La population de l’ancienne colonie britannique, rétrocédée à la Chine en 1997, vient de perdre en quelques mois tout espoir d’expression démocratique, sous la poigne de fer de Xi Jinping.
En moins d’un an, la vie des Hongkongais, qui défendaient vaille que vaille leurs droits démocratiques depuis la rétrocession à la Chine par les Britanniques en 1997, a basculé. La loi d’airain du Parti communiste chinois s’abat désormais sans filtre sur eux depuis la promulgation de la loi sur la sécurité nationale en juillet 2020.
Alexandra Turcat : Pensez-vous qu’une remise au pas aussi radicale que celle que traverse Hong Kong en ce moment pouvait être anticipée ?
Eric Florence :
Je ne pense pas qu’on aurait pu imaginer quelque chose d’aussi rapide que ce qu’on voit depuis juillet 2020 et l’introduction de la loi de sécurité nationale. Mais il y a eu un certain nombre de jalons qui montraient progressivement une intervention plus importante du gouvernement central dans la politique hongkongaise.
– Le 1er juillet 2003, il y a eu la manifestation avec 500 000 personnes dans la rue, déjà contre l’article 23 et un projet de loi de sécurité nationale par l’exécutif hongkongais : il a été abandonné après cette mobilisation.
– Ensuite en 2010 – 2011, nouvelle mobilisation contre un projet de loi de réforme du curriculum des écoles en matière d’histoire mettant notamment l’accent sur le patriotisme.
Ces évènements ont à chaque fois été suivis aussi par des tentatives de reprise en main, mais beaucoup moins directes et visibles qu’aujourd’hui.
– Cela va s’accélérer après les manifestations de 2014 et prendre une diversité de formes. « Occupy central with Love and peace » et le « mouvement des parapluies » se soldent par un échec pour les étudiants : le comité permanent de l’Assemblée nationale populaire de Chine va par exemple intervenir davantage directement dans la vie politique locale, imposant notamment des contraintes quant aux profils des personnes autorisées à participer aux élections…
Dans son discours du 1er juillet 2017 à Hong Kong, Xi Jinping déclare que « toute activité qui mettrait en danger la souveraineté et la sécurité nationale, qui défierait l’autorité du gouvernement et de la loi fondamentale de la région administrative spéciale […] » sera une « ligne rouge » à ne pas franchir sous peine de provoquer une réaction sans faille.
On peut penser que s’il n’y avait pas eu les manifestations massives de 2019, la loi de sécurité nationale aurait quand même été imposée à Hong Kong, mais peut-être de manière moins radicale.
Pour vous, la politique chinoise à Hong Kong est une application des lignes politiques choisies à l’échelle du pays et du parti ?
Eric Florence :
On voit avec le Xinjiang que le contrôle sur les marges fait l’objet d’un renforcement sans précédent.
Le cas de Hong Kong et de son statut est évidemment très différent de la question ouïghoure, mais cette reprise en main s’inscrit dans la logique de renforcement du contrôle du parti, avec une manière de gouverner de Xi Jinping beaucoup plus autoritaire dans tous les domaines.
À Hong Kong, le gouvernement prend des mesures pour appliquer la loi de sécurité nationale dans tous les domaines : éducation scolaire, universités, organisations sociales, médias, Internet… Jusqu’à la justice avec désormais des juges nommés pour un an, par des procédures de nomination spécifiques pour les cas relevant de la loi de sécurité nationale.
Reste-t-il encore des lieux d’expression ?
Eric Florence :
Évidemment, quand vous arrêtez d’un coup plus de cinquante personnes, figures majeures de la vie politique hongkongaise, comme le 6 janvier dernier, et qu’en plus la presse est touchée, qu’Internet commence à l’être aussi, cela crée un climat d’intimidation qui vise, sans même utiliser la loi, à faire bouger les lignes.
Quant à dire que toutes les voies de protestation, de résistance possibles sont asséchées, je n’irai pas jusque-là, mais les possibilités d’expression, de protestation ont été très fortement réduites. Les canaux institutionnels ont aussi été neutralisés : les dernières réformes du système électoral imposées le mois dernier réduisent dramatiquement une représentation politique déjà affaiblie.
Pensez-vous qu’après Hong Kong vient le tour de Taïwan ?
Eric Florence :
Xi Jinping insiste beaucoup sur la nécessité à terme de récupérer Taïwan, suggérant d’y appliquer une formule du genre « un pays, deux systèmes ». Après ce qui s’est passé à Hong Kong avec la loi de Sécurité nationale, si la formule était déjà fort peu séduisante pour les Taiwanais, elle l’est encore moins à présent.
Quel avenir pour la jeunesse hongkongaise ?
Eric Florence :
Ces dernières années les demandes de visas pour l’étranger, vers des pays européens – notamment le Royaume-Uni – ou encore l’Australie, la Nouvelle-Zélande, ou même Taïwan, ont été nombreuses et leur nombre a encore considérablement augmenté depuis l’introduction de la Loi de sécurité nationale.
La jeunesse, qui espérait encore en 2014, était depuis 2019 tout à fait désabusée sur l’espoir d’une hypothétique démocratisation du système. Avec la loi de sécurité nationale ça ne fait qu’aggraver une désillusion qui était déjà extrêmement profonde comme les manifestations de 2019 l’ont montré.
Outre l’impasse d’une émancipation politique devenue impossible, il y a une situation socio-économique très difficile : un coût très élevé de l’immobilier, des études supérieures chères aussi et en plus très compétitives. Et les jeunes ont des revenus très faibles par rapport au coût de la vie. C’est une situation très noire pour la jeunesse hongkongaise des classes ayant fait des études supérieures. Ils n’ont que très peu d’espoir de faire ce qu’on fait leurs parents, et un nombre croissant d’entre eux ne voit d’autre issue que l’expatriation
Éric Florence est chargé de cours à l’université de Liège, au département des langues orientales