Des regards admiratifs se portaient sur des pays comme l’Australie, où le traitement des réfugiés et des demandeurs d’asile est une tâche confiée, avec des incitations financières, à des pays tiers (on pense notamment à la Papouasie-Nouvelle-Guinée et à Nauru). Les politiciens danois, notamment un bon nombre de sociaux-démocrates, ont rêvé de faire la même chose avec les pays d’Afrique, revenant ainsi à ce schéma habituel qui consiste à faire assumer à des Etats plus pauvres ces tâches.
Le gouvernement de Mette Frederiksen [première ministre en fonction depuis juin 2019, membre du Parti social-démocrate et présidente de ce parti depuis 2015] a maintenant obtenu des amendements à la loi danoise sur les étrangers qui autorisent le transfert des demandeurs d’asile vers d’autres pays pendant le traitement de leur demande. Ces mesures ont été obtenues le 3 juin par un vote de 70 contre 24, bien que les critiques doivent certainement considérer l’absence de 85 députés comme révélatrice. La mesure n’est pas automatique : le gouvernement danois devra obtenir (ou soudoyer) l’accord des Etats tiers pour assumer leur part.
Le porte-parole du gouvernement, Rasmus Stoklund [membre du Parti social-démocrate], a laissé planer peu de doutes quant aux implications de la nouvelle loi. « Si vous demandez l’asile au Danemark, vous savez que vous serez renvoyé dans un pays hors d’Europe, et nous espérons donc que les gens cesseront de demander l’asile au Danemark. »
L’avertissement de Rasmus Stoklund évoque des similitudes avec la campagne de découragement de l’Australie, marquée par un effort coûteux comprenant des instruments brutaux tels que la vidéo No Way. You Will Not Make Australia Home. Dans cette vidéo, le lieutenant-général Angus Campbell – qui dirigeait à l’époque les efforts déployés par l’Australie pour repousser les arrivées par mer, connus sous le nom d’opération « Frontières souveraines » – lance la sévère menace : « si vous voyagez en bateau sans visa, vous ne serez jamais chez vous en Australie ». Parmi les autres « merveilles », citons un roman graphique, traduit en 18 langues différentes, qui promet traumatisme et souffrance à ceux qui se retrouvent dans un centre de détention du Pacifique. S’y ajoute le long métrage Journey, dans lequel une mère iranienne et son enfant cherchent refuge en Australie. Le bras armé de la propagande danoise devra faire des efforts pour se mettre à niveau.
Qui sont donc les pays tiers candidats à cette sous-traitance ? Le Danemark a déjà conclu un protocole d’accord avec le gouvernement rwandais qui couvre la migration, l’asile, le retour et le rapatriement. Son objectif est de viser un système d’asile qui inciterait « les enfants, les femmes et les hommes à s’embarquer dans des voyages dangereux le long des routes migratoires, tandis que les trafiquants d’êtres humains gagnent des fortunes ». Lors de son élaboration, le directeur Europe d’Amnesty International, Nils Muižnieks, a vu juste en la qualifiant de « déraisonnable » et même de « potentiellement illégale ». Mais pour le Rwanda, tout comme pour les Etats insulaires du Pacifique tels que Nauru, il y a de l’argent à gagner. Ces pays remplacent effectivement les passeurs diabolisés par des trafiquants et des intermédiaires cette fois agréés.
La réaction à cette législation de la part de ceux qui défendent les réfugiés et le droit d’asile a été semblable en termes de colère et de consternation. Filippo Grandi, le Haut-Commissaire des Nations Unies pour les réfugiés, a exprimé sa vive opposition aux « efforts qui cherchent à externaliser ou à sous-traiter les obligations en matière d’asile et de protection internationale à d’autres pays ».
Le porte-parole du HCR, Babar Balloch, n’a pu que souligner que cette législation était « contraire à la lettre et à l’esprit de la Convention de 1951 sur les réfugiés ». Les mesures visant à externaliser « le traitement des demandes d’asile et la protection des réfugiés vers un pays tiers… risquent sérieusement d’enclencher un processus d’érosion progressive du système de protection internationale, qui a résisté à l’épreuve du temps au cours des 70 dernières années ».
Babar Balloch n’est manifestement pas aussi vigilant qu’il le pense. En effet, ceux qui souhaitent externaliser de telles obligations ont bel et bien déjà mis ce train en marche. Le sommet européen de 2018 est allé jusqu’à débattre de la construction de centres de traitement offshore au Maroc, en Algérie et en Libye pour bloquer les voies d’arrivée via la Méditerranée. Le gouvernement britannique caresse également l’idée d’un système d’asile offshore.
Bill Frelick, de la division des droits des réfugié·e·s et des migrant·e·s de Human Rights Watch, résume le principe pertinent qui est sacrifié. « En envoyant les gens dans un pays tiers, ce que vous faites essentiellement, c’est de se saisir d’un droit légal et d’en faire l’objet d’un choix politique discrétionnaire. » Il s’agit d’une politique de plus en plus attrayante, bien que monstrueuse, pour les pays plus riches qui n’ont guère envie de partager les charges liées au traitement des demandes dans le cadre du Pacte mondial pour les réfugiés du HCR.
Malheureusement pour Bill Frelkick et ses semblables, le gouvernement danois fait preuve d’une cohérence qui dérive de ses choix antérieurs. Il s’est retiré du système d’asile européen depuis les années 2000, contribuant ainsi à fragmenter une approche déjà incohérente au sein de ce bloc. Le gouvernement de centre-droit d’Anders Fogh Rasmussen [premier ministre de 2001 à 2009, puis secrétaire général de l’OTAN de 2009 à 2014], à titre d’exemple, était fier de réduire le nombre de demandeurs d’asile et de personnes souhaitant s’installer au Danemark. En 2004, 1607 personnes ont obtenu l’asile, contre 6263 trois ans auparavant.
L’approche du gouvernement actuel consiste à nier le droit même de demander l’asile au Danemark, cela avec l’aide de pays tiers. Et il n’y a plus grand-chose à faire, étant donné que le pays n’a reçu que 1515 demandes d’asile en 2020, soit le chiffre le plus bas depuis deux décennies. Parmi celles-ci, 601 ont reçu un permis de séjour.
Comme toujours dans ce genre de situation, l’exemple australien fait référence. Le droit d’asile disparaît devant les efforts des bureaucrates et des populistes qui ferment les frontières. La Convention des Nations unies sur les réfugiés, comme d’autres documents relatifs aux libertés et aux droits, est en train de devenir une simple relique. ()
Binoy Kampmark