« Le problème de la police, c’est la justice ! »
Il y a quelque chose de pourri dans le climat politique actuel, marqué entre autres ces dernières semaines par une offensive des forces de répression, avec tribunes de militaires et manifs de flics. L’extrême droite applaudit, le gouvernement s’aligne, et une partie de la « gauche » confirme son naufrage, avec entre autres Fabien Roussel, secrétaire national du PCF, Olivier Faure, premier secrétaire du PS, ou Yannick Jadot d’EÉLV, qui se sont rendus à la manifestation appelée par les « syndicats de policiers » le 19 mai dernier, et se sont retrouvés au côté du n°2 du RN Jordan Bardella, de Philippe de Villiers ou encore d’Éric Zemmour.
Une manifestation au cours de laquelle on a entendu des slogans comme « Le problème de la police, c’est la justice ! », à laquelle le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin s’est rendu avant que, dans la foulée, le gouvernement fasse voter la suppression des « rappels à la loi » et étende à 30 ans la période de sûreté pour les personnes condamnées à perpétuité pour un crime contre un policier ou un gendarme, comme l’exigeaient les flics.
Ces tribunes de militaires et manifestations de flics ne sortent pas de nulle part, et sont en réalité l’un des symptômes du cours raciste-autoritaire suivi par la Macronie, avec entre autres, dans la période récente, la loi « sécurité globale » et la loi « séparatismes ». Une Macronie qui a en outre fait le choix de gérer la conflictualité sociale à coups de matraques, de gaz lacrymogènes et de LBD, sur fond de crise sanitaire et sociale historique. Au total, les forces de répression se sentent pousser des ailes, et des secteurs entiers desdites forces, acquises idéologiquement à l’extrême droite, tentent de pousser leur avantage.
5 juin, 12 juin, 19 juin, 3-4 juillet…
Il n’y a évidemment pas de stricte équivalence entre le gouvernement et le RN, et ceux qui cèdent au raccourci selon lequel « le fascisme est déjà au pouvoir » contribue à minorer la menace que représentent Le Pen et les siens et le saut qualitatif en termes de politiques répressives, racistes et liberticides, que signifierait leur accession au pouvoir. Ce qui ne veut pas pour autant dire que Macron et LREM seraient un quelconque « rempart » face au RN : ils font partie du problème, pas de la solution, légitimant les idées et « propositions » de l’extrême droite, favorisant leur ascension par leurs politiques antisociales, soufflant sur les braises de la division et de la construction de boucs émissaires.
Nous serons présents à Paris le samedi 5 juin pour manifester à l’issue du procès des assassins de Clément Méric, mort à 18 ans sous les coups de militants d’extrême droite. Nous appelons à manifester partout le samedi 12 juin contre les idées d’extrême droite et les lois liberticides, à l’appel de dizaines de syndicats, associations, collectifs, médias et organisations politiques. Le samedi 19 juin, au côté de la CGT TUI, nous serons dans la rue contre les licenciements et les suppressions de postes, contre la réforme de l’assurance chômage. Enfin, nous appelons à construire la mobilisation contre le congrès du RN qui aura lieu les 3 et 4 juillet à Perpignan. L’extrême droite et ses idées nauséabondes, dont une partie sont reprises aujourd’hui par le pouvoir, ne doivent pas passer !
Lutter contre l’extrême droite et ses idées, c’est en effet tout à la fois lutter spécifiquement contre le RN et les groupuscules fascistes, lutter contre les politiques autoritaires, racistes et antisociales du gouvernement, et faire vivre la perspective d’une véritable alternative politique qui ne se fixe pas comme horizon le replâtrage du système mais son renversement. La priorité des organisations de la gauche sociale et politique devrait être d’œuvrer à convertir la colère et la radicalité qui se sont exprimées ces derniers mois en expériences de mobilisations et de solidarités concrètes, mais aussi de luttes collectives victorieuses, seules à même de faire vivre un horizon politique de rupture et d’éclaircir un tableau de plus en plus assombri.
L’Anticapitaliste
Clément Méric : Ni oubli ni pardon
Crédit Photo. DR
Il y a huit ans, le 5 juin 2013, Clément Méric, militant antifasciste et syndical, était assassiné par des nervis d’extrême droite, membres du groupuscule Troisième Voie. Cinq ans plus tard, en septembre 2018, le procès de ses assassins se tenait enfin, au terme duquel Esteban Morillo et Samuel Dufour avaient été reconnus coupables de « violences volontaires avec armes et en réunion ayant entraîné la mort de Clément Méric », et condamnés respectivement à 11 et 7 ans de prison. Les deux néonazis ont fait appel, et le procès se tient du 25 mai au 4 juin à Évry.
« Les forces fascistes contre lesquelles luttait Clément ne cessent de progresser »
C’est donc dans le contexte de ce procès que se tiendront les manifestations annuelles en hommage à Clément Méric le samedi 5 juin. Un procès durant lequel, comme le raconte notamment le site La Horde, les accusés jouent les victimes, tentent de banaliser la nature de leurs engagements dans un groupe d’extrême droite violent, et essaient même de rejeter la faute sur les antifascistes et donc sur Clément Méric lui-même. Immonde.
La mobilisation du 5 juin se tiendra aussi, plus globalement, dans un contexte de progression des forces et des idées d’extrême droite, en France comme dans le reste des grands pays capitalistes « développés », avec des participations gouvernementales de forces fascisantes, voire fascistes, et une reprise de plus en plus forte du programme raciste et réactionnaire des courants d’extrême droite. La situation internationale est ainsi marquée par un renforcement des logiques autoritaires et des politiques discriminatoires au sein des démocraties parlementaires, et par un approfondissement de la crise économique, dont les tragiques conséquences servent de carburant aux courants d’extrême droite, toujours prompts à monter les victimes du capitalisme les unes contre les autres.
Comme le rappelle l’appel unitaire à la mobilisation du 5 juin : « 8 ans après sa mort, les forces fascistes contre lesquelles luttait Clément ne cessent de progresser. En plus de l’essor électoral du Rassemblement national, on a pu observer non seulement la persistance des violences perpétrées par des groupes d’extrême droite, mais aussi la circulation de leurs idées, des plateaux télé jusqu’au plus haut sommet de l’État. Depuis 8 ans, on a vu la chasse aux migrantEs s’intensifier, le racisme institutionnel et en particulier l’islamophobie gagner en légitimité et en intensité dans toutes les sphères de la société. On a vu le complotisme se développer et les actes antisémites augmenter. On a vu les violences policières s’étendre, tandis que des politiques néolibérales frappent de plein fouet les plus démunis. Les mouvements sociaux de ces dernières années ont été largement réprimés, cette répression s’étendant à celles et ceux qui luttent contre les idées réactionnaires, qu’ils et elles soient antifascistes, syndicalistes ou militantEs LGBTQIA+. »
No pasarán !
Nous étions parmi les milliers qui scandaient, lors des manifestations consécutives à la mort de Clément, « Ni oubli ni pardon ». Non, nous n’avons pas oublié. Non, nous n’avons pas pardonné. Nous réitérons notre soutien à la famille, aux amiEs et aux camarades de Clément, et participerons aux différentes initiatives organisées à l’occasion du procès. Et au-delà, nous n’oublions pas ceux qui, par leurs politiques antisociales, par l’adoption de la rhétorique et des propositions de l’extrême droite, par leur complaisance à l’égard des courants réactionnaires, ont favorisé, et favorisent encore le regain d’influence et de confiance de la bête immonde.
Pour citer, là encore, l’appel unitaire : « Bien qu’il soit nécessaire que la justice reconnaisse la responsabilité des militants de l’organisation néonazie Troisième Voie qui s’en sont pris à Clément et à ses amis ce 5 juin 2013, cela ne saurait suffire car, par-delà la question judiciaire, il est impératif d’organiser une mobilisation politique et de replacer le meurtre de Clément sur le plan politique : la montée en puissance de l’extrême droite et de ses violences dans le monde. »
Ne rien lâcher face à l’extrême droite. Lutter sans relâche contre le racisme, l’antisémitisme, l’islamophobie. Accueillir les migrantEs, touTEs les migrantEs. Défendre une liberté de circulation et d’installation inconditionnelles. Se battre contre l’homophobie, le sexisme, pour une réelle égalité des droits. Refuser le fatalisme et la résignation. Défendre, encore et toujours, la perspective d’un autre monde, débarrassé de l’exploitation et des oppressions. À la mémoire de Clément, et de touTEs les autres. No pasarán !
Julien Salingue
Des violences d’extrême droite connectées à l’avancée du Rassemblement national
L’existence de ces groupes informels violents procède en quelque sorte de ce que proposait le théoricien d’extrême droite Dominique Venner dans les années 1960 pour renouveler le logiciel nationaliste : « Une organisation sans hiérarchie, sans délimitation territoriale, [avec des] membres qui fassent rayonner notre enseignement, suivant leur milieu, leurs capacités et leurs affinités ». Le milieu, sociologique et amical, de militants formés au sein d’organisations d’extrême droite (comme l’Action française ou Génération identitaire) pousse ces franges à cultiver de façon autonome la violence de rue, habillée de nouvelles modes « footballistiques ». Elles font ainsi « rayonner leur enseignement » au sein d’une jeunesse non militante mais soudée par le nationalisme.
« Militant intellectuel et violent »
Si certains adhèrent aux « éléments pour une contre-culture » développée par les identitaires, d’autres restent classiquement fascinés par les références aux fascismes historiques.
Sur une ville, la constitution d’une telle communauté est facilitée par l’existence d’un groupe politique, et encore plus d’un local. De nombreuses structures d’extrême droite orientent en effet leur activité sur des pratiques sociales et culturelles selon une inspiration localiste. Avec une salle de sport et une bibliothèque, se perpétue l’idéal maurrassien du militant « intellectuel et violent ». En élargissant leur cercle, ces groupes socialisent de jeunes nationalistes. Pour beaucoup, leur fougue ne trouve plus sa place au RN, dont la logique électoraliste pousse à la respectabilité. Pour autant, le parti de Marine Le Pen est-il déconnecté de cette violence d’extrême droite ?
Pour ponctuellement renforcer les troupes, le DPS, service d’ordre du RN, a l’habitude de recruter largement. Certains nervis « autonomes » peuvent donc, à l’occasion, donner un coup de main (tout comme dans le service d’ordre des Manifs pour tous). Les relations familiales facilitent parfois la connexion. Mais l’éternelle quête de « dédiabolisation » du RN le pousse être vigilant sur les farfelus dans ses rangs. Certes, les nombreux liens entre jeunes militants identitaires et RN sont clairement établis. Mais c’est en tant qu’attachés parlementaires, chargés en communication, voire candidats aux élections, qu’ils entrent dans le parti, pas dans son service d’ordre. Aujourd’hui, dans sa stratégie de grignotage des institutions, le RN n’a pas besoin de troupes de choc.
Quels liens avec le RN ?
Pourtant les deux sont liés. Dans le processus d’implantation des extrêmes droites, le discours s’accompagne toujours d’actes, quel que soit le niveau de coordination consciente des uns et des autres. Lorsque Jordan Bardella, porte-parole du RN désigne « ultra-gauche et islamistes » comme partageant « un objectif commun : la destruction de l’État et de la France », il désigne l’ennemi intérieur à « combattre avec force ». Ce genre d’amalgame grossier s’est retrouvé dans la fameuse tribune des militaires, approuvée par Marine Le Pen, et bien d’autres : « un certain antiracisme », « l’islamisme et les hordes de banlieue », « individus infiltrés et encagoulés » dans les manifestations. Les expressions sont suffisamment précises mais largement floues pour viser un spectre très large de potentiels artisans de l’anti-France.
Comme les politiques sécuritaires et les discours « décomplexés » du gouvernement légitiment la posture du RN, son militantisme nourrit la violence des jeunes nervis. Nul besoin d’être organisés dans une même structure politique pour que les tâches militantes soient réparties. Chacun pense ainsi agir à sa façon pour la « protection de nos valeurs civilisationnelles et la sauvegarde de nos compatriotes sur le territoire national » (« tribune des généraux » publiée par Valeurs actuelles le 21 avril dernier).
Commission nationale antifasciste
Groupuscules violents d’extrême droite : où en est-on ?
À partir des échanges téléphoniques de ceux qui ont tué Clément Méric, le Comité pour Clément a montré qu’il s’agissait d’une situation dans laquelle il y avait « un donneur d’ordres, une centrale téléphonique et des soldats qui attaquent ». Car les deux néonazis actuellement en procès d’appel étaient au moment des faits des militants dans une organisation, et pas de simples « lambdas » un peu fachos, comme tente de le faire croire leur défense.
Au-delà des dissolutions
À la suite de la mort de Clément, quatre organisations étaient dissoutes, dont celles des deux responsables, Troisième Voie et les Jeunesses nationalistes révolutionnaires. D’autres dissolutions ont, depuis, été prononcées sans bouleverser outre mesure le paysage militant de l’extrême droite extra-parlementaire : Bastion social, Blood & Honour Hexagone et Combat 18, puis récemment Génération identitaire. Huit ans après, qu’en est-il des groupuscules de fachos violents en France ?
La presse s’est récemment fait l’écho d’un projet d’attentat néonazi, mené par un obscur groupe « Honneur et Nation ». Le collectif d’analyse antifasciste La Horde est revenu sur la réalité de cette structure. Il s’avère que ces bourrins folkloriques sont plus des machines à picoler et publier des selfies sur les réseaux sociaux que de sérieux combattants pour un quelconque ordre nouveau. Ce sont les restes, pas toujours frais, de bandes de nazi-skins, dont la mode tend globalement à passer chez les jeunes fachos.
Depuis les années 1990, la France est globalement épargnée par les aventures meurtrières d’extrême droite. Le poids du FN-RN joue un rôle dans la temporisation de ces pratiques extra-légales. Certes, il y a toujours des furieux qui s’entraînent au paintball pour la guerre civile : restent le culte de la force et la fascination des armes, voire leur trafic. La Horde a raison de s’interroger sur la possibilité, pour des militants issus d’une nébuleuse de groupuscules éphémères, de passer à l’acte isolément. Mais la focalisation journalistique sur la « menace terroriste d’ultra-droite » masque le bruit de fond actuel.
Une nouvelle génération de nationalistes
Depuis quelques années, un autre phénomène traverse la jeunesse nationaliste. Abandonnant la chaussure montante coquée pour la chaussure de sport, et le bomber camouflage pour la veste « casual », les modes changent. Avec une fascination, parfois mythifiée, pour les tribunes de football, une partie des jeunes fachos importent certains us et coutumes dans leurs pratiques militantes (le phénomène n’est pas propre à l’extrême droite). Une de leurs références est l’implication de supporteurs dans les manifestations du « Maïdan » ukrainien de 2014. La France a connu les « Manifs pour tous », que certains ont vécues comme leur 6 février 1934, puis le « Jour de colère ». Une nouvelle génération de nationalistes se forme dans ce contexte.
Les connexions déjà existantes avec des groupes de supporteurs marqués à l’extrême droite favorisent la diffusion du modèle. Les bagarres arrangées entre supporteurs indépendants et les raids punitifs assortis de prises de trophées inspirent ces jeunes fachos, dont tous ne partagent pas une stricte sobriété anti-alcool. L’émulation sur les réseaux sociaux pousse à multiplier les exploits. Certains militent dans des organisations politiques déclarées. Mais leurs activités « sportives » sont menées au sein de groupes informels et affinitaires. Vols de drapeaux ou de banderoles d’organisation de gauche, arrachage de vêtements « militants »... une violence de basse intensité s’est lentement installée dans de nombreuses villes. Si Lyon est le parfait exemple, l’existence de groupes similaires, plus ou moins fournis, est constatée sur Bordeaux, Toulouse, Montpellier, Nîmes, Marseille et Aix, Nice, Chambéry, Clermont-Ferrand, Chalon-sur-Saône, Besançon, Strasbourg, Reims, Lille, Rennes, Nantes, Angers, Tours, Bourges, Paris.... rien d’anecdotique.
Un phénomène à prendre au sérieux
Les actions contre les mobilisations pour la PMA pour touTEs, le 31 janvier, ont été l’occasion d’une coordination de fait entre ces différents groupes. Car au-delà de la pression quotidienne que cherchent à faire peser ces jeunes nervis sur les militantEs de gauche, et essentiellement sur les jeunes repérés comme antifascistes, leur violence se porte aussi contre des apparitions organisées. Les attaques de cortèges progressistes dans les manifs de Gilets jaunes, à Paris, Toulouse et Lyon, viennent de ce milieu de tapeurs. De nombreuses dégradations ou attaques de locaux militants (comme à Lyon ou à Angers) complètent leurs apparitions. Récemment plusieurs intermittentEs occupant des théâtres ont subi des assauts. En utilisant les réseaux sociaux comme vitrine de leurs exploits, le phénomène donne une impression de structuration.
En réalité, il n’est pas certain que ces groupes veulent, ou puissent, se structurer à une échelle nationale. D’abord car leur raison d’être se limite souvent à une ville. En outre, leur pratiques tombant sous le coup de la loi, le risque de dissolution est grand. Les récentes dissolutions du Bastion social et de Génération identitaire ont pu laisser des enseignements. Par ailleurs, tous ne partagent pas exactement les mêmes références politiques. Et enfin, aucun chef ne se dégage. Il n’en reste pas moins que le phénomène mérite d’être pris au sérieux. Les blessures infligées, parfois graves, n’ont pas entraîné de mort depuis celle de Clément Méric. Elles restent néanmoins des attaques sourdes contre tout le mouvement social.
Commission nationale antifasciste