Le tabloïd malaisien The Sun l’annonce sur son inquiétante une de ce vendredi 28 mai, montrant des lits encore vides, alignés dans le “centre de traitement et de quarantaine” tout juste aménagé dans une université de la ville de Kuantan, dans l’est de la Malaisie : “Le pire est à venir”.
Tout indique malheureusement que les lits de ce centre, qui a accueilli ses premiers patients le 27 mai, seront amenés à se remplir. Comme le rapporte notamment le Malay Mail, “le directeur général de la santé, le Dr Noor Hisham Abdullah, a annoncé sur Facebook et Twitter que la Malaisie avait enregistré [ce 28 mai] 8 290 nouveaux cas de Covid-19, ce qui représente le record quotidien” depuis le début de la pandémie.
“Quasiment un quart” de ces nouveaux cas a été répertorié dans l’État de Selangor, qui rassemble notamment toute la banlieue de la capitale malaisienne, Kuala Lumpur, précise le quotidien anglophone.
Le 26, la chaîne américaine CNBC signalait déjà une donnée alarmante :
“Le nombre d’infections quotidiennes par million d’habitants […] excède depuis dimanche celui de l’Inde […]. Les dernières statistiques montrent que la Malaisie a rapporté mardi 205,1 cas par million d’habitants, alors que l’Inde en annonçait 150,4.”
Cette résurgence s’inscrit dans un contexte régional : ces dernières semaines, les indicateurs liés à l’épidémie sont inquiétants dans de nombreux pays d’Asie du Sud-Est, comme le Vietnam, la Thaïlande et Singapour, et plus largement d’Asie, comme Taïwan. Pourtant, tous ces pays étaient depuis un an cités en exemple pour leur gestion de la pandémie, mais les médias locaux estiment que les mesures de protection n’ont pas tenu sur la durée, notamment au niveau des frontières, récemment jugées “poreuses” par Asia Times.
Pourtant, “la Malaisie, explique le correspondant local du quotidien singapourien The Straits Times, se trouve actuellement dans la troisième semaine d’un confinement d’une durée d’un mois, le troisième depuis le début de la pandémie, mis en place pour contrer l’augmentation des infections. Cependant, ce confinement n’a pas montré qu’il permettait de faire baisser le nombre de cas.” Et pour cause : les restrictions sont beaucoup moins strictes que celles qui avaient permis au pays d’être, en mars 2020, largement épargné par la pandémie.
Sur le terrain, les hôpitaux sont au bord de la rupture, poursuit l’article, et “les patients atteints d’autres maladies que le Covid-19 commencent à ressentir la douleur de la situation”. Même si “les autorités affirment […] que le pays n’a pas encore atteint le stade où les soignants devront trier les patients selon leurs chances de survie, certains signes montrent que les familles de patients hors Covid-19 commencent à devoir faire de tels choix pour leurs proches”. En se basant sur le témoignage anonyme “d’un soignant d’un hôpital majeur de Kuala Lumpur”, The Straits Times explique que “des patients ayant un besoin critique de soins ont dû être refoulés”.
Un autre témoignage évoque la situation d’un homme de 85 ans atteint, lui, du Covid-19, qui a dû attendre “douze heures” avant d’avoir accès à un lit d’hôpital. L’homme est finalement décédé du Covid.
De son côté, Channel News Asia consacre un article aux bénévoles malaisiens “aidant à assurer aux victimes du Covid-19 un enterrement selon le rite musulman”, dépeignant lui aussi une situation tragique : le dirigeant national de cette organisation, Muhammad Rafieudin Zainal Rasid, “a déclaré que les bénévoles s’occupaient de presque trente fois plus de cadavres que l’année dernière”, rapporte le site d’information singapourien.
Confinement total ?
Dans ces circonstances, le débat sur la pertinence d’un retour à un confinement total agite la société et la presse malaisiennes depuis plusieurs semaines.
Samedi 22 mai, “le ministre de la Défense, Ismail Sabri Yaakob, qui coordonne la mise en place des restrictions dans le pays”, précise le Bangkok Post, “a déclaré que le gouvernement avait décidé de ne pas mettre en place de confinement total, parce que ‘nous voulons garder un équilibre entre les questions sanitaires et les moyens de subsistance de la population. Durant le premier confinement, l’économie du pays a subi des pertes quotidiennes de 2,4 milliards de ringgits [473 millions d’euros]’. Il a ajouté que 800 000 personnes avaient perdu leur emploi l’année dernière.”
Une position soutenue par The Sun dans un éditorial de ce 28 mai, titré : “Nous devons gagner la guerre sur les deux fronts”. Selon l’auteur, “au nom du progrès et du futur de ce pays, nous ne pouvons tout simplement pas choisir entre les vies et les moyens de subsistance, pas alors que nous pouvons atteindre un équilibre raisonnable entre les deux”.
Mais c’est une position vertement critiquée dans une lettre ouverte publiée par le site Free Malaysia Today, signée par une sommité médicale du pays, qui a notamment opéré du cœur un ancien Premier ministre en 2007, et titrée, elle : “Un confinement total ? C’est maintenant ou jamais”. Selon le docteur Venugopal Balchand :
“Je ne comprends pas cette querelle ‘Lives vs livelihoods’ [‘Vies contre gagne-pain’]. Laissez-moi rappeler que, pour que vous ayez un gagne-pain, il faut déjà que vous soyez vivant.”
Courrier International
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