“Le Seigneur aime celui qui donne avec joie”, proclame une prédicatrice qui chauffe la salle de 15 000 places pour le troisième service de la journée de l’évêque David Abioye dans l’église Living Faith [de la “Foi vivante”] près d’Abuja, la capitale du Nigeria. “En déposant vos offrandes aujourd’hui, vous corrigerez pour de bon votre captivité par rapport à l’argent”, promet-elle aux fidèles. Des instructions sur la façon de payer par chèque ou en ligne sont glissées parmi les versets dans les bibles.
La doctrine de la Prospérité
Alors que des personnes font la quête en tendant des paniers couleur anis, une chorale entonne : “I’m restored and I’ve been rewarded.” [“Me voilà rétabli, j’ai été récompensé”, une chanson de J. Moss]. Mgr. Abioye, resplendissant dans son costume à rayures avec une cravate dorée, explique comment Dieu récompense la prière par des espèces sonnantes et trébuchantes. “Cette semaine, on va vous en donner”, proclame-t-il. “Pendant que je vous parle, des gens cherchent déjà votre numéro de téléphone”, crie-t-il. Tout cela, grâce au “pouvoir d’achat” du sang de Jésus, selon lui.
Monsieur Abioye est le pasteur d’un empire pentecôtiste connu sous le nom de Winners Chapel [la Chapelle des vainqueurs], dirigé par l’évêque David Oyedepo. Celui-ci affiche la prospérité qu’il prêche : il se déplace en jet privé, et a un jour jugé “insultante” et “trop petite” l’estimation de sa fortune à 150 millions de dollars, avancée par un rapport. Son modèle économique repose à la fois sur le pouvoir exercé du haut des chaires d’église et sur la brillance d’un discours digne du marketing d’entreprise. Parmi les livres qu’il a écrits, citons ces deux titres : “Understanding Financial Prosperity” [“Comprendre la prospérité financière”] et “Satan Get Lost !” [“Satan, dégage !]
Comme de nombreux pasteurs charismatiques, au Nigeria et ailleurs, il prêche que la foi peut apporter des récompenses matérielles, et que les fidèles doivent exprimer leur dévotion en versant une dîme, c’est-à-dire en donnant un dixième de leurs revenus à l’Église. Certains pasteurs millionnaires laissent d’ailleurs entendre que leur richesse est la preuve de leur piété. Les liasses de billets envoyées en haut de la chaîne par leurs paroisses y contribuent sans doute aussi !
“Il n’y a pas vraiment de ligne de démarcation entre ce qui appartient au pasteur et ce qui appartient à l’Église”, explique Ebenezer Obadare, professeur de sociologie à l’université du Kansas. Le pardon chrétien semble être une denrée rare pour ceux qui ne parviennent pas à honorer leurs engagements. Ainsi, en juillet, un pasteur d’une paroisse de Winners Chapel indique avoir été licencié pour n’avoir pas réussi à lever suffisamment de fonds, même si Winners Chapel affirme que c’est parce qu’il n’a pas su attirer un nombre suffisant de nouveaux fidèles.
Les marchands du Temples nigérians
Certains saints hommes ont des intérêts dans des affaires bien terrestres : la paroisse du pasteur Enoch Adeboye possède ainsi une entreprise de construction, une fabrique de fenêtres et des centaines de chalets de vacances dans son camp religieux de Redemption City ; le pasteur Chris Oyakhilome, un télévangéliste, gère des chaînes diffusées par satellite en Amérique et en Grande-Bretagne, ainsi qu’une boutique en ligne, qui accepte des paiements dans 120 devises différentes ; l’Église de l’évêque Oyedepo possède un complexe qui s’étend sur 4 250 hectares, le Canaanland [pays de Canaan], sur lequel on trouve notamment une usine d’eau en bouteille, une banque et une station-service, ainsi qu’une somptueuse résidence pour l’évêque.
Plusieurs Églises nigérianes ont leurs propres universités, qui sont d’autant plus appréciées des parents que les établissements publiques nigérians proposent des services médiocres. L’université Covenant à Canaanland a des règles strictes : les téléphones portables y sont interdits. Elle dispose d’un stade impressionnant, de salles de conférence high-tech et propose des cours de taekwondo. Sur les murs de l’établissement, on peut voir des affiches mettant en avant sa bonne place au classement des universités, à côté de photos de l’évêque Oyedepo. L’université affirme que 98 % de ses diplômés trouvent un emploi ou deviennent eux-mêmes employeur dans les deux ans qui suivent l’obtention de leur diplôme.
Cependant, ses tarifs restent inabordables pour beaucoup de paroissiens. Ainsi, le jeune employé qui nous fait visiter le campus aurait bien aimé y étudier, mais sa famille, qui fréquente l’église depuis 2003 et se saigne aux quatre veines pour verser la dîme, ne pouvait pas payer les frais de scolarité ; elle l’a donc envoyé à l’université au Ghana, ce qui revenait moins cher. L’université fait néanmoins valoir le bon rapport qualité-prix de ses cours, et précise que la fondation de l’évêque Oyedepo accorde des bourses aux étudiants qui souhaitent étudier à l’université Covenant ou dans d’autres universités. Mais, à Covenant, seule une trentaine d’étudiants sur les plus de 6000 élèves de premier cycle bénéficient de cette bourse.
Un employé d’une autre Église de la Winners Chapel se met à rire lorsqu’on lui demande si son salaire est suffisant pour envoyer ses enfants à l’école paroissiale. Pour Matthew, qui fréquente l’auditorium de 100 000 places du Glory Dome (une autre méga-église située à Abuja), l’école paroissiale est trop chère pour ses enfants : “Mon père est allé dans une école missionnaire, et c’était gratuit. Pourquoi ne fait-on pas pareil ?” Ces Églises sont en fait des “entreprises lucratives”, estime Ebenezer Obadare.
Covenant affirme réinvestir ses bénéfices dans l’université. “L’université est la propriété de l’Église”, précise le vice-chancelier, Abiodun Adebayo, qui répond sur un ton sec à la question de savoir si l’Église compte sur un retour sur investissement : “On se développe pour arriver à être capable de soutenir l’Église à notre tour”.
Une logique entrepreneuriale
Les lignes floues qui existent entre les méga-Églises et leurs entreprises sont importantes d’un point de vue fiscal, car si les organisations religieuses ne sont pas imposées, leurs entreprises le sont, en théorie du moins. Mais il n’est pas facile de déterminer ce qui relève des Églises et ce qui relève de leurs entreprises.
Les adversaires de ces Églises ne mâchent pas leurs mots à propos d’une telle situation. Pour Ebenezer Obadare, la logique de la prospérité de ces Églises fait penser à celle des systèmes de Ponzi, avec l’avantage supplémentaire que lorsque les gens ne s’enrichissent pas, les pasteurs peuvent leur promettre qu’ils feront fortune dans la vie à venir. On pourrait s’attendre à ce que de telles croyances fassent l’objet de critiques de la part d’institutions intellectuelles comme les universités, ajoute-t-il, mais bien souvent, celles-ci souscrivent à la vision du monde de ces Églises. Conséquence : au Nigeria, où plus de 80 millions de personnes vivent avec moins de 1,90 dollar par jour, les membres de ces Églises “deviennent de plus en plus pauvres, et les pasteurs de plus en plus riches”, souligne Francis Falako, professeur d’études religieuses à l’université de Lagos.
The Economist
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