Aux cris de « Nous sommes tous Kais Saied ! », plus de 5 000 partisans du président tunisien sont descendus dimanche dans la rue.
À Tunis, environ 5 000 manifestants se sont rassemblés sur l’avenue Bourguiba, l’artère principale du centre de la capitale. Brandissant des drapeaux nationaux et des portraits du président Kais Saied, ils ont scandé « Le peuple veut la dissolution du Parlement », « Nous sommes tous Kais Saied, Nous sommes tous la Tunisie ».
Selon des médias locaux, un millier de personnes ont défilé dans la grande ville industrielle de Sfax (centre-est) et autant dans la cité balnéaire de Sousse (centre-est). Les pro-Saied ont aussi manifesté par centaines à Tataouine, ville proche des sites pétroliers, et par dizaines à Kairouan (centre) et Gabès (sud).
– « Saied veut instaurer des réformes et nous l’appuyons », a déclaré Noura ben Fadhel, une fonctionnaire d’une quarantaine d’années active dans des ONG.
– « Je suis venue appuyer le changement et mettre fin à la dégradation actuelle, on en a marre, ça fait 10 ans et ça suffit ! », a ajouté cette manifestante à Tunis, en réclamant « des solutions pour l’emploi » dans un pays où le chômage est passé de 15 à près de 18 % sous l’effet de la pandémie de Covid-19.
Déployées en grand nombre sur l’avenue Bourguiba, les forces de sécurité ont formé une protection autour des manifestants. Beaucoup brandissaient des banderoles assurant que « le peuple veut une révision de la Constitution » ou « Saied, porte-parole officiel du peuple ».
« Système à la morgue »
Après des mois de blocage politique, Saied a annoncé inopinément le 25 juillet le limogeage du Premier ministre, le gel du Parlement et qu’il s’octroyait aussi le pouvoir judiciaire. Il a affirmé agir dans le but de « sauver » d’un « péril imminent » le pays, en proie à une grave crise économique.
Le président a été critiqué par des ONG tunisiennes et internationales et par la puissante centrale syndicale UGTT, co-lauréate du Nobel de la Paix 2015, pour « un accaparement du pouvoir ». Les militants ont dit craindre pour le respect des droits et libertés.
Mais pour Elyes Ouni, 28 ans, membre de la campagne de Saied à Kairouan (centre) pour la présidentielle de décembre 2019, « le 25 juillet a mis fin à un système défaillant. Maintenant il est à la morgue et aujourd’hui on va l’enterrer ».
« Cache-misère »
Le 22 septembre, Saied a officialisé ses pleins pouvoirs par des « mesures exceptionnelles » promulguées par décret qui prolongent la suspension du Parlement. Elles lui permettent aussi de légiférer par décrets, de présider le Conseil des ministres et de modifier les lois.
Saied considère la constitution de 2014, à l’origine d’un régime hybride, comme trop déséquilibré en faveur du Parlement. Cet expert en droit constitutionnel, élu après une campagne anti-système, n’a jamais caché son hostilité aux partis, notamment à sa bête noire, le parti d’inspiration islamiste Ennahdha qui dominait le Parlement suspendu.
Après deux mois de vacance à la tête du gouvernement, le président a nommé la semaine passée une femme, Najla Bouden, pour former un cabinet.
Deux arrestations
Dimanche 2, un député et un présentateur d’une télévision considérée comme proche des islamistes ont été arrêtés après avoir critiqué la nomination de Najla Bouden, qualifiée d’« alibi » et de « cache-misère » pour masquer « un coup d’État ».
Un journaliste de télévision et un député qui participait à son émission ont été arrêtés dimanche pour avoir critiqué sur le plateau le coup de force de Kais Saied, a déclaré leur avocat Samir Ben Omar. Le motif de l’arrestation, intervenue à la demande de la justice militaire, est « l’expression de leurs propres opinions au cours de cette émission », a-t-il précisé, ajoutant que les deux hommes étaient poursuivis pour « complot contre la sûreté de l’État ».
La chaîne Zitouna TV est considérée par les observateurs comme proche de Al-Karama et Ennahdha, partis qui sont les bêtes noires de M. Saied.
Dans l’émission, le député a affirmé avoir « le courage de dire » que les mesures décidées par Saied étaient « un coup d’État ». Il a aussi jugé que c’était « une honte pour la condition féminine » d’« utiliser (la nomination de Mme) Bouden comme alibi » pour dissimuler la réalité, selon lui.