Toulouse (Haute-Garonne).– Le 21 septembre, le souffle de l’explosion d’AZF fait voler des vitres en éclats jusqu’à six kilomètres du pôle chimique. Mais les plus gros dégâts sont dans un périmètre plus restreint : la préfecture délimitera à 1,7 kilomètre le rayon de la « zone proche de l’explosion ». Papus, Empalot, La Faourette, Bagatelle et, au-delà, les cités du Mirail, autant de quartiers classés en zone urbaine sensible (désormais quartiers prioritaires de la politique de la ville), figurent parmi les plus touchés.
C’est là que se situe la majorité des 30 000 logements sinistrés et des 87 000 dossiers d’indemnisation qui seront instruits par la suite. « Plus de 40 % des logements sinistrés appartiennent au parc HLM, auxquels il convient d’ajouter diverses copropriétés dégradées jouant le rôle de logement social de fait. Alors qu’ils cumulent déjà les difficultés économiques et sociales (faibles revenus, forts taux de chômage et d’immigration, etc.), ces quartiers rencontrent davantage de difficultés pour faire face à la catastrophe que d’autres quartiers tout aussi sinistrés, mais socialement mieux positionnés », résume la géographe Marion Cauhopé, qui a consacré un sous-chapitre de sa thèse, présentée en 2011, à « la catastrophe comme révélateur de la “fracture sociale” toulousaine ». Nombre des
Pour les habitants des quartiers, la place du Capitole fait partie d’une autre ville, où beaucoup ne se sentent pas les bienvenus
C’est la facette sociale du dossier AZF. « Le sujet s’est immédiatement imposé à nous », témoigne Salah Amokrane, qui siégeait alors au conseil municipal depuis les élections du mois de mars précédent, comme élu de la liste Motivé-e-s, portant les préoccupations et la voix des quartiers au Capitole. À Empalot et au Mirail, deux jours après l’explosion, « c’était une situation d’extrême urgence », se souvient-il. « La quasi-totalité des services étaient mobilisés sur les morts, les blessés et les endroits les plus dévastés. Dans les cités, ils n’avaient encore rien vu arriver… »
Dans de nombreux appartements, les vitres ont éclaté, des plafonds sont tombés. Il faut déblayer, nettoyer, évacuer les gravats, et cela dans des immeubles où, bien souvent, les ascenseurs ne fonctionnent pas. Les besoins sont concrets : des gants pour ne pas se couper les mains avec le verre, des sacs poubelles solides, des conteneurs en bas des immeubles et des moyens de levage – ou des chaînes de bénévoles – pour évacuer et descendre les gravats.
La mairie a bien installé une cellule d’aide et d’écoute pour les Toulousains, mais elle se trouve… place du Capitole. Jean-François Grelier, militant acharné de la lutte des sinistrés d’AZF, décédé depuis, notait dans son livre La Catastrophe d’AZF : Total coupable, paru en 2015 : « Pour les habitants des quartiers, la place du Capitole fait partie d’une autre ville, où beaucoup ne se sentent pas les bienvenus. Si bien que cette cellule a surtout servi à accueillir les journalistes en mal d’information. »
Des habitants de seconde zone
Le dimanche 23, le maire, Philippe Douste-Blazy, et son adjoint à l’urbanisme, Jean-Luc Moudenc, reçoivent les élus Motivé-e-s avec une délégation d’habitants des quartiers concernés. « Ils nous ont vus arriver d’un air inquiet, raconte Salah Amokrane, mais la réunion s’est bien passée et on leur a proposé que soient aussitôt mises en place des cellules dans chaque quartier, avec des services municipaux pour distribuer le matériel nécessaire et donner des informations sur les questions d’assurance et de relogement qui taraudaient beaucoup de personnes. » Le maire entend, approuve et valide.
Dès le 24 après-midi, des cellules de soutien sont déployées dans les quartiers d’Empalot, Reynerie, Bellefontaine, La Faourette, la Croix de Pierre, Papus-Tabar-Bordelongue et Lafourguette. Les habitants peuvent y rencontrer un médecin, un psychologue, un fonctionnaire municipal, un agent d’office HLM, une assistante sociale, un agent d’assurance, un représentant d’EDF-GDF, des agents municipaux pour coordonner le bénévolat, un conseil juridique et y récupérer du matériel de premier secours. « La mairie nous a entendus et a eu une forme d’efficacité », reconnaît l’ex-élu Motivé-e-s, avant de tempérer : « Mais on a alors vu toute la déconnexion entre les élus et les habitants de ces quartiers qu’ils ne connaissaient pas… »
Une déconnexion confirmée par Frédéric Arrou, habitant de Papus, dont la demeure a été dévastée par l’explosion et qui est à l’origine de l’Association des sinistrés du 21 septembre, qui sera ensuite la principale structure portant les revendications des habitants. Dans son livre AZF, fragments du fracas, publié à l’occasion des 20 ans de la catastrophe, il relate comment le chauffeur de Douste-Blazy le contacte lorsqu’il s’agit d’amener le maire sur place : il ne savait pas où se situait le quartier Papus. Ou comment les habitants de la résidence plutôt bourgeoise des Oustalous ont vu débarquer des élus pour leur expliquer les démarches à suivre, quand ceux du Mirail ont eu droit à des camions de CRS. Ou encore la façon dont les habitants de la cité du Parc, à la Reynerie, dont la mairie aurait souhaité raser un bâtiment, ont été traités « comme des Toulousains de seconde zone » par les autorités.
« Dans la manière même dont les élus parlaient des gens des quartiers et s’adressaient à eux, on sentait immédiatement la distinction, la différenciation d’approche et de traitement, raconte l’auteur à Mediacités. En revanche, avec moi, travailleur social qui savait prendre la parole et se faire comprendre, blanc, pas pauvre, une connivence implicite s’est rapidement installée… »
En 2003, l’information fuite que la mairie s’apprête à reverser tranquillement dans son budget général les quatre millions d’euros de dons destinés aux sinistrés. Théoriquement pour réhabiliter des équipements publics dans les quartiers. Une « entourloupe » qui ne passe pas auprès des associations, qui finissent par obtenir que cet argent aille aux principaux concernés (via la Fondation de France). Un élément de plus attestant, pour Frédéric Arrou, qu’« AZF a été un révélateur de la fracture entre les dirigeants de la ville et les habitants de ces quartiers ».
Emmanuel Riondé (Mediacités)