Dimanche soir, dans le Val-de-Marne, la tristesse le disputait à la colère. « C’est catastrophique de voir, en pleine crise sociale, le département passer à droite », soufflait, aux alentours de minuit, l’écologiste Annie Lahmer. « C’est une déception, reconnaissait, lui aussi tard dans la nuit, Fabien Guillaud-Bataille, chef de file du Parti communiste français (PCF) dans le 94. Plus tard, il y aura un débat ardu sur l’interprétation que l’on peut donner à ce scrutin. Mais, pour l’heure, les camarades sont meurtris et tristes, ce n’est pas la peine de rajouter de l’huile sur le feu. »
Dans la soirée, les résultats des élections départementales sont tombés comme une lame : la droite l’a emporté dans les trois cantons à enjeux, scellant par là même le sort du Parti communiste français, qui régnait depuis près d’un demi-siècle sur ce département de 1,4 million d’habitants.
Outre la défaite à Choisy-le-Roi, la déroute sur les deux cantons de Champigny-sur-Marne, dont celui où se présentait le président du conseil départemental PCF sortant, Christian Favier, laisse un goût amer : la bataille contre la droite dans l’entre-deux-tours y a été homérique, toutes les forces des militants se sont mobilisées avec ardeur. En vain.
« C’est très dur, on est groggy, soupire la sénatrice communiste du Val-de-Marne, Laurence Cohen. Il va falloir comprendre pourquoi les politiques publiques solidaires de Christian Favier n’ont pas suscité de mobilisation, pourquoi les gens qui ont pourtant le plus besoin des politiques sociales ne se sont pas déplacés dans les isoloirs [l’abstention a frôlé les 70 % sur le département – ndlr]. C’est eux qui vont payer le prix de ce scrutin quasi censitaire. La droite a d’ailleurs déjà annoncé qu’elle allait remettre en cause le RSA. »
Jeudi matin, le « troisième tour » destiné à élire le nouveau président du conseil départemental devrait voir sacré le maire de Maisons-Alfort, Olivier Capitanio, lequel gardera les clés du 94 pour au moins sept ans. Les législatives étant organisées dans six ans, les élections territoriales devraient être reportées d’un an, au printemps 2028.
Pendant ce temps, le PCF ne pourra plus compter que sur dix conseillers départementaux d’opposition qui siégeront dans l’hémicycle de Créteil à côté de ceux du Parti socialiste (PS), qui en conserve six, et de trois écologistes.
À gauche, on promet une opposition « de combat ». « Je souhaite que les élus sortants, qui ont l’expérience, se battent contre la nouvelle majorité », avance Jonathan Kienzlen, le premier secrétaire fédéral du PS, lequel compte bien tirer son épingle du jeu dans les rapports de force internes à la gauche départementale. « Il va falloir défendre les habitants, ajoute Fabien Guillaud-Bataille. Ce qui est devant nous, c’est une reconquête populaire plus que stratégique et électorale. »
Mais dans un contexte local marqué par les divisions et les rancœurs interpersonnelles à gauche et le changement sociologique d’un département qui s’est gentrifié au cours des années, la « reconquête » ne sera pas une sinécure. « Ça va être très dur, souligne Thomas Kekenbosch, élu municipal Génération·s à Cachan. Les sections communistes risquent de subir le choc, et on ne reconstruit pas la gauche à partir d’un champ de ruines… Il faudra du temps et, sans doute, une dynamique nouvelle. »
Le PCF perd son dernier bijou départemental – après avoir cédé la Seine-Saint-Denis au PS en 2008, puis l’Allier à la droite en 2015 –, et avec lui son influence et ses subsides matériels. Comment le parti de Thorez en est-il arrivé là ? « Il faut dire que la droite progresse depuis des années partout en région parisienne. À chaque fois, on a gardé le département, mais c’était ric-rac », rappelle le député PCF de la Seine-Saint-Denis voisine Stéphane Peu.
En 2015 déjà, la gauche, minoritaire en voix dans le département, était passée de justesse, sauvée par le découpage électoral. Par la suite, la situation a été de mal en pis. Les municipales de 2020 ont été un coup de semonce, avec pas moins de quatre villes rouges (sur dix) dans le 94 tombées entre les mains de maires Les Républicains (LR) ou divers droite. Adieu Valenton (dite « le petit Kremlin »), Villeneuve-Saint-Georges, Champigny-sur-Marne (la ville où Georges Marchais repose) et Choisy-le-Roi, que le PCF gouvernait depuis l’après-guerre… Autant de communes où les cantons ont basculé de gauche à droite dimanche, et la victoire sur le canton en ballotage d’Orly n’a pas suffi.
Une campagne « pourrie et violente »
Une offensive menée tambour battant par la présidente de la région Île-de-France, Valérie Pécresse, qui n’a pas lésiné sur les coups, y compris les plus bas, pendant la campagne : accusations sans preuve des sortants sur leur pseudo-problème avec la « République », tracts diffamatoires, arrachage des affiches de la gauche sur les panneaux électoraux la veille du week-end du vote… Une campagne « pourrie et violente », selon les mots d’Annie Lahmer. À Choisy, certains soupçonnent même l’existence de magouilles dans certains bureaux de vote.
Un panneau électoral à Joinville-Le-Pont. © DR
Du côté de la gauche aussi, tout n’a pas été un long fleuve tranquille. Sur fond de guerre larvée entre communistes et une partie des écologistes, mais aussi au sein des communistes entre eux – des tensions qui ont donné lieu à un véritable schisme lors des dernières municipales à Vitry-sur-Seine, la plus grande ville du département –, aucun accord départemental n’a permis de faire rempart à la montée en puissance de la droite. Au bout du compte, c’est une carte électorale aux airs de puzzle incohérent qui s’est installée dans le département, avec des alliances à géométrie variable dans des dizaines de cantons.
« Comment voulez-vous que les électeurs y comprennent quelque chose ? », interroge aujourd’hui Laurence Cohen, qui juge que les écologistes de la fédération val-de-marnaise, en conquête sur le département et qui ont refusé, de fait, des unions dans certains cantons, « n’ont pas de boussole ».
Si le moment des règlements de comptes n’est pas (encore) venu, il pourrait arriver néanmoins bien vite. « Il y aura des choses à dire sur le fait qu’une part des Verts a fait le pari de se renforcer plutôt que de faire gagner la gauche », avertit le communiste Fabien Guillaud-Bataille. « L’écologie progresse dans le Val-de-Marne et c’est une bonne chose, et un espoir pour les prochaines années. Mais cela ne signifie pas que nous [les écologistes – ndlr] pourrions reprendre le département seuls contre le reste de la gauche. Nous devons travailler ensemble », souligne Thomas Kekenbosch, qui a poussé pour une large union avant le premier tour.
Place du Colonel-Fabien, à Paris, où la secousse du cataclysme val-de-marnais se fera sans aucun doute sentir aux prochaines législatives et aux sénatoriales, on tente de positiver. Certes, la bérézina du 94, après la perte de Saint-Denis, la ville symbole du 93 l’an dernier, est « douloureuse », a reconnu Fabien Roussel, secrétaire général du PCF et candidat à la présidentielle.
On se rassure toutefois avec les quelques bonnes nouvelles du scrutin de dimanche : le doublement du nombre de conseillers régionaux sur toute la France, grâce aux listes d’union de la gauche, mais aussi l’entrée d’élus communistes dans dix-sept conseils départementaux. Ou encore les victoires de communistes dans certains cantons du Pas-de-Calais contre le Rassemblement national. Preuve que le PCF n’aurait pas encore dit son dernier mot.
Pauline Graulle