pouvoir, dans une vidéo où il apparaît entouré de dizaines d’hommes masqués et lourdement armés. Il y ajoute que lui et ses alliés sont “prêts pour la guerre”.
Le 7 juillet, Chérizier et le G9 se sont retrouvés en difficulté lorsque leur principal soutien politique présumé, le président Jovenel Moïse, a été assassiné dans sa résidence privée.
Quelques jours plus tard, Chérizier a défilé avec des centaines de personnes dans les rues du quartier de Bas-Delmas, à Port-au-Prince, afin de rendre hommage à Moïse.
Apparemment, il cherche à tirer profit du vide du pouvoir. “Tout le monde doit attendre mes ordres avant de réagir à l’assassinat de Jovenel Moïse”, a-t-il déclaré pendant la marche.
Au sein de la criminalité d’Haïti, Chérizier a eu pour rôle principal de diriger l’alliance des bandes G9. Il est intervenu comme pacificateur pour commettre des assassinats ciblés. Longtemps, il a agi comme agent de liaison entre les gangs de la capitale et des fonctionnaires, sans doute en les faisant se rencontrer pour commettre des assassinats commandités par l’État.
Racket et trafic d’armes
Les membres de G9 en famille ont pour principale activité le racket. Ils font payer un impôt mafieux aux commerces locaux, aux étals de vendeurs ambulants, aux conducteurs des transports en commun. Ils réalisent aussi des enlèvements contre rançon. Parfois, les bandes se sont emparées de compagnies de distribution d’eau ou d’électricité pour les facturer aux usagers.
Les membres de l’alliance sont peut-être aussi impliqués dans le trafic régional d’armes, même si on ne le sait pas encore avec certitude. Auparavant, certains fonctionnaires avaient fourni des armes aux bandes pour mener des assassinats ciblés. Chérizier a été un intermédiaire essentiel dans ce processus.
Les activités de Chérizier, en tant que chef du G9, se concentrent surtout dans certains quartiers de Port-au-Prince. Cela étant, on n’en connaît pas l’étendue géographique.
Longtemps, le quartier de Bas-Delmas a été un bastion du chef mafieux. Il abrite sa bande Delmas 6. Son influence sur toute la capitale s’est accrue ces dernières années, à mesure que les membres du G9 élargissaient leur contrôle territorial. Ainsi, après le massacre de Pont-Rouge en mai 2020, le quartier de Waf-Jérémie, au centre de Port-au-Prince, est devenu la base opérationnelle de la coalition.
Selon certaines informations, le G9 occupe d’autres quartiers, à la demande de Chérizier. Parmi ceux-ci, le secteur Bellecourt du quartier Cité-Soleil, les quartiers de Chancerelles, Delmas, La Saline, Martissant et Pont-Rouge, les communes de banlieue de Fontamara et de Waf-Jérémie.
D’après les médias locaux, le G9 contrôlerait également Belekou, dans le quartier Cité Soleil, la commune de Grand-Ravine et celle de Village-de-Dieu. À en croire ces mêmes médias, la coalition aurait l’intention de s’étendre à d’autres zones de Haïti, avec Chérizier à sa tête.
En tant que chef du G9 en famille, Chérizier dispose du soutien de plusieurs alliés puissants. “Vu le pouvoir qu’il détient, tous aimeraient l’avoir à leurs côtés”, affirme, sous le couvert de l’anonymat, un chef communautaire d’une zone de Port-au-Prince où l’alliance est bien implantée.
D’autres chefs de bande du G9 sont ses principaux alliés. Parmi ceux-ci, on trouve James Alexander, alias “Sonson”, de la bande Baz Krache Dife ; Ezechiel Alexandre, de la bande Baz Pilatos ; Christ-Roy Chery, alias “Krisla”, de la bande Nan Ti Bwa ; Albert Stevenson, alias “Djouma”, de la bande Simon Pelé (qui a déjà été arrêté). Et bien d’autres encore.
Du G9 au G20
Chérizier a travaillé étroitement avec ces chefs pour étendre son territoire et attaquer ses rivaux. Onze autres organisations criminelles de Port-au-Prince entretiennent des relations amicales avec le G9. En cas de besoin, elles apportent leur soutien à Chérizier et à d’autres chefs de gang. Cette union est parfois connue sous le nom de G20.
Au-delà des quartiers défavorisés de Port-au-Prince, Chérizier compte des alliés dans les hautes sphères. Il a été lié avec le défunt président haïtien Jovenel Moïse et avec le parti au pouvoir, le PHTK.
Sous le commandement de Chérizier, le G9 aurait fait voter pour le PHTK, tout en étouffant les mouvements sociaux. Moyennant quoi certains fonctionnaires auraient accordé aux membres du G9 une immunité face aux forces de l’ordre. Même après l’assassinat de Moïse, il est probable que Chérizier ait conservé certaines de ces relations.
Le chef mafieux agit aussi avec le soutien d’agents de police, qui semble-t-il facilitent sa mobilité et garantissent sa sécurité, y compris lorsqu’il se livre à des activités délictueuses.
Au cas où le G9 voudrait encore s’étendre, il pourrait aussi travailler avec de nouveaux complices. Le gang 400 Mawozo, de la commune de Ganthier, au centre d’Haïti, et le gang Savien, du nord du département de l’Artibonite, pourraient se révéler des alliés utiles.
Le pouvoir de Chérizier et son profil public lui ont aussi valu des ennemis, qui ont changé au fil des années. En juin 2021, après avoir entretenu des relations étroites avec le parti au pouvoir, il a appelé à une révolution contre ce dernier, ainsi que contre l’opposition et le milieu des entreprises.
Les bandes favorables à l’opposition et à ses dirigeants sont hostiles au chef du G9. Des affrontements ont régulièrement lieu entre les hommes de Chérizier et des bandes rivales. Ainsi, en mai 2020, Chérizier a attaqué Fanmi Lavalas, un gang de Cité Soleil, ainsi que d’autres bandes.
Chérizier pourrait aussi considérer que les anciens membres du G9 sont ses ennemis. D’après certaines informations, la bande Grand Ravine s’est retirée de l’alliance début 2021, en raison de querelles internes. En octobre 2020, le chef de la bande est apparu à la radio, annonçant que, comme Chérizier ne le soutenait pas financièrement, il avait enlevé un responsable d’une loterie.
Gangrène
On ne sait pas dans quelle mesure Chérizier va concrétiser ses projets d’expansion territoriale du G9 après l’assassinat du président Jovenel Moïse. Son destin pourrait suivre deux chemins différents. Si le G9 se divise encore plus après la perte de son important protecteur politique, le parrain pourrait avoir peu d’influence sur la coalition.
Cela dit, vu l’impunité dont il jouit depuis longtemps, son influence sur les bandes les plus dangereuses d’Haïti et ses liens avec de puissants alliés, il pourrait accroître encore son emprise. Le pouvoir que Chérizier a accumulé dans le cadre du G9 est sans précédent dans la longue histoire de Haïti, où les accords en sous-main entre organisations criminelles et dirigeants politiques ne datent pas d’hier.
Pour l’heure, le chaos engendré par l’assassinat du président Moïse devrait permettre à Chérizier de gangrener encore davantage les milieux économiques, sociaux et politiques de la capitale.
Insight Crime
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