La Chine se rapproche de la junte
La Chine s’est rapprochée de plus en plus de la reconnaissance du régime militaire du Myanmar, après avoir évité de choisir explicitement un camp dans la crise politique.
Samedi 5 juin, le chef de la junte, Min Aung Hlaing, et son ministre des Affaires étrangères, Wunna Maung Lwin, ont rencontré l’ambassadeur de Chine, Chen Hai. Cela a suscité une nouvelle controverse lorsque le communiqué de l’ambassade de Chine sur Facebook a qualifié ce général de haut rang comme étant le « chef du Myanmar ». Dans un article publié dimanche 6 juin par le Global Times, un média d’Etat chinois, un glissement similaire a été fait dans le langage utilisé : Min Aung Hlaing était présenté comme le « dirigeant du Myanmar ». La section des commentaires de l’article a naturellement été inondée de messages de colère d’internautes du Myanmar qui ne considèrent pas du tout Min Aung Hlaing comme « leur leader ». « C’est tout à fait dégoûtant à constater. Le PCC s’efforce de légitimer le chef terroriste Min Aung Hlaing pour assurer ses intérêts commerciaux », a écrit un intervenant. Wunna Maung Lwin a ensuite assisté à une réunion spéciale des ministres des Affaires étrangères de l’ASEAN et de la Chine à Chongqing [sud-ouest de la Chine], où il a également pris part à une réunion de l’instrument multilatéral de coopération, créé en 2016 : le Mékong-Lancang [il réunit les cinq pays riverains du fleuve Mékong – le Lancang étant la partie du Mékong qui traverse la Chine – et la Chine : soit le Laos, le Cambodge, le Myanmar, le Vietnam et la Thaïlande]. De plus, Wunna Maung Lwin eu un rendez-vous informel, en tête-à-tête, avec le ministre chinois des affaires étrangères, Wang Yi.
Selon le journal d’Etat birman Global New Light of Myanmar, les deux hommes ont discuté de « l’avancement des relations étroites existantes entre les deux pays » et de « la mise en œuvre de projets bilatéraux entre le Myanmar et la Chine ». Cela renforce l’idée selon laquelle la junte aurait accepté d’accroître les projets de développement chinois au Myanmar en échange d’un soutien politique. « Ils ont également discuté d’une collaboration plus étroite entre les deux pays dans les contextes régionaux et multilatéraux, en particulier au sein de l’ASEAN et des Nations unies », poursuit l’article, qui fait probablement référence à la Chine protégeant le Myanmar de toute conséquence ou pression internationale due au coup d’Etat. Selon le Global New Light of Myanmar, les deux ministres ont discuté du rôle de l’ASEAN dans la résolution des « développements politiques » au Myanmar, en mettant l’accent sur la « non-ingérence ».
Entre-temps, Wang Yi a assuré son homologue birman que la Chine soutiendra toujours le Myanmar dans les choix liés à sa propre voie de développement et que les relations amicales entre les deux pays n’ont pas été affectées par les récents développements. Bien sûr, le Myanmar n’a pas choisi cette voie. Une poignée de généraux l’ont fait aux dépens de millions de personnes, qui, elles, ont catégoriquement rejeté le régime militaire. Lors de la réunion du Mékong-Lancang avec d’autres ministres des Affaires étrangères de la région du Mékong, l’instrument coopératif a approuvé 22 projets d’une valeur de 8 millions de dollars à mettre en œuvre au Myanmar, selon les médias d’État. Il n’est pas clair dans l’immédiat s’il s’agit des mêmes 22 projets déjà approuvés en 2020, pour lesquels la Chine a promis un financement de 6,7 millions de dollars.
« Le gouvernement chinois devrait prendre note du fait que le Conseil administratif d’Etat établi par Min Aung Hlaing ne représente pas le peuple du Myanmar, et que les efforts visant à le légitimer en tant que gouvernement du Myanmar risquent de compromettre les relations mutuelles entre les deux pays », a averti, dans un communiqué, le Gouvernement d’unité nationale.
Accusations de corruption
La conseillère d’Etat destituée Aung San Suu Kyi a été inculpée de corruption mercredi 9 juin, ce qui porte à sept le nombre d’infractions présumées. La seule véritable surprise réside dans le fait qu’il ait fallu attendre si longtemps pour que l’accusation soit annoncée, étant donné que la junte a commencé à mettre en avant cette histoire de corruption dès le mois de mars.
Aung San Suu Kyi a été inculpée en vertu de l’article 55 de la loi anticorruption, suite à des allégations selon lesquelles elle aurait accepté des pots-de-vin et loué des terrains publics à prix réduit à Yangon et à Nay Pyi Taw pour la Fondation Daw Khin Kyi, une organisation caritative créée au nom de sa mère. Elle risque jusqu’à 15 ans de prison, ce qui n’est qu’une simple formalité à ce stade, étant donné que les six autres chefs d’accusation retenus contre cette femme de 75 ans lui vaudraient de toute façon de passer le reste de sa vie en prison.
Myo Aung, président destitué du Conseil, et son adjoint Ye Min Oo ainsi que Min Thu, membre destitué du Comité de développement, ont également été inculpés en vertu de l’article 55. Ils sont tous accusés d’avoir facilité les actes présumés de corruption d’Aung San Suu Kyi.
Aung San Suu Kyi, le président destitué de la République Win Myint et Myo Aung ont tous comparu devant le tribunal lundi 7 juin pour discuter de la procédure du jugement dans le cadre d’une audience distincte portant sur les cinq chefs d’accusation retenus contre la conseillère d’Etat. Le juge a décidé que les audiences devraient être terminées dans un délai de 180 jours car il s’agit d’« affaires simples ». Pour la plupart des gens, elles sont simples dans le sens où elles sont manifestement motivées par des raisons politiques et devraient être rejetées immédiatement. Mais nous soupçonnons que les tribunaux contrôlés par la junte ne seront pas du même avis.
Quoi qu’il en soit, il semble que la procédure va maintenant s’accélérer, les audiences devant se tenir deux fois par semaine, le lundi et le mardi. Lundi prochain, le tribunal commencera à entendre le plaignant dans l’affaire contre Aung San Suu Kyi, Win Myint et Myo Aung. Il semble que la période de 180 jours commence en février, puisque son avocat, Khin Maung Zaw, a déclaré que l’accusation présentera ses derniers arguments d’ici le 28 juin, tandis que la défense doit présenter ses derniers arguments d’ici le 26 juin.
Pour rappel, Aung San Suu Kyi doit répondre d’une accusation en vertu de la section 67 de la loi sur les télécommunications (pour possession et utilisation de talkies-walkies sans licence), d’une accusation en vertu de la loi sur l’importation et l’exportation (pour importation illégale de talkies-walkies), de deux accusations en vertu de la section 25 de la loi sur la gestion des catastrophes naturelles (pour violation présumée des règles de la campagne électorale) et d’une accusation d’incitation en vertu de la section 505(b) du Code pénal. Une accusation plus grave (outre la nouvelle accusation de corruption) en vertu de la section 3(1)(c) de la loi sur les secrets officiels est examinée séparément par la Cour suprême, l’audience étant prévue pour le 23 juin.
Un avion s’écrase et brûle
Un avion militaire s’est écrasé jeudi dans le canton de Pyin Oo Lwin, dans la région de Mandalay, bien que les rapports sur l’incident soient encore contradictoires. La télévision militaire a rapporté que 12 personnes ont été tuées et deux ont survécu, tandis que d’autres rapports ont affirmé que 13 des 14 passagers ont été tués. Selon The Irrawaddy, deux moines, cinq officiers militaires et cinq bienfaiteurs (de la junte) ont été tués lorsque l’avion s’est écrasé à 8 heures du matin lors de son atterrissage après avoir quitté Nay Pyi Taw (la capitale). D’autres médias ont indiqué que six militaires avaient été tués.
Le moine nationaliste Bhatanda Kavisara, qui prévoyait de visiter un monastère en construction, est la victime la plus importante. Selon The Irrawaddy, le moine était proche des dirigeants militaires depuis l’époque du précédent dictateur Than Shwe. Mizzima et d’autres médias ont rapporté qu’il avait été le premier moine à recevoir Min Aung Hlaing après le coup d’Etat, le rencontrant le 2 février.
The Irrawaddy a déclaré qu’un sergent et l’enfant d’un des bienfaiteurs avaient survécu, mais Myanmar Now a rapporté que l’enfant était le seul survivant, et que les victimes comprenaient deux majors, deux capitaines et deux sergents, tandis que les civils étaient l’homme d’affaires Win Ko Ko, sa femme et leur autre fils.
Le communiqué militaire n’a pas révélé la cause du crash, se contentant de dire que l’avion avait perdu le contact avec le contrôle du trafic aérien avant l’accident. L’avion était un Beechcraft 1900D, le même modèle qui s’est écrasé en 2016, tuant également des militaires. Un résident qui vit près de l’aéroport a déclaré à RFA Burmese (radio) que l’avion avait atterri sur le « mauvais terrain ». Il a déclaré que les « moteurs fonctionnaient bien ». Un autre résident a déclaré qu’une « vibration semblable à un tremblement de terre a été ressentie », ainsi qu’une forte explosion. Peu après le crash, le site a été fermé par les forces de sécurité tandis que les secouristes commençaient à ramasser les débris et les corps.
En temps normal, cet accident serait considéré comme une tragédie, mais beaucoup ont semblé le célébrer – à la fois parce qu’il a tué des militaires et parce qu’il a les caractéristiques d’un mauvais présage, qui pourrait ébranler les dirigeants militaires superstitieux.
Le GUN en difficulté à Rakhine
La promesse du Gouvernement d’unité nationale (GUN) de reconnaître la citoyenneté des Rohingyas a déclenché une réaction brutale dans l’Etat de Rakhine, soulignant la délicatesse de la position du gouvernement parallèle qui tente d’obtenir à la fois le soutien international et la solidarité ethnique.
Pe Than, un haut responsable de l’influent Parti national Arakan (ANP), a critiqué la décision d’accepter les Rohingyas et d’abolir la loi sur la citoyenneté, la qualifiant de « mesures précipitées ». Il a déclaré que cette décision n’était « pas une solution viable pour l’Etat de Rakhine » et qu’elle « ferait probablement plus de mal que de bien ». Un porte-parole du groupe armé (très) minoritaire, le Parti de libération de l’Arakan (ALP), a également critiqué la décision, accusant le GUN de « laisser de côté les dirigeants rakhines » dans sa prise de décision. « Ils doivent consulter les dirigeants rakhines, les organisations révolutionnaires rakhines et les groupes de la société civile rakhine s’ils veulent toucher à la question bengalie » [c’est–à–dire des Rohingyas], a déclaré un porte-parole du groupe armé à RFA Burmese, en utilisant un terme péjoratif pour désigner les Rohingyas.
Bien que signataire de l’accord de cessez-le-feu à l’échelle nationale, l’ALP dispose de peu de soldats et de peu de capital politique. L’ANP, en revanche, est le parti politique le plus populaire de l’Etat et a beaucoup d’influence. Pourtant, le parti collabore avec la junte depuis le coup d’Etat et, bien que ses dirigeants aient récemment déclaré qu’ils reconsidéreraient leur implication dans le régime, il n’a pas officiellement mis fin à cette relation. Il est donc un peu exagéré pour les principaux acteurs (politique et militaire) de l’Etat de Rakhine de s’attendre à ce que le GUN se plie à leurs caprices, alors que la plupart se sont rangés du côté de la junte ou sont restés neutres.
Etant donné que le pays se dirige vers une révolution armée plutôt que vers une nouvelle élection, la plupart attendent de voir ce que pense le groupe armé le plus puissant, l’armée d’Arakan (AA). L’AA, qui a affirmé respecter la liberté de religion, a évité la question des Rohingyas ces dernières années. Elle continuera probablement à maintenir un certain niveau d’ambiguïté afin d’éviter de ternir sa réputation sur le plan international ou national. Sur le terrain, cependant, l’hypernationalisme rakhine qu’il a suscité ces dernières années risque de rendre la réconciliation avec les Rohingyas beaucoup plus difficile.
Le ministre des droits de l’homme du GUN, Aung Myo Min, a répondu à cette réaction lors d’une conférence de presse vendredi 4 juin, conférence que la plupart des habitants du Myanmar n’ont pas pu suivre en direct car la junte a coupé l’Internet.
« La reconnaissance des Rohingyas n’est pas une insulte pour les habitants de Rakhine », a déclaré Aung Myo Min, en restant sur ses positions. Il a ajouté que « l’octroi de droits » aux Rohingyas ne devait pas être « considéré comme une menace » et que l’intention du GUN était « d’accorder à chaque citoyen une chance de vivre et une sécurité maximale ». Faisant référence à la loi sur la citoyenneté de 1982, oppressive et souvent critiquée, il a déclaré que la citoyenneté ne serait « pas fondée sur des pratiques discriminatoires ou sur l’ethnicité ».
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