« Cette vidéo risque d’être un petit peu tendancieuse, du point de vue de la possibilité qu’elle soit glissante et fascisante. » Dans une vidéo intitulée « Le gauchisme est-il pare-balles ? », diffusée dimanche 6 juin et supprimée lundi après-midi, le youtubeur d’extrême droite Papacito franchit une nouvelle limite. Il met en scène une exécution d’un électeur du parti de Jean-Luc Mélenchon avec un mannequin. Il explique aussi comment se procurer légalement des armes pour se « faire entendre » et se faire « respecter dans les moments où on remettra en doute vos convictions ».
Le parquet de Paris a ouvert, mercredi 9 juin, une enquête du chef de « provocation publique non suivie d’effet à la commission d’atteintes à la vie ou à l’intégrité des personnes ». Les investigations ont été confiées à la Brigade de répression de la délinquance contre la personne (BRDP).
Code Reinho et Papacito. Extrait de la vidéo du 6 juin 2021. Le youtubeur – « royaliste viril » autoproclamé qui prodigue ses conseils dans des vidéos – propose de « tester si le gauchisme est pare-balles ». Pour ce clip de près de 20 minutes, il s’est associé à un autre youtubeur d’extrême droite, Code Reinho, un ancien militaire qui propose des formations au maniement des armes. Les deux hommes apparaissent vêtus de treillis militaires et ont en main toute une panoplie d’armes – fusils, pistolets, épée, couteau. « On va voir si le matériel de base du mec qui vote Jean-Luc Mélenchon va lui permettre de résister à la potentielle attaque d’un terroriste sur notre territoire », explique Papacito.
Passant en revue, avec dérision, le contenu du sac à dos de l’électeur lambda de Jean-Luc Mélenchon, ils installent un mannequin revêtu du T-shirt orange « Je suis communiste ». « On a reconstitué un gauchiste, on va le tester avec du [calibre] douze. » Après avoir criblé de balles le mannequin, le youtubeur lâche : « Je suis pas sûr qu’il ait survécu. »
Papacito et Code Reinho. Extrait de la vidéo du 6 juin 2021.
Pour Jean-Luc Mélenchon, il s’agit d’un « appel au meurtre ». Lundi 7 juin après-midi, le dirigeant de La France insoumise – au cœur d’une polémique après ses propos, dimanche, liant terrorisme et élection présidentielle – a annoncé, lors d’une conférence de presse, plusieurs plaintes, de sa part comme de son parti. Il a dénoncé « le terrorisme intellectuel qui précède souvent le terrorisme physique » et indiqué avoir signalé la vidéo au commandant militaire du Palais-Bourbon ainsi qu’à Pharos (plateforme d’harmonisation, d’analyse, de recoupement et d’orientation des signalements).
La suite de la vidéo des deux youtubeurs d’extrême droite est édifiante. Évoquant les « petites tensions dans la société française », ils estiment qu’il faut « se préparer ». Les deux youtubeurs donnent le mode d’emploi pour se procurer des armes, via des permis de chasse. « L’idée aujourd’hui, c’est de vous expliquer comment on va parvenir à rentrer dans ce monde des chasseurs », explique Papacito. Il conseille de se rapprocher de la fédération des chasseurs dans son département et de s’inscrire à leurs formations « sur Internet » pour pouvoir légalement « posséder une arme de catégorie C ». « Déjà, c’est une assurance de vous faire respecter dans les moments où on remettra en doute vos convictions », argumente-t-il.
Code Reinho, chez qui la vidéo est tournée, présente ensuite une série d’armes auxquelles on pourrait accéder « avec un simple permis de chasser » : semi-automatique, calibre 12, 22 Long Rifle. Les youtubeurs passent ensuite en revue l’équipement. Parce que « la guerre, c’est aussi le style », insiste Papacito. Il préconise un treillis « tiger stripe », celui que portaient « les types qui allaient faire des crimes de guerre dans les villages vietnamiens dans le Mékong » ; un béret, parce que « Saddam en mettait un » ; un couteau Buck, qui « a fait sa réputation à l’époque quand il fallait pacifier l’Amérique » et « montr[er] aux Indiens les bienfaits de la civilisation occidentale » ; un gilet de combat.
Code Reinho et Papacito. Extrait de la vidéo du 6 juin 2021.
Papacito incite vivement les internautes à s’équiper via ces permis de chasse : « C’est vraiment 180 euros et un quiz de merde qui vous séparent de pouvoir accéder à l’assurance d’être entendu quand vous avez quelque chose à dire » ; « 150 balles pour se faire écouter, bah je trouve que c’est pas cher payé. »
Conscients de l’appel à la violence que constitue une telle vidéo, les deux activistes tentent à plusieurs reprises de se prémunir d’éventuelles poursuites ou censures. « Alors bien sûr, le but de cette vidéo n’est pas de vous engager à produire de la violence, elle est purement expérimentale », précise Papacito, qui évoque un but « éducatif et pédagogique ». « Nous voulons aider les gens qui ont des convictions qui ne sont pas forcément les nôtres à se préparer au moment où possiblement, étant donné qu’il y a des événements un petit peu particuliers dans notre pays, ça pourrait déraper », ironise-t-il. « C’est un test balistique extrêmement scientifique, extrêmement technique pour savoir si un équipement pratique d’un gauchiste lambda peut résister », indique aussi Code Reinho.
Lorsqu’à la fin de la vidéo Papacito s’acharne sur le mannequin en le rouant de coups de couteau, un message ironique s’affiche : « Purement scientifique ». Et quand ils évoquent la manière de se procurer les armes, là encore ils manient l’ironie. L’ennemi n’est jamais nommé, il s’agit de se défendre contre « les sangliers qu’on va croiser en ville » ou de « neutraliser un sanglier qui rentrerait dans votre salon par inadvertance » – une métaphore filée tout au long de la vidéo.
Manier l’ironie, utiliser des codes : la méthode est classique de l’extrême droite. Lors d’un débat diffusé le 26 mai dernier, sur la chaîne d’extrême droite TVLibertés, Christopher Lannes, qui y anime une émission d’histoire, justifiait la nécessité d’utiliser l’humour pour faire passer des idées qu’on devine hors la loi. « Pour contrer la censure de YouTube, qui est très active,expliquait-il, il faut jouer avec les mots, jouer avec les sous-entendus, l’ironie. Lire entre les lignes, dire les choses sans les dire, cela embête à la fois le système et cela permet de passer des messages. » À ses côtés en plateau, Papacito opinait du chef.
Dans les interventions du youtubeur, l’appel à la violence n’est pas explicite mais il transparaît. Dans un entretien à Valeurs actuelles, le 19 octobre 2020, au lendemain de l’assassinat de Samuel Paty, Papacito expliquait au journaliste qui lui demandait quelles seraient ses « premières mesures » dans le « gouvernement de [ses] rêves », il répondait : « Créer une cellule qui va purger tous les collabos. […] On réunit une flotte de camions […]. On fait des listes. 5 heures du mat’, perquiz. Et là, on amène dans un centre de rééducation tous ces gens qui ont activement contribué à la destruction de la France. Déjà on nettoie, après on désinfecte » (lire notre enquête sur les youtubeurs d’extrême droite).
Au cours de l’émission sur TVLibertés, en mai, Papacito appelait, en filigrane, à un coup d’État. « Je vais donner un exemple que je connais assez bien : le coup d’État de Franco dans une Espagne prébolchévique, mais déjà très à gauche. Qu’est-ce qu’il a fait ? Il a passé des coups de fil à des casernes, il a dit : “Qui me suit ?” Et il y a eu un certain nombre de mecs qui sont venus, ils ont ouvert un front, cela a duré trois ans, ils ont fini par gagner ! Je suis persuadé que dans notre armée, si quelqu’un est crédible, il passe des coups de fil, il dit : “Voilà, vous amenez les blindés dans la capitale, on va remettre Louis XX de Bourbon sur son trône et on va donner la France à quelqu’un qui la mérite et qui va savoir la gérer.” […] Je suis prêt à soutenir quelqu’un dans le cadre républicain si je sens qu’il peut instaurer un climat qui fait qu’il y aura des flingues. »
Il indiquait très clairement où allaient son vote et son espoir : « Si Zemmour se présente et que Zemmour nous permet, via sa présidence, de sortir du cadre républicain… » La semaine dernière, le journaliste a lui aussi cité « [son] ami le youtubeur Papacito », sur CNews :
Comme Mediapart l’a révélé fin mai, Papacito figure dans un rapport confidentiel du parquet général de la cour d’appel de Paris, daté de mars et dédié à la galaxie de l’ultradroite française. À l’intérieur de ce document, les magistrats de la cour d’appel de Paris le décrivent en quelques lignes cruelles : « apprenti comédien devenu influenceur politique ». Ils soulignent que son site internet « reprend à s’y méprendre les codes de stars du rap très populaires auprès des jeunes générations telles que Maître Gims ».
Le parquet général constate que Papacito promeut dans ses vidéos « une idéologie raciste, homophobe et masculiniste ponctuée de grossièretés (“fils de pute”), d’interjections (“tu vois”) et de termes destinés à un public jeune ». Et déplore que son discours s’avère « redoutablement efficace » auprès des jeunes générations.
Dans ses vidéos, le militant, auteur d’ouvrages publiés par les éditions Ring, prodigue ses conseils aux « hommes debout » pour ne plus vivre « comme des fiottes » dans une « société émasculée » et pouvoir répliquer aux « Uber de l’islam radical » et à ses attentats meurtriers. « C’est par le style de vie et vestimentaire, intellectuel et physique qu’on va revenir à une estime de soi », plaide-t-il dans l’un de ses sept « entretiens chocs » en ligne. « Quand je vois des jeans cigarette qui s’arrêtent à la cheville et que les mecs ont des démarches de la Fashion Week alors qu’ils sont pourvus de testicules, c’est problématique. Tu peux pas marcher comme un mannequin nigérian ou suédois alors que t’es un homme. »
Dans le rapport précité, le parquet général s’inquiète de l’influence qu’exercent les individus comme Papacito « qui exaltent une masculinité hégémonique, sont insérés dans des réseaux militants transnationaux ». Les magistrats craignent que « des militants qui baignent dans un terreau idéologique violent » ne commettent des attentats terroristes.
Comme l’avait dévoilé Mediapart, les services de renseignement estimaient à 350, en 2019, le nombre de membres de l’ultradroite possédant légalement une ou plusieurs armes à feu. Parmi eux, 147 font l’objet d’une fiche sûreté de l’État, la fameuse fiche S. Dans son document de 56 pages, le parquet général de Paris constate que « contrairement aux affaires djihadistes récentes, aucun des dossiers ultradroite en cours d’instruction ne met en lumière d’éventuelles difficultés des acteurs à se procurer des armes ». Un constat partagé au niveau européen. Un rapport confidentiel d’Europol démontrait en 2019 que les groupuscules d’extrême droite investissent dans l’achat d’armes et la confection d’explosifs.
Matthieu Suc et Marine Turchi