La priorité de Kaïs Saïed est la lutte contre les circuits de distribution parallèles
La semaine dernière, l’actualité a été particulièrement intense dans la guerre contre les barons du monopole et de la spéculation, avec l’intention du président Kaïs Saïed d’extirper de leurs griffes « le pain » des Tunisiens et de récupérer l’argent public qui échappe au Trésor de l’Etat.
Le président Saïed a bien constaté que ses appels répétés de faire baisser les prix à la consommation et améliorer un tant soit peu le pouvoir d’achat des Tunisiens n’ont pas été entendus et que malgré tous les pouvoirs que lui a attribués l’article 80 de la Constitution, il n’est pas en mesure d’imposer sa volonté sur un secteur à plus de 50% anarchique, celui du commerce, toutes catégories de produits confondues.
Les barons de l’économie et des circuits parallèles - l’économie parallèle représente 50 % du PIB - sont devenus si puissants au cours de la dernière décennie, la corruption aidant, que les autorités publiques ont perdu tout pouvoir sur eux et sur le phénomène de la contrebande.
Il est clair qu’aujourd’hui, la priorité de Kaïs Saïed est la lutte contre les circuits de distribution parallèles sur la base que ces réseaux se sont renforcés grâce à leurs relations avec des partis politiques.
Après la promesse qu’il n’y aura « pas de retour en arrière » dans le domaine politique, sans autres précisions, le chef de l’Etat assure à présent qu’aucun de ceux qui sont derrière le monopole et la spéculation n’échappera à la justice.
C’est la grande bataille qui lui fait perdre du temps dans d’autres domaines où les Tunisiens l’attendent avec impatience : la feuille de route politique, surtout après la prorogation de l’état d’exception jusqu’à nouvel ordre.
Kaïs Saïed n’a confiance en personne
Kaïs Saïed va sur le terrain en personne et mène la chasse lui-même, parce qu’il n’a confiance en personne. Aucune autre explication n’est plausible, en raison du black-out sur l’information officielle, pour comprendre pourquoi le président n’a pas encore désigné le premier ministre et le nouveau gouvernement.
Il n’a confiance qu’en lui-même et ne communique que par messages codés, se contentant de placer une à une les pièces du puzzle que sera sa feuille de route, non encore dévoilée.
L’absence d’information officielle
Le SNJT (Syndicat National des Journalistes tunisiens) a lancé en début de semaine un appel à la présidence de la République pour communiquer avec les médias et fournir l’information officielle afin qu’ils ne tombent pas dans l’interprétation et ne prennent pas les rumeurs pour des faits, parce qu’ils n’ont pas les moyens de les vérifier. « C’est un droit », note le communiqué.
L’affaire des cent terroristes amassés aux frontières tuniso-libyennes se préparant à infiltrer les terres tunisiennes, en est un exemple. Cette « histoire », qui a fait monter la tension entre les deux pays, a failli provoquer un incident diplomatique et même plus, surtout après la déclaration du Chef du gouvernement d’unité nationale libyen, Abdelhamid Debaïba, qui a accusé indirectement la Tunisie d’avoir permis l’intrusion des terroristes en Libye.
L’absence de déclarations et d’informations issues de sources officielles a donné l’occasion à certains médias et à des chroniqueurs de jouer avec le feu et avec la sécurité de la Tunisie, et c’est au président de la République de mettre un terme à cela.
Les Tunisiens commencent à perdre patience
Sauf que les Tunisiens, qui ont presque plébiscité les décisions, longtemps attendues, annoncées le 25 juillet, dont le coup d’arrêt à l’ARP, la levée de l’immunité des députés et le limogeage du Chef du gouvernement Hichem Mechichi, commencent à perdre patience et à douter devant le menu fretin récolté à ce jour en comparaison avec les espoirs et les attentes suscités le soir du 25 juillet.
Les deux députés emprisonnés, en l’occurrence Yacine Ayari et Fayçal Tebbini, n’ont rien à voir avec les crimes économiques que le Tunisiens voudraient voir examinés par la justice, ni avec les crimes politiques dont les auteurs épinglés par la Cour des comptes n’ont même pas été inquiétés.
Kaïs Saïed ne se doute peut-être pas qu’il commence déjà à ronger son capital de popularité, tellement il est embourbé dans la guerre contre la corruption. Une chasse aux corrompus et aux spéculateurs qu’il mène lui-même sur le terrain parce qu’il n’a confiance en personne.
En l’absence de discours politique clair et de données officielles sur ce que fait et ce qu’envisage de faire le président Kaïs Saïed, les Tunisiens sont contraints de spéculer pour lutter contre l’attentisme et le silence assourdissant, gênant et inquiétant du président.ï
Kaïs Saïed cache son jeu
C’est sûr, le président n’a confiance en personne, ni en les médias ni en les partis ni en la société civile, et il est possible de spéculer là-dessus éga- lement. Pour avoir été, depuis le début de son accession à la magistrature suprême, minimisé, humilié, insulté, accusé de tout et de n’importe quoi, le président Kaïs Saïed cache son jeu (politique), pour pouvoir le mener à terme, même après avoir concentré entre ses mains tous les pouvoirs, pour ne pas le faire échouer en l’exposant aux railleries, aux mensonges et aux critiques acerbes, dont beaucoup par le passé tombaient sous le coup de la diffamation, comme le fait de le traiter de menteur, d’autiste et même de fou.
Il n’a, pour autant, jamais saisi la justice, mais a donc décidé de jouer en solo et de veiller par lui-même sur le déroulement du projet qu’il a en tête pour la Tunisie de l’après-25 juillet 2021. Un projet qui, visiblement, priorise le nivellement par le bas en s’attaquant en premier à la base de la pyramide de la corruption.
Kaïs Saïed ne s’est pas attaqué aux gros bonnets de la corruption
Kaïs Saïed ne s’est pas attaqué, comme le prévoyaient les Tunisiens, aux gros bonnets de la corruption politique, économique et financière, sans doute, spéculation oblige, parce qu’ils tiennent les rênes de l’Etat.
La corruption a tout gangrené : l’administration publique, les affaires et les institutions de l’Etat.
Kaïs Saïed a-t-il eu un coup de génie en procédant par l’absurde ou croit-il faire peur aux barons en persécutant leurs petits bras ? On n’en saura rien, tant que l’expectative durera.
Sans doute, le sentiment de responsabilité est présent et fort chez Kaïs Saïed, mais ce qu’il envisage d’entreprendre pour la Tunisie, même avec l’intention de la sortir de l’impasse dans laquelle l’ont menée les dirigeants de la dernière décennie, concerne prioritairement les Tunisiens, leur quotidien et leur avenir. C’est donc avec eux qu’il doit partager ses idées et ses ambitions et construire la Tunisie de demain.
Personne ne voit la lumière au bout du tunnel
Sept semaines sont déjà passées après le gel de l’ARP et l’instauration de l’état d’exception et personne ne voit la lumière au bout du tunnel. Finalement, la Tunisie n’est pas encore sortie de la malédiction des crises. L’espoir qui est né le 25 juillet dernier se transformera en cauchemar si Kaïs Saïed échoue à le concrétiser. Ce sont les Tunisiens, qui ont souffert ces dix dernières années, qui ont été bernés et arnaqués, et ils sont nombreux, qui le promettent.
NB : les sous-titres sont de la rédaction d’ESSF