Le 1er février dernier, l’armée birmane (Tatmadaw) reprenait le pouvoir, instaurait l’état d’urgence et instituait le SAC, le Conseil administratif d’Etat. En réponse à ce coup de force, un groupe de parlementaires élus en novembre 2020 réagissait pour refuser le fait accompli et créer le CRPH, le comité représentant le Parlement. Ils ouvraient ainsi une fenêtre dans un horizon apparemment bouché.
Ce comité, composé de juristes, a travaillé dans des conditions très difficiles. Ses membres ont dû s’exiler et ont été accusés par le SAC de « haute trahison », passible de la peine de mort. Ils ont dû échanger et s’organiser avec une extrême prudence. La réflexion qu’ils ont engagée en matière constitutionnelle a débouché sur une charte posant les principes fondateurs pour la rédaction d’une nouvelle Constitution fédérale afin de remplacer celle rédigée par l’armée en 2008. Mais ce n’était pas la seule tâche à laquelle ils se sont attelés. Le 16 avril, un gouvernement d’unité nationale (NUG) était annoncé.
Ce gouvernement constitue pour les citoyens birmans un immense espoir dans un contexte éprouvant. Au-delà d’un pays qui tourne au ralenti, au-delà d’une armée qui reste soudée et puissante, l’engagement d’hommes et de femmes de tous les horizons du pays constitue un progrès encourageant. Car c’est bien l’inclusivité qui caractérise ce gouvernement : sa composition même envoie un message positif et constitue indéniablement une avancée vers la résolution des problèmes qui minent la Birmanie depuis des décennies.
Jouer sur la confiance
Parmi les 26 ministres et secrétaires d’Etat, 13 ne sont pas Bamars [l’ethnie majoritaire]. En l’absence du président de la République U Win Myint et de la conseillère d’Etat Aung San Suu Kyi, au secret à Naypyidaw, l’exécutif est confié à Duwa Lashi La (de l’ethnie Kachin), vice-président, et à Mahn Win Khaing Than (Karen), premier ministre ; Lian Hmung Sakhong, vice-président du Chin National Front (le Front national Chin), devient ministre des affaires fédérales. Huit femmes ont été désignées, comme Zin Mar Aung aux affaires étrangères ou Shwe Pon à la santé. Des jeunes sont promus, comme Ei Thinzar Maung, 26 ans, ministre adjointe, au côté d’une autre femme, la Karen Naw Susanna Hla Hla Soe, d’un nouveau département ministériel consacré aux femmes, aux jeunes et aux enfants. Enfin, un quart des ministres ne sont affiliés à aucune formation politique mais ont été choisis pour leur compétence.
Le SAC maintient son contrôle sur le pays par la violence, la terreur et l’intimidation au sein des ministères et des administrations locales ; avec ce mode opératoire, il ne doit pas être considéré comme un choix car il enferme l’avenir de la Birmanie. Non seulement le SAC met à risque la stabilité et l’intégrité du pays par une reprise attendue des conflits ethniques et des attentats, mais il met à mal les objectifs autorédigés par l’armée avec la Constitution de 2008 (ne plus avoir à gérer l’Etat mais garder un rôle de gardien politique).
Le gouvernement d’unité nationale, lui, joue la confiance : entre ses membres et avec les citoyens. C’est à ce contrat de confiance que les Birmans ont souscrit. La constitution de ce gouvernement signifie une volonté farouche de sortir le pays de l’ornière dans laquelle l’enfonce l’armée depuis des décennies.
Dans les conditions actuelles, la France doit reconnaître sans délai le gouvernement d’unité nationale. Avec quels objectifs concrets ? Les raisons sont nombreuses et variées. Parmi les plus essentielles, on retiendra l’attachement des Birmans au processus de transition démocratique. Une transition certes imparfaite mais réelle : il suffit de comparer les scrutins de 2010, 2015 et 2020 pour mesurer l’implication des citoyens, et l’amélioration concrète de leur qualité de vie ; la transition a constitué un appel d’air mental et un élan. Elle a aussi apporté l’espace politique nécessaire pour entamer des négociations constructives, même erratiques, avec les guérillas armées.
Scénario syrien
La deuxième raison est d’éviter un bain de sang. L’armée pourrait y recourir si les blocages persistent, parce qu’ils entravent sa capacité de contrôle et d’enrichissement. Mais les plus désespérés du mouvement de désobéissance civile pourraient aussi décider de passer à la vitesse supérieure, pour signifier clairement leur refus de l’option Tatmadaw.
Il est donc urgent de soutenir une initiative qui prône la paix, la réconciliation nationale et qui s’inscrit dans la logique démocratique que la France a soutenue depuis 2010. Il faut faire vite avant que ne s’installe une normalité que le SAC appelle de ses vœux : en l’isolant par une série de mesures appropriées, la France et l’Union européenne montreraient une action claire contre le fait accompli.
La troisième raison relève de la cohérence de notre engagement auprès de la société civile : on ne peut pas contribuer à son éclosion (en participant notamment à des programmes de formation et de soutien) sans avaliser une initiative qui prend le risque de mettre en place les valeurs prônées. Le NUG s’inscrit dans la légitimité démocratique des dernières élections. Sur le plan sécuritaire, les jeux sont clairs : la Tatmadaw a tout intérêt à une crise générale – quitte à plonger le pays dans le chaos – pour justifier son emprise et valider son coup de force. Un scénario syrien ne doit pas être négligé et aurait des conséquences sur la stabilité régionale.
Enfin, quatrième raison essentielle, il est bon de reconnaître l’intelligence de la résistance et le courage d’un peuple. Car c’est aussi montrer l’authenticité de notre attachement à des valeurs et principes que nous prétendons universels.
Premiers signataires : Sophie Boisseau du Rocher, chercheuse au Centre Asie de l’IFRI ; Vanina Bouté, ethnologue et codirectrice du Centre Asie du Sud-Est (CNRS-EHESS-Inalco) ; Romain Caillaud, chercheur associé à l’Iseas-Yusof Ishak Institute ; Frédéric Debomy, écrivain ; Jean-Louis Margolin, historien.
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