Cette manifestation réunira-t-elle autant de monde que celle de décembre 2018, qui avait rassemblé près de 100.000 personnes ? Face à l’évidente et angoissante accélération de la catastrophe climatique, tout doit être mis en œuvre pour que le 10 octobre soit un succès. Mais un succès de quoi, pour revendiquer quoi, dans quelle perspective ? Le flou des réponses à ces questions ne favorise pas la mobilisation.
Recommander, pas revendiquer
La vision de la Coalition s’éclaircit à la lecture de son « Mémorandum pour un green new deal belge », qui comporte un ensemble de « recommandations » aux décideurs pour leur action sur les plans régional, fédéral, européen et mondial. Ce texte est traversé d’un bout à l’autre par l’illusion que le politique au plus haut niveau aurait pris le tournant de la lutte pour le climat, que le « Green deal » européen constituerait « un pas important dans la bonne direction » et que la crise du Coronavirus constituerait « une opportunité unique » pour le « renforcer » afin de « bâtir un monde plus résilient, plus solidaire et plus durable ». Le terme « recommandations » est donc bien choisi. Dans ce contexte, en effet, une « recommandation » n’est pas une directive emballée poliment par les gouvernant.e.s, mais un conseil formulé avec une certaine insistance par les gouverné.e.s. La Coalition ne revendique pas, elle exige encore moins : elle accompagne le pouvoir en lui prodiguant des conseils.
Cette stratégie est explicitée dès l’introduction du Mémorandum : la fonction du mouvement social, selon la Coalition, est d’amener la Belgique à « soutenir pleinement » la politique de la Commission von der Leyen, afin de faire de notre pays un « leader climatique responsable ». Le vieux slogan « System change not climate change » est remisé discrètement aux archives. Il ne s’agit plus de combattre le système mais d’implémenter le « modèle » qui rendra le système « résilient ». En 2008-2009, la chance de « définir un nouveau modèle de prospérité, sobre en utilisation des ressources, à la fois durable, solidaire et résilient » a été ratée « parce que la plupart des pays ont laissé en place des subventions néfastes pour l’environnement, n’ont pas adopté les réglementations adéquates et ont laissé se redévelopper les formes les plus prédatrices de l’économie ». Une nouvelle occasion se présente aujourd’hui, selon la Coalition, car l’Union européenne « entame sa transition » vers un monde « plus résilient, plus solidaire et plus durable ». Elle doit et peut piloter « une évolution sociale profonde », dont « le bilan final sera positif ».
Il est douteux que ce texte soit porté véritablement par tous les groupes membres de la Coalition, dont certains sont investis dans des luttes de terrain importantes. Il exprime plus probablement le point de vue des représentant.e.s des grosses structures syndicales et associatives, qui pèsent d’un poids déterminant dans les débats. C’est donc principalement à ces composantes que notre critique s’adresse.
Dans quel monde, dans quelle Europe vivez-vous ?
À la lecture du Mémorandum, une interrogation surgit : dans quel monde, dans quelle Europe vivent les auteurs/trices de ce texte ? Les prix de l’énergie s’envolent et continueront de s’envoler dans les prochaines années. Les classes populaires sont les plus touchées : outre que les conséquences du réchauffement les frappent de plein fouet, elles sont les moins capables d’investir dans la production d’énergie verte ou dans la mobilité électrique. En même temps, les gouvernements déroulent le tapis rouge devant des géants capitalistes que la guerre de concurrence sur le marché des « technologies propres » rend plus prédateurs, pas moins. Les politiques néolibérales sont discréditées, mais les responsables persistent, à coups de solutions autoritaires et en désignant des boucs émissaires.
La politique environnementale n’échappe pas à cette description générale. La « transition » dont on nous rebat les oreilles ? Elle n’a de durable et d’équitable que le nom : c’est à la fois une campagne de promotion « croissanciste », une gigantesque opération de greenwashing et un prétexte à plus d’austérité, de privatisations, de flexibilité, de taxes frappant davantage le monde du travail, etc. Le « Green deal » de la Commission ? Il ne permet pas de rester sous 1,5°C de réchauffement : c’est un projet néolibéral, subordonné aux intérêts des monopoles, injuste pour le Sud et pour les travailleurs/euses et qui, pour limiter la catastrophe, mise – sans le dire ! – sur la mise en œuvre d’hypothétiques technologies d’apprentis-sorciers – genre « capture-séquestration du carbone »… Rien d’étonnant à ce que l’extrême-droite progresse sur une ligne climato-négationniste et pro-nucléaire : elle n’a qu’à se baisser pour ramasser les fruits pourris d’une « transition verte » qui semble conçue pour dégoûter les classes populaires de l’écologie ! …
Deux évidences devraient crever les yeux
Un deuxième point étonnant est que le Mémorandum de la Coalition est peu disert sur la gravité extrême de la crise climatique. Or, il faut dire la vérité : la catastrophe menace de se transformer très vite en cataclysme. Le « Green deal » ne l’empêchera pas parce qu’il est au service de la dynamique néolibérale d’accumulation qui est la principale responsable du désastre. Naomi Klein a parfaitement résumé le diagnostic dans le sous-titre de son best-seller sur le climat – « Capitalism vs the Climate ». De plus, dans ce livre, Klein montre de façon très convaincante que la crise climatique crée un contexte favorable à la mise en œuvre de la « Stratégie du choc ». L’urgence est donc double, et maximale. La défense du climat et celle des droits démocratiques et sociaux doivent être vues comme deux dimensions d’une même lutte cruciale pour l’émancipation humaine dans le respect de la nature.
Comme disait Albert Einstein : « on ne résout pas un problème par les moyens qui ont causé le problème ». Dès lors, deux évidences devraient crever les yeux. La première : on n’arrêtera pas la catastrophe sans casser la logique productiviste. La seconde : pour avoir une chance de gagner, il faut faire de la question climatique un enjeu majeur de la lutte sociale contre l’exploitation et les oppressions. Les préconditions pour ce faire sont 1°) de désigner clairement l’ennemi ; 2°) de mettre au centre l’antagonisme entre la logique d’exploitation (du Travail, des peuples du Sud et de la Nature), d’une part, et la logique du prendre soin des personnes et des écosystèmes, d’autre part ; et 3°) de construire une stratégie axée sur la mobilisation des dominé.e.s à la base de la société, pas sur celle des dominant.e.s aux sommets. Le Mémorandum de la Coalition fait l’inverse : il dépeint un monde sans adversaires, où le conflit s’évapore dans le consensus pour le « capitalisme vert », et adresse gentiment ses « recommandations » aux responsables politiques du désastre.
Ce que « la crise exige »…
On l’a dit : la Coalition ne fait que « recommander », elle n’exige rien… Mais elle présente ses « recommandations » comme si celles-ci découlaient des exigences de la situation objective telle qu’analysée par la science [1]. « La crise, lit-on, exige une action cohérente et de grande envergure qui remette (sic) le monde sur une trajectoire durable et équitable, garantissant une justice sociale pour toutes et tous et le respect des limites planétaires ». Si on laisse de côté le verbe « remettre » – qui suggère que « le monde » était auparavant (quand ?) « sur une trajectoire durable et équitable, etc » – cette entrée en matière peut donner l’impression que le Mémorandum va à la racine des choses. Mais ce n’est pas le cas. Pour s’en apercevoir, il suffit d’inscrire dans une colonne ce que la Coalition recommande parce que « la crise l’exige » et dans une autre… ce qu’elle ne recommande pas.
Dans la première colonne, on notera en particulier : une énergie 100% renouvelable qui reste payable pour tous ; la non ratification du traité UE-Mercosur ; des indicateurs alternatifs au PIB ; le respect de la loi de sortie du nucléaire ; « une politique permettant aux pouvoirs publics de prendre eux-mêmes des initiatives en matière de création d’entreprises » ; la fin de l’extension de capacité des infrastructures routières et aériennes ; l’intégration des émissions grises à la comptabilité carbone de la Belgique [2] ; un impôt sur le patrimoine des grandes fortunes ; l’obligation pour la finance d’abandonner les investissements dans l’économie fossile ; l’obligation pour l’industrie de financer sa propre transition grâce au principe pollueur-payeur – qui, selon le texte, « permettra d’éviter la socialisation des pertes et la privatisation des bénéfices » (comment ?) ; la suppression des subsides aux fossiles ; une vision systémique tenant compte de la réalité intersectionnelle, notamment sur la base du genre, de l’origine ethnique ou de la position sociale ; l’accès pour tous et toutes à une mobilité pauvre en carbone et bon marché, voire gratuite ; un système alimentaire équitable, sain, respectueux de l’environnement, qui « évite » (sic) le recours à des « pratiques destructrices pour les sols (emploi des pesticides et engrais chimiques) » ; un cheptel réduit d’au moins 60% d’ici 2050 et un « élevage écologique, entièrement lié au sol » ; etc, etc.
… et ce que « la crise » n’exige pas
Beaucoup de ces recommandations vont dans le bon sens, celui des revendications portées par les activistes de divers mouvements sociaux. Mais il ne s’agit que de conseils plus ou moins insistants à l’adresse des décideurs. Dans le contexte politique actuel, les plus radicaux d’entre eux peuvent être considérés comme des vœux pieux. La deuxième colonne – celle de ce que « la crise n’exige pas » – est beaucoup plus significative. Car… « qui ne dit mot consent », n’est-ce pas ? Or, cette colonne contient une série de points cruciaux sur lesquels « la crise exige » (devrait exiger) de se prononcer. Comme par hasard, il s’agit de points où la position à prendre va immédiatement à l’encontre du « Green deal » européen, ou de la politique des Verts et des sociaux-démocrates au sein de la Vivaldi. Bref, le silence de la Coalition est ici assourdissant.
C’est ainsi, par exemple, que « la crise » n’exige pas et que la Coalition ne recommande pas : de comptabiliser les émissions des transports internationaux par mer et par air – en augmentation rapide du fait de la mondialisation des chaînes de valeur capitalistes ; de bannir la capture-séquestration du carbone, en particulier la bioénergie avec capture et séquestration du carbone (BECCS) – une technologie d’apprenti-sorcier qui menace à la fois la biodiversité et l’alimentation humaine ; de renoncer à la 5G, grosse consommatrice d’énergie dont le déploiement est voulu par les géants du numérique ; d’arrêter la production d’armes, activité nuisible par excellence, ni même d’en comptabiliser les émissions ; de dénoncer le projet gouvernemental de compenser le nucléaire par de nouvelles centrales au gaz qui émettront de grandes quantités de CO2 ; de renoncer au « mécanisme de rémunération de capacité » promis aux entreprises propriétaires de ces centrales (notez bien que, par son silence sur ce point, la Coalition contredit deux des recommandations générales formulées par ailleurs dans son Mémorandum : la suppression des subsides aux fossiles, et l’obligation pour l’industrie de financer elles-mêmes sa propre transition…) ; de soutenir les collectifs citoyens qui s’opposent à cet investissement climaticide dans le gaz… et les autres, qui luttent contre la construction par INEOS d’une nouvelle usine de plastiques dans le port d’Anvers, ou contre l’implantation d’AliBaba à Liège, ou contre l’extension de l’usine Clarebout de frites surgelées à Frameries, etc…
Le mémorandum dénonce « la course à la surconsommation, à la surproduction et au profit ». Mais il ne dit pas un mot des luttes de terrain qui luttent contre cette course… et contre les autorités politiques qui la soutiennent. Par ce silence, d’une part, la Coalition couvre l’hypocrisie du bla-bla de l’UE et du gouvernement belge. D’autre part, elle évite que des conflits et des controverses fassent irruption dans son discours consensuel sur la transition. Or, un mouvement climat digne de ce nom doit plonger les mains dans le cambouis des tensions emploi-environnement que ces luttes soulèvent, et tenter d’indiquer comment ces tensions pourraient être dépassées dans le cadre d’un autre système, qui respecterait à la fois le droit à l’emploi et le droit à un environnement sain. Au lieu de cela, la Coalition plane dans les nuages en recommandant au gouvernement de « mobiliser l’industrie pour une économie propre et circulaire » et de développer une « consommation raisonnée dans le cadre d’une économie circulaire ». On croirait lire une déclaration d’intentions de la finance britannique pour faire de Londres la plaque tournante de la croissance durable…
Un Green New Deal fort peu social
À travers le titre de son Mémorandum, la Coalition suggère que ses recommandations s’inspirent de la proposition de Green New Deal avancée aux Etats-Unis par Alexandria Ocasio-Cortez et Bernie Sanders. Or, ce n’est pas exact. Bien qu’insuffisant à nos yeux (il ne rompt ni avec la dynamique d’accumulation ni avec la domination impérialiste du Sud global), le Green New Deal de la gauche étasunienne a un énorme mérite : il unit étroitement des réformes environnementales à des réformes sociales antilibérales précises et substantielles – par exemple, la hausse des salaires, la gratuité de la santé et la fin du système qui oblige les jeunes de milieux modestes à s’endetter jusqu’au cou pour aller à l’université. Il est frappant que la Coalition évite soigneusement toute recommandation de ce genre. Selon elle, « la crise » n’exige pas : d’augmenter la part des salaires au détriment de celle des profits (le mode de vie extravagant des riches est pourtant responsable de la plus grande partie des émissions de CO2) ; de réduire collectivement le temps de travail sans perte de salaire (afin de produire moins tout en partageant les richesses) ; d’en finir avec les statuts précaires (qui favorisent la surexploitation du travail et des ressources) ; d’exiger le droit d’élire un conseil d’entreprise et un comité de sécurité-hygiène dans les PME… Au lieu de cela, le Mémorandum formule un triple objectif fort ambigu : consommer « moins, mieux, autrement ». Mais qui consommera moins ? Et comment certain.e.s pourront-ils consommer légitimement plus ?
Marché du carbone : non, mais oui quand même ?
La question du marché du carbone montre à quel point la Coalition est prête au compromis avec les exigences du « capitalisme vert ». Pour rappel, l’accord de Paris prévoit un nouveau « mécanisme de marché » appelé à remplacer les dispositifs d’échange de droits d’émission mis en place précédemment dans le cadre du protocole de Kyoto. La COP25 (Madrid) a capoté sur la concrétisation de cette décision de principe. La question sera donc au centre des marchandages lors de la COP26 à Glasgow. Pour les grands pollueurs, le nouveau « mécanisme de marché » doit maintenir des possibilités optimales de remplacer les réductions domestiques des émissions par des « réductions » ou des « absorptions » réalisées ailleurs, dans des conditions beaucoup moins contrôlables, voire carrément bidon. Faute d’assurance sur ce point, des pays refuseront de « rehausser l’ambition » de leurs engagements. Il s’agit donc d’une question clé, non seulement pour l’efficacité des politiques climatiques, mais aussi pour la justice Nord-Sud. Or, que dit le Mémorandum à ce sujet ?
Le texte commence par affirmer que « les marchés internationaux du carbone ont montré dans le passé qu’ils étaient insuffisants (c’est un euphémisme, mais soit…) et qu’ils présentent des dangers du point de vue du développement durable et des droits humains ». Le recours à ces marchés doit donc « être évité », selon la Coalition. Cette déclaration semble radicale à première vue, mais il faut y regarder de plus près.
D’abord, il n’est question ici que des marchés internationaux du carbone : la condamnation n’inclut donc pas le marché européen des droits. Or, c’est peu dire que ce marché est « insuffisant » également ! Pour rappel : les entreprises du Système Européen d’Echange de Quotas d’Emission (ETS en anglais) ont reçu leurs quotas gratuitement et en excès par rapport à leurs émissions, ce qui leur a permis d’en revendre une part avec profit. Ensuite et surtout, les auteurs/trices du texte savent pertinemment que les décideurs politiques auxquels ils s’adressent n’ont pas la moindre intention « d’éviter » le recours aux marché du carbone. C’est même le contraire : le marché du carbone est un élément clé de ce « Green Deal » européen que la Belgique « se doit de soutenir » pour devenir « un leader responsable ». En vérité, sur ce point en particulier, la stratégie « réaliste » du Mémorandum se montre totalement… irréaliste.
Puits de carbone : oui aux « projets vertueux » ?
Du coup, la Coalition elle-même s’assume comme « leader responsable ». Citation : « Si l’implémentation (de ce mécanisme de marché) devait néanmoins être décidée (sic !), nous demandons l’application de conditions strictes : une objectivation climatiquement robuste des surplus de réduction d’émission à échanger (comment ?) ; une limitation des volumes échangeables, ceux-ci devant toujours être une fraction minime (laquelle ?) des efforts internes des pays et secteurs ; des garanties suffisantes (c’est à dire ?) sur le respect des droits humains et la promotion du développement durable ; et une exclusion du secteur des terres de ces marchés ». Les trois premières de ces conditions sont vagues. La quatrième – l’exclusion des terres (qui implique notamment de ne pas pouvoir « compenser » des émissions de CO2 en plantant des arbres ou en s’appropriant des forêts au détriment des populations qui y vivent) – est « stricte »… Mais le texte l’adoucit immédiatement en précisant que « Le secteur des terres peut néanmoins être intégré dans la mise en œuvre de l’article 6.8 de l’Accord de Paris afin de pouvoir financer des projets vertueux de protection et de restauration des puits de carbone. » Si c’est « vertueux », c’est bon ?… Mais qui décide de la « vertu » ? La Commission européenne, peut-être ? Tiens : n’ambitionne-t-elle pas de planter trois millions d’arbres ?
Justice Nord-Sud : gare au glissement !
La question du financement de la politique climatique dans les pays du Sud est un autre point révélateur. On sait que les pays dits « développés » se sont engagés a verser cent milliards de dollars par an dans un Fonds vert destiné à aider le Sud à faire face au défi climatique. La Coalition le rappelle et demande que la Belgique contribue à hauteur de 500 millions par an, au minimum. Bien. Le texte souligne aussi que cette somme ne peut pas être prise sur les budgets de l’aide au développement. Très bien… Mais, en même temps, le Mémorandum appuie l’Union européenne dans sa volonté de taxer aux frontières les marchandises produites dans des pays qui « ne tiennent pas compte du prix du carbone », et demande (pardon : « recommande ») que les revenus de cet « ajustement aux frontières » soient versés… au Fonds vert pour le climat. Or, dans ce cas, une partie du financement destiné à aider le Sud viendrait du Sud, pas du Nord !
Le texte ajoute que la taxe carbone aux frontières de l’UE permet de « protéger nos entreprises (sic !) contre une forme de concurrence déloyale »… Pardon ? « Protéger nos entreprises » ? Les patrons applaudiront cette recommandation protectionniste. Surtout que, en parallèle, rien n’est prévu pour protéger les petit.e.s producteurs/rices du Sud contre la concurrence déloyale d’entreprises du Nord, en particulier dans l’agrobusiness et l’industrie de la viande, qui ruinent les paysans et les éleveurs africains en inondant les marchés de produits de mauvaise qualité à bas prix… Un des slogans clés des manifestations pour le climat a toujours été « What do we want ? » – « Climate justice ! » – « When do you want it ? » – « Now ! » [3]. Avec sa logique pseudo-réaliste, le Mémorandum risque d’amener la Coalition à renier ce positionnement internationaliste fondamental.
Démocratie par la base ou gouvernance par le sommet ?
La Coalition est un front. Lui reprocher de ne pas être anticapitaliste serait pédant, « ultimatiste » et ridicule. Le problème n’est pas là. Le problème est que le mouvement climat ne peut, à notre avis, éviter de prendre très clairement position sur une série d’exigences que l’on peut résumer comme suit : justice climatique Nord-Sud, donc au moins 65% de réduction des émissions dans l’UE en 2030 ; 1,5°C de réchauffement maximum, sans dépassement temporaire, sans technologies dangereuses (telles que la BECCS et le nucléaire), sans compensation carbone ; dans la justice sociale, la justice Nord-Sud, la démocratie et le respect de la biodiversité. Or, c’est précisément sur ces exigences-là que le Mémorandum se tait. Comme elles impliquent notamment de lutter partout contre les productions et les projets inutiles ou nuisibles, le Mémorandum choisit de se taire aussi sur ces luttes. C’est cohérent avec sa stratégie : en effet, on ne peut pas à la fois participer aux luttes anti-productivistes à la base et conseiller au sommet les pouvoirs qui gèrent le productivisme. Il faut choisir.
L’enjeu est très important. En effet, il ne faut pas s’y tromper : le Mémorandum de la Coalition ne soulève pas seulement un débat sur les revendications que « la crise exige », mais aussi un débat sur le type de démocratie nécessaire à la mise en œuvre de ce que « la crise exige ». À cet égard, la conclusion du texte est malheureusement très claire. « Pour une gouvernance climatique efficace », le texte propose une batterie de mesures institutionnelles : conclure un nouvel accord de coopération entre les entités fédérées, adopter une loi spéciale climat et des législations climat au niveau des entités, créer un conseil d’expert.e.s du climat, modifier le fonctionnement de la Commission Parlementaire Climat… Puis vient la cerise sur le gâteau : la « gouvernance efficace » signifie aussi : « impliquer davantage la société civile, les citoyens et les mouvements sociaux dans le déploiement (pas dans l’élaboration : dans le « déploiement », DT) de la politique climatique nationale en institutionnalisant des processus de consultation et de participation citoyenne (par exemple sous forme d’une conférence citoyenne pour le climat) afin de s’assurer que les politiques et mesures (décidées au sommet, DT) correspondent aux attentes de la population et à la réalité de son vécu. » En clair : il faudrait reproduire dans notre pays pays le modèle de « démocratie » dirigée que Macron a mis en place en France avec la « Conférence citoyenne sur le Climat ». Voilà où l’on risque d’échouer quand on se fixe pour but de conseiller les gouvernants dans l’illusion de les transformer en « leaders responsables ».
Nous participerons à la marche pour le climat du 10 octobre. À l’heure où la planète brûle, s’abstenir serait stupide, voire criminel. Mais nous ne souscrivons pas au Mémorandum technocratique de la Coalition climat, et dénonçons sa subordination à ce qui est « acceptable » par les ami.e.s politiques au gouvernement. Comme Greta Thunberg, nous pensons que « la crise climatique et écologique ne peut tout simplement plus être résolue dans le cadre des systèmes politiques et économiques actuels » [4]. Avec d’autres, nous manifesterons contre le capitalisme vert du Green Deal européen, contre les mégaprojets inutiles et nuisibles, contre la « compensation carbone » et les technologies d’apprentis-sorciers. Nous manifesterons pour une écologie rebelle, pour une écologie d’en-bas, pour une alternative sociale et écologique antiproductiviste, féministe, internationaliste. L’alternative de civilisation dont l’humanité à un urgent besoin progressera par l’organisation démocratique et la convergence des luttes à la base pour la défense des territoires et des droits sociaux, partout sur la planète, pas par des « recommandations » taillées sur mesure de la realpolitik.
Daniel Tanuro
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