Les Philippines ont un oiseau national, une fleur nationale, un costume national, mais pas de plat national. Si les étrangers ont tendance à associer la cuisine locale à [la chaîne de restauration rapide] Jollibee, l’un des plats typiques les plus appréciés des Philippins est sans doute l’adobo.
Ce plat – généralement composé de porc ou de poulet accompagné d’ail et de poivre noir, le tout mariné et mijoté dans un mélange de sauce soja et de vinaigre – est tellement incontournable que beaucoup de familles philippines possèdent leur propre version de la recette.
C’est pour cela que le ministère du Commerce et de l’Industrie a suscité les moqueries et l’indignation des Philippins lorsqu’il a annoncé [en juillet 2021] qu’il comptait établir une recette type pour l’adobo et d’autres plats traditionnels très appréciés, dans l’espoir d’améliorer leur potentiel commercial à l’échelle mondiale.
Les Philippins s’interrogeaient : le gouvernement n’a-t-il pas mieux à faire que de réglementer l’adobo ? Que feront les autorités en cas de non-respect de la recette officielle ? Arrêter les coupables ?
Cette décision a inspiré de nombreuses blagues sur les réseaux sociaux, notamment un mème, qui a circulé sur Twitter, montrant deux prisonniers assis dans une grande cellule. L’un d’eux, l’air patibulaire, demande à son camarade chétif : “Et toi, t’es là pour quoi ?” L’autre répond alors : “De l’adobo.” Sur la dernière image, le gaillard s’est éloigné à l’autre extrémité de la cellule, loin de l’odieux profanateur culinaire.
La recette repose sur la tantiya
Le tollé provoqué par l’adobo a même éveillé les soupçons de certains, qui suspectaient le gouvernement de tenter une diversion pour faire oublier les derniers scandales. Face à la levée de boucliers, le ministère du Commerce et de l’Industrie a vite précisé qu’il ne voulait pas instituer des normes contraignantes pour la recette de l’adobo, mais souhaitait simplement dégager une recette “traditionnelle” qu’il pourrait promouvoir dans le monde entier.
Qui aurait pu imaginer que l’adobo provoquerait une telle émotion ? Cela dit, quand on y pense, les Espagnols se disputent bien à propos de la recette du cocido [sorte de pot-au-feu aux pois chiches] et de la paella, tandis qu’en France, c’est la salade niçoise qui déchaîne les passions. Et, bien sûr, les Italiens sont connus pour leur susceptibilité lorsqu’il est question de carbonara et de pizza. Mais voilà, l’adobo n’est pas vraiment une recette, c’est une description. Chaque famille a sa propre façon de le préparer.
Le nom “adobo” n’est pas d’origine philippine : il a probablement été donné par des colons espagnols, à qui ce plat rappelait des recettes de leur pays d’origine. Les Européens ont depuis longtemps l’habitude de faire cuire la viande dans l’ail et le vinaigre ou le vin.
La version la plus connue de l’adobo est facile à préparer : il faut laisser mijoter la viande dans un mélange de sauce soja, de vinaigre, d’ail et de poivre noir. Puis il faut prélever la viande, la faire revenir à feu doux, ajouter la sauce et la braiser.
La recette repose sur la tantiya – un mot [cebuano, une des langues parlées aux Philippines] qui signifie “estimation”. Un jour, un membre de ma famille parti étudier à l’étranger a reçu la visite de l’une de ses tantes, et s’est empressé de l’interroger sur sa recette d’adobo : “Quelle quantité de sauce soja et de vinaigre faut-il que j’utilise ?” Elle lui a rétorqué : “Je ne sais pas, tu dois goûter et juger par toi-même.”
Les proportions varient d’ailleurs d’une famille à l’autre. Certaines ajoutent du sucre, d’autres servent l’adobo avec beaucoup de sauce, d’autres encore n’en mettent presque pas. Chaque Philippin le prépare à sa convenance – sucré, salé, sec, avec des feuilles de laurier, avec du bœuf, du poisson, des légumes. On trouve même du thon en boîte façon adobo au supermarché.
Malgré la simplicité de la recette, une fois qu’on a goûté à l’adobo, on ne peut plus s’en passer.
On retrouve l’adobo dans les repas de famille, les pique-niques, les cantines, et les fêtes. Une connaissance m’a un jour raconté que, dans les années 1970, lorsqu’elle allait au cinéma avec sa famille, ils mangeaient toujours de l’adobo et du riz devant le film. C’est sûrement pour cette raison que, désormais, les cinémas des centres commerciaux interdisent formellement la consommation de plats à base de riz dans leurs salles.
La recette de l’adobo au porc proposée par Susan Jung pour le SCMP :
Ingrédients
- 1 kg de poitrine de porc, avec ou sans couenne
- 150 ml de vinaigre, de préférence du vinaigre de coco, de palme ou de riz
- 60 ml de sauce soja foncée
- 30 g environ de sucre de palme (ou deux cuillères à soupe et une cuillère à café de sucre en poudre)
- 2 ou 3 feuilles de laurier
- Au moins 12 gousses d’ail, épluchées
- 1,5 cuillère à café de poivre noir en grains
- Coupez la poitrine de porc en gros dés de 2,5 cm. Si vous avez choisi un morceau avec couenne, placez la couenne côté planche pour faciliter la découpe.
- Hachez l’ail grossièrement et pilez sommairement le poivre dans un mortier.
- Placez les morceaux de viande dans une poêle à fond épais, puis ajoutez l’ail, le poivre, le vinaigre, la sauce soja, le sucre et les feuilles de laurier, et mélangez bien. Si vous avez le temps, laissez mariner les ingrédients pendant une heure ou deux, en remuant de temps à autre. Sinon, passez directement à la cuisson. Versez 500 ml d’eau dans la poêle contenant les ingrédients, portez à ébullition sur feu moyen puis baissez le feu, couvrez et laissez frémir en mélangeant régulièrement. Laissez mijoter pendant 45 minutes environ, ou jusqu’à ce que la viande devienne tendre. Éteignez le feu.
- À l’aide d’une écumoire ou d’une cuillère, retirez autant de gras que possible de la surface du jus de cuisson, et réservez-le dans un bol. Versez environ 20 ml de gras dans une poêle à frire. Prélevez tous les morceaux de viande à l’aide de pinces et faites-les dorer à feu vif dans la poêle contenant la graisse, en prenant garde aux projections. Pendant ce temps, faites réduire la sauce contenue dans l’autre casserole en faisant bouillir à feu vif. Goûtez la sauce, et ajoutez du sucre si nécessaire. Lorsque la viande est dorée, éteignez le feu et continuez à faire réduire la sauce jusqu’à ce qu’elle acquière une certaine épaisseur, tout en restant relativement liquide (l’opération prendra un peu de temps).
- Replacez la viande dans la poêle à fond épais et laissez mijoter pendant 5 minutes environ. Servez l’adobo avec du riz blanc et des légumes verts.
Alan Robles
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