La prestation de serment d’Ismail Sabri Yaakob comme neuvième Premier ministre de Malaisie, samedi 21 août, marque “le retour de la vieille garde”, indique Nikkei Asia. Une vieille garde au parcours “entaché de scandales”, dans un pays toujours englué dans une “crise sans fin liée à l’épidémie de Covid-19”.
Âgé de 61 ans, Ismail Sabri devient ainsi le troisième Premier ministre en trois ans – depuis les législatives de 2018. Il appartient à l’Organisation nationale unifiée malaise (Umno), qui a dirigé le pays durant “six décennies avant de perdre les élections de 2018, dans un contexte où émergeaient des soupçons récurrents de corruption et, en particulier, le scandale de détournement des avoirs du fonds de placement 1Malaysia Development Berhad (1MDB) Plusieurs personnalités du parti, en particulier l’ancien Premier ministre Najib Razak, sont toujours poursuivies pour des accusations de corruption et d’abus de pouvoir.”
Réactions négatives sur les réseaux sociaux
Même si Ismail Sabri n’est pas lui-même poursuivi, sa nomination annule de fait la défaite électorale de l’Umno, ce qui a déclenché une vague de protestation sur les réseaux sociaux. Ainsi, relève Nikkei Asia, une pétition clamant : “Nous ne voulons pas d’Ismail Sabri comme Premier ministre de Malaisie” a récolté plus de 350 000 signatures en quelques jours, tandis que le mot-dièse #NotMyPM (pas mon Premier ministre) était très partagé sur Twitter.
Ismail Sabri prend la suite du gouvernement du Premier ministre Muhyiddin Yassin, tombé le 16 août dernier. Un gouvernement qui n’aura tenu que dix-sept mois, soit le mandat le plus court de l’histoire du pays. Personnage resté longtemps dans l’ombre, Ismail Sabri n’avait été pressenti comme potentiel candidat par peu d’analystes, poursuit le magazine d’actualité asiatique, mais le Premier ministre Muhyiddin Yassin l’avait nommé vice-Premier ministre il y a six semaines, “le plaçant ainsi en position idéale pour prendre le pouvoir”.
“Malgré le malaise suscité par le retour de l’Umno, l’opposition a tout de même concédé qu’Ismail Sabri avait recueilli le soutien parlementaire nécessaire pour éliminer” son adversaire et aspirant de longue date au poste de Premier ministre Anwar Ibrahim, note encore Nikkei Asia.
Une opposition conciliante
Dans un communiqué, ce dernier a d’ailleurs indiqué que les partis d’opposition acceptaient cette nomination dans la mesure où elle respectait la Constitution et le système parlementaire, ajoutant :
“Pour nous, cela représente un défi et nous devons travailler en vue des prochaines élections.”
Reste que cette nomination revient à invalider le choix fait par les électeurs, en 2018, de sanctionner l’Umno – raison pour laquelle elle ne passera pas bien auprès de la population, selon l’analyste Oh Ei Sun, de l’Institut de relations internationales de Singapour. Cette ombre, explique le journal, risque de planer sur le nouveau gouvernement, par ailleurs confronté au défi de diriger le pays avec une courte majorité de quatre sièges au Parlement. Sans compter le Covid-19, qui continue de peser lourdement sur le système de santé et l’économie. Le 20 août, le record de 23 000 cas quotidien a été atteint. Quant à la croissance, la banque centrale a baissé ses prévisions pour cette année, les fixant à 3-4 % plutôt qu’à 6-7,5 %.
Pour réussir, le nouveau Premier ministre doit renforcer ses relations avec les membres de son parti et s’attirer les faveurs de l’opposition, estime Sivamurugan Pandian, un analyste de l’université des sciences de Malaisie consulté par Nikkei Asia. Ismail Sabri “devrait envisager de travailler avec Anwar Ibrahim, non seulement pour mettre en place le plan de relance [pour répondre à la crise du Covid], mais aussi pour s’assurer une base de soutien suffisante si un vote de confiance a lieu.” Et ainsi éviter le sort de son prédécesseur.
Face à la crise, la nécessité d’une trêve politique
Même son de cloche dans le New Straits Times, sous la plume du commentateur et scénariste Rohiman Haroon. Ce dernier appelle également le nouveau Premier ministre à travailler avec l’opposition, condition essentielle à ses yeux pour regagner la confiance des Malaisiens “La vie n’est pas facile pour un grand nombre d’entre nous, confrontés à la perte de leur emploi et à une perte de revenus liée à la pandémie, sans parler de l’augmentation du nombre de cas et de décès.” Le gouvernement devra donc faire “un effort herculéen pour normaliser la situation.”
En outre, “le peuple est fatigué des jeux politiques”, insiste l’auteur. Il est donc essentiel que le gouvernement s’applique à assurer une réconciliation avec l’opposition pour mettre un terme aux désaccords qui durent depuis les dernières élections.
Un appel à travailler avec l’opposition également lancé par deux groupes d’intérêts économiques, rapporte le site Malay Mail. Selon la Chambre de commerce sino-malaisienne et Dewan Perdagangan Islam Malaysia, il est essentiel que les partis arrivent à un accord pour soutenir le gouvernement durant un minimum de douze à dix-huit mois pour assurer la mise en place et l’efficacité des politiques. L’absence de stabilité pourrait causer de lourds préjudices au pays et l’empêcher de sortir de la crise liée à la pandémie, arguent les deux lobbys.
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