Le séisme qui secoue actuellement le monde du divertissement en Chine [Voir encadré ci-dessous] a étendu son onde de choc à celui de la 2D. Une pression accrue pèse désormais pour le “redressement” des jeux vidéo en ligne et des dessins animés.
Selon un document destiné aux professionnels, le département de la propagande de la municipalité de Pékin a organisé [en septembre] des séances de formation pour les opérateurs de jeux en ligne, afin de les informer des dernières exigences de la censure. Les jeux vidéo ne sont “plus un pur divertissement”, mais ils ont désormais également une fonction artistique, et doivent à ce titre être appréciés à l’aune des valeurs qu’ils véhiculent.
Effacer les “valeurs erronées”
Sont, de ce fait, interdits les jeux donnant la primauté à l’argent, ou ceux qui modifient à loisir des “figures historiques bien établies”. S’inspirer et faire la promotion de la culture japonaise est proscrit, de peur que les joueurs ne finissent par “mieux connaître l’histoire du Japon que la leur”. En outre, sont bannis les personnages [que les autorités chinoises considèrent comme] efféminés – au maquillage, au comportement et à la voix rappelant ceux des femmes –, ceux qui se livrent à de “mauvaises activités”, tels que les assassins, les tueurs, les gros bras ou les pirates, et les personnages qui fument, boivent de l’alcool, fréquentent les pubs ou arborent des tatouages.
Cette remise au pas avait commencé par la limitation, le 30 août dernier, de l’accès des mineurs aux jeux en ligne à seulement une heure les week-ends et jours fériés. Puis, le 8 septembre, le département de la propagande et le bureau en charge de l’information sur Internet ont convoqué des responsables de Tencent, de NetEase et autres sociétés de jeux en ligne et plateformes de streaming. Après leur avoir rappelé l’importance de la lutte contre la dépendance aux écrans, ils ont demandé à ces professionnels de mieux vérifier et filtrer les jeux en ligne, en interdisant strictement les contenus illégaux tels que les références à des “valeurs erronées”, les scènes de pornographie, les images sanglantes ou d’horreur, et de résister fortement à la diffusion d’une “culture malsaine” qui “prône l’homosexualité”.
Limiter les “aspects sanglants”
Selon un développeur de jeux vidéo, certaines licences de jeu vont être provisoirement suspendues. D’après les dernières règles en matière de filtrage, non seulement les jeux ne doivent pas montrer d’effusion de sang, mais il faut changer la couleur de la plupart des choses rouges pour qu’il n’y ait pas “trop d’aspects sanglants”. Les jeux qui mettent en avant l’“énergie positive” et contiennent des éléments de la culture chinoise ont plus de chances de ne pas être censurés, à condition qu’ils ne concernent pas des personnages historiques.
Parallèlement, le 24 septembre, un certain nombre de films d’animation ont été retirés des plateformes vidéo, notamment Ultraman Tiga [une série japonaise “tokusatsu”, avec beaucoup d’effets spéciaux], Killer Seven [Cike Wu Liu Qi en version originale, une série chinoise sur un coiffeur qui tue avec ses ciseaux] et The Day I Became a God [une série animée japonaise sur la rencontre entre un lycéen et une déesse]. Cette série de déréférencements a déclenché de vives réactions. Certains internautes ont protesté, estimant que les autorités utilisaient la protection des mineurs comme prétexte pour ronger l’espace réservé aux divertissements pour adultes. D’autres ont mis en doute la pertinence de ces mesures, en constatant que les drames sur la guerre contre le Japon contenaient aussi de nombreuses scènes sanglantes et violentes :
Comment se fait-il que les mineurs, qui ne sont pas autorisés à regarder Ultraman combattre des monstres, peuvent quand même voir des diables [appellation encore usitée en Chine pour désigner des soldats japonais] se faire écharper ?
Face au tollé, Ultraman Tiga a finalement été remis en ligne le 27 septembre, mais dans une version expurgée, tandis que Cike Wu Liu Qi a été abrégé en Wu Liu Qi, le mot “cike” [“assassin”], disparaissant au passage…
Plaidoyer pour la censure
Selon You Jie, professeure à l’École des arts du cinéma et de la télévision de l’université de la communication de Chine (CUC), c’est sans doute à la suite de plaintes de parents que les pouvoirs publics ont demandé le retrait de ces films, sans prendre la peine d’enquêter de manière approfondie. Ayant constaté par la suite que le problème n’était pas aussi grave qu’elles ne le pensaient, les autorités ont donc autorisé de nouveau leur mise en ligne après les avoir censurés en partie.
You Jie souligne à quel point les produits culturels que sont les jeux et les films d’animation ont un impact important sur le public, notamment sur la jeunesse, à l’instar du cinéma et de la télévision. Après la remise au pas du monde du divertissement, un encadrement plus poussé des produits 2D était prévisible.
Malgré les protestations, la démarche présente selon elle plus d’avantages que d’inconvénients : “Le jeu et l’animation sont en plein essor. Comme le seuil d’entrée sur le marché est très bas, la qualité de la production est très inégale, ce qui a favorisé l’apparition de phénomènes indésirables, notamment des scènes de violence, de ‘boys love’ [des histoires d’amour entre garçons, écrites pour un public féminin ; le genre, venu du Japon, est devenu très populaire en Chine] ou de pornographie douce, des tendances qu’il fallait de toute façon corriger.”
You Jie ajoute :
“Un bon contrôle du secteur contribuera à le réguler et à élever le niveau des œuvres produites. Le problème actuellement est que les services concernés ne disposent pas de critères clairs pour bien encadrer le secteur, et qu’en frappant sans discernement ils risquent de toucher par erreur des innocents.”
Chen Jing
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