La même pièce, les mêmes rôles, les mêmes scènes. Depuis plus d’un an, le pouvoir exécutif rejoue indéfiniment les trois actes de sa gestion erratique de la crise sanitaire. D’abord, la montée dramatique : Emmanuel Macron s’apprête à prendre la parole, personne ou presque ne sait ce qu’il va annoncer. S’ensuivent quelques jours de flottement et de supputations de couloir qui plantent le décor. Puis, le chef de l’État s’exprime enfin. Il fait part des décisions qu’il a prises quelques heures plus tôt dans le huis clos du conseil de défense.
Des choix assénés sur le ton de l’évidence qu’apprécient tant ceux qui savent pour les autres. Des choix collectivisés derrière un « nous » de façade, mais qui sont en réalité arrêtés par un seul homme, sans concertation ni débat, alors même qu’ils engagent le quotidien de millions de Français. Des choix qui précipitent le troisième et dernier acte : celui de la confusion et du bricolage. Apparaissent alors les membres du gouvernement et de la majorité, contraints de sortir d’immenses pagaies pour ramer derrière la parole présidentielle.
C’est à ce moment-là que surgissent les contradictions et les exceptions à la règle. Elles sont inévitables lorsqu’une décision est prise à la va-vite, sans que ses conséquences ne soient pleinement mesurées. Cette fois-ci, il s’agit d’une « souplesse » qu’Emmanuel Macron a finalement accordée aux adolescents qui ne sont pas vaccinés, 24 heures seulement après leur avoir expliqué, face caméra, qu’ils seraient eux aussi contraints de présenter un passe sanitaire pour accéder à partir de « début août » aux cafés, bars et restaurants.
Depuis lundi soir, et comme après chaque allocution du chef de l’État, les questions s’accumulent. Elles s’accompagnent des explications bégayantes du porte-parole du gouvernement, en charge du service après-vente de mesures qu’il a lui-même découvertes sur le tard. Mardi matin, après avoir assuré sur Europe 1 que l’obligation vaccinale s’appliquait « aux Français qui travaillent dans des établissements qui reçoivent du public », Gabriel Attal a ainsi eu le plus grand mal à justifier qu’elle ne concerne pas les forces de l’ordre.
Le sujet n’a échappé à personne. « Contradictions, aberrations : les décisions de #Macron sentent l’abus de pouvoir et la discrimination sociale. Exemple : le #PassSanitaire obligatoire sera vérifié par des policiers non vaccinés. Bienvenue en absurdie. Le pays n’est ni protégé ni organisé pour la 4e vague », a ainsi tweeté le chef de file de La France insoumise (LFI), Jean-Luc Mélenchon. L’« absurdie » est telle qu’au sein même de la majorité, certain·e·s député·e·s confient ne plus savoir comment ils ou elles s’appellent. Une fois encore, les macronistes se retrouvent à défendre des choix auxquels ils s’opposaient il y a peu.
C’est notamment le cas de l’extension du passe sanitaire aux activités sociales. Le président de la République l’avait promis fin avril : « Le passe sanitaire ne sera jamais un droit d’accès qui différencie les Français. Il ne saurait être obligatoire pour accéder aux lieux de la vie de tous les jours comme les restaurants, théâtres et cinémas, ou pour aller chez des amis. » C’était, à en croire le ministre des solidarités et de la santé, Olivier Véran, une « opposition de principe ». Impossible d’avoir « une société à deux vitesses », avait aussi prévenu le secrétaire d’État en charge des affaires européennes, Clément Beaune.
La méthode d’Emmanuel Macron est désormais rodée. Elle consiste à lâcher d’en haut des décisions, sans se soucier des promesses passées et en laissant aux autres le soin de faire avec. Depuis quatre ans, toutes les tares de la Ve République et de son ultraprésidentialisme sont ainsi exacerbées sous nos yeux : le Parlement n’est pas consulté en amont, les collectivités locales sont à peine écoutées, les ministres sont mis dans la confidence à la dernière minute et chacun est placé devant le fait du prince accompli.
Le président de la République continue d’asséner ses certitudes et de pointer les responsabilités des uns et des autres, en se dédouanant des siennes.
Si l’allocution de lundi était à bien des égards sibylline, sa lecture entre les lignes permet de dessiner une image assez nette de la façon dont le chef de l’État exerce le pouvoir et entend aborder la présidentielle de 2022. Sous couvert de discussion, il impose ses vues. Un exemple parmi tant d’autres : quand il évoque la nécessité « de préparer collectivement notre avenir » à partir de septembre, il explique qu’« il nous faudra en débattre de manière apaisée et démocratique », avant de prévenir dans la foulée : « Il nous faudra aussi prendre des décisions. »
Comprendre : parlons-en tranquillement si vous le souhaitez, mais à la fin, le choix me reviendra d’autorité. C’est comme ça et pas autrement. Même chose pour la réforme de l’assurance-chômage, dont le sort dépend encore de l’avis sur le fond du Conseil d’État : elle sera, a indiqué Emmanuel Macron, « pleinement mise en œuvre dès le 1er octobre ». C’est comme ça et pas autrement. Même chose aussi pour le recul de l’âge de départ à la retraite qu’il avait promis de ne pas instaurer : il est désormais inévitable. C’est comme ça et pas autrement.
Le président de la République continue d’asséner ses certitudes et de pointer les responsabilités des uns et des autres, en se dédouanant des siennes. Après avoir mis en cause les élus locaux et les services administratifs, il vise aujourd’hui les personnes non vaccinées, qu’il accuse de manquer de « civisme ». À celles-ci, il ne fera aucun cadeau. Un tweet du ministre délégué aux transports Jean-Baptiste Djebbari résume assez bien l’idée : « Ceux qui sont vaccinés ont fait leur part. Objectif : leur faciliter la vie. » En compliquant celle des récalcitrants.
Les soutiens du chef de l’État pourront toujours arguer qu’il n’y avait pas d’autre solution. « Les Français attendaient ce petit coup de pression », plaidera même Christophe Castaner. Mais cette méthode porte surtout la marque d’un pouvoir solitaire et précaire. « Il y a quelques jours, le gouvernement nous incitait à partir en vacances. Aujourd’hui, il adopte une communication de crise. La société est déboussolée, fragilisée, elle admet des limites aux libertés individuelles au nom d’un intérêt supérieur, sans qu’il y ait eu de débat public », soulignait récemment le professeur d’éthique Emmanuel Hirsch.
En balayant les critiques, en dictant ses choix et en reniant ses promesses, Emmanuel Macron a réduit le champ des possibles et a fortiori celui du débat démocratique. « J’ai confiance en vous », a-t-il affirmé lundi soir. Mais la réciproque n’est plus vraie depuis fort longtemps, comme le rappelait à l’automne dernier l’ancien directeur général de la santé William Dab. Et c’est précisément pour cette raison que le président de la République se retrouve aujourd’hui au pied du mur. Avec, pour seuls outils, la contrainte et le bâton.
Ellen Salvi