Propre ? Outre la production de déchets radioactifs, il faut savoir que les centrales nucléaires relâchent dans l’air et dans l’eau d’immenses quantités de produits radioactifs et chimiques qui polluent gravement l’environnement, en particuliers les rivières françaises parfois bordées par quatre centrales (Rhin, Loire). De plus, l’extraction du combustible des réacteurs, l’uranium, cause des dommages environnementaux dramatiques (contaminations, assèchement des nappes phréatiques, etc) mais il est vrai que cela se déroule loin de chez nous, en particulier au Niger : c’est probablement cela que les adeptes de l’atome appellent une énergie « propre »…
Sûre ? Les catastrophes de Tchernobyl et Fukushima ne sont pas de l’histoire ancienne, aujourd’hui encore des millions de personnes vivent dans des zones contaminées en Ukraine, Biélorussie, Russie et bien sûr au Japon. En France, le pire a été frôlé au moins à trois reprises : fusion partielle du cœur à Saint-Laurent-les-Eaux (Loir-et-Cher) en 1969 et 1980, grave inondation au Blayais (Gironde) en 1999. La prétendue « sûreté » de l’atome ressemble plutôt à une épée de Damoclès…
Indépendante ? Comme déjà expliqué, le combustible est majoritairement importé, c’est même à 100% le cas de la France. D’autre part, loin de la propagande assénée depuis des années, le fait est que la technologie nucléaire « française » est en réalité américaine, les licences ayant été achetées (fort cher) à l’entreprise Westinghouse dans les années 70. Et, parmi les signataires de la tribune, les représentants de Bulgarie, Hongrie, Tchéquie, Slovaquie et Finlande ont probablement oublié que leurs pays sont dotés de réacteurs russes : une étrange « indépendance »…
Compétitive ? Si les réacteurs en service actuellement produisent une électricité à un tarif relativement modéré, ce n’est pas parce que le nucléaire est « compétitif » mais parce que ces centrales ont bénéficié de très lourds financements publics au 20e siècle, et qu’elles sont aujourd’hui amorties. Or les caisses des Etats sont aujourd’hui vides et ce véritable « hold-up » sur l’argent public n’est bien heureusement plus possible.
De fait, si de nouveaux réacteurs sont construits, l’électricité produite sera ruineuse. Ainsi, si EDF parvient à en achever le chantier - on peut en douter lorsque l’on voit les désastres des EPR en construction sans fin en Finlande et à Flamanville - l’électricité qui sortira des EPR britanniques sera achetée à 105 euros le MWh, bien plus chère que la plupart des autres sources, et en particulier le charbon : comment lutter contre ce dernier avec une énergie beaucoup plus chère ?
Notons d’ailleurs que le seul but des signataires de la tribune est d’essayer de faire financer la construction de nouveaux réacteurs par l’argent européen car, sans cela, aucun industriel ne se lancera, sauf à vouloir faire faillite : c’est déjà fait pour Areva et c’est en cours pour EDF.
Par ailleurs, même si les signataires avancent la création de milliers d’emplois, sans bien sûr donner la moindre précision, toutes les études et les faits montrent que le nucléaire, industrie très concentrée, crée beaucoup moins d’emplois que les autres sources et en particulier les renouvelables.
Mais l’aspect le plus dérisoire de la tribune des ministres concerne le climat : outre le caractère parfaitement cynique de la subite conversion « écologique » de gens qui soutiennent de longue date les industries les plus polluantes, on ne peut que rester pantois en lisant que « le réchauffement climatique est la bataille d’aujourd’hui, pas de demain » : en effet, quand on voit que les chantiers des EPR de Finlande et Flamanville ont débuté respectivement en 2005 et 2008, et qu’ils sont encore loin d’être achevés, ou que la filière actuellement très médiatisée des SMR (petits réacteurs modulables) ne pourrait être effective avant 2040 voire 2050, on peut hélas en conclure que, s’il faut attendre que le nucléaire nous « sauve », le réchauffement climatique a hélas de beaux (et chauds) jours devant lui...
Les questions de l’énergie et du climat sont effectivement très importantes et méritent des décisions fortes, mais ce n’est certainement pas en s’enferrant dans la voie de garage de l’atome que des solutions seront trouvées. C’est le bien être des habitants et la préservation du climat qui doivent être la priorité, et non les profits des industriels de l’atome.
Mardi 12 octobre 2021
Stéphane Lhomme
Directeur de l’Observatoire du nucléaire
http://www.observatoire-du-nucleaire.org