“Le jugement n’est qu’à venir, mais les équipes d’Alexeï Navalny ont décidé de devancer les forces de l’ordre”. Comme le rapporte le quotidien Nezavissimaïa Gazeta, sans attendre la liquidation pure et simple qui les attend probablement à l’issue d’un procès qui a débuté en hâte le 26 avril, les 37 QG du parti de l’opposant, accusés d’“activités extrémistes”, ont décidé d’interrompre leurs activités.
Les navalnystes réfutent ces accusations, mais ils affirment ne pas vouloir mettre en danger leurs militants et leurs sympathisants, souligne le titre. “À la demande du parquet nous sommes dans l’obligation de suspendre l’activité de nos bureaux régionaux. Les réseaux sociaux régionaux seront gelés et anonymisés au maximum”, ont annoncé les structures militantes de Navalny sur les plateformes Telegram et Vkontakte.
En plus de la fermeture des bureaux régionaux, le parquet a demandé la cessation d’activité du Fonds de lutte contre la corruption et du Fonds de défense des droits des citoyens, deux structures importantes créées également par l’opposant russe et déjà inscrites au registre des associations faisant fonction en Russie d’agents étrangers.
Cependant, comme le rapporte le quotidien Vedomosti, la structure anticorruption avec laquelle Navalny a commencé son chemin politique il y a dix ans a annoncé que ses membres allaient poursuivre leur “lutte contre la corruption, contre le parti au pouvoir, Russie unie, qui vole [le] pays, et contre Vladimir Poutine, qui se fait construire des palais avec les deniers de l’État et tue ses opposants politiques”.
Acculé à la clandestinité
Selon le procureur de Moscou, Denis Popov, ces organisations “œuvrent à la formation des conditions pouvant conduire à une déstabilisation de la situation sociale et politique, en conséquence de quoi elles peuvent être déclarées extrémistes”.
Pour le quotidien, “le bulldozer de la justice ne fait que se mettre en marche”. Le réseau de Navalny sera probablement, “sinon entièrement détruit, au moins acculé à la clandestinité avant même les verdicts définitifs du procès”. Très rapidement, toute personne reliée de près ou de loin aux activités navalnystes sera susceptible d’être accusée d’extrémisme.
L’éditorialiste de Kommersant Dmitri Drizé estime que, en cas de verdict reconnaissant le caractère extrémiste des structures liées à Navalny, leurs adhérents et leurs contacts, y compris financiers, pourraient encourir des peines de prison allant de six à huit ans. “Cela signifie que faire des dons, militer ouvertement, soutenir des actions deviendra passible de sanctions pénales. En gros, tu repostes une enquête de Navalny, tu vas en prison.”
Alors que les élections législatives se profilent pour septembre, la stratégie électorale de l’opposant baptisée “vote intelligent”, qui consiste à voter pour n’importe quel candidat qui ne soit pas membre de Russie unie, sera également dans le collimateur de la justice. Le fait même de militer pour cette stratégie sera considéré comme une manifestation d’extrémisme.
Concernant les conséquences politiques de cette offensive judiciaire, l’éditorialiste poursuit ainsi :
“Navalny et ses équipes étant la seule force d’opposition hors système organisée et légale, les reconnaître comme extrémistes revient de fait à liquider l’opposition et à la pousser à la clandestinité.”
Ce qui est dommageable en soi, mais aussi pour le pouvoir. “Premièrement, il est toujours plus simple de contrôler les politiques et les leaders d’associations quand ils sont à découvert, explique-t-il. Deuxièmement, pour certaines catégories de population, notamment les jeunes, il est bon de ménager des soupapes de sécurité.” En effet, “si le mécontentement populaire s’accumule et ne trouve pas de débouché, cela risque d’avoir [pour le pouvoir] des conséquences plus graves que les meetings et les enquêtes de Navalny”.
Laurence Habay
Abonnez-vous à la Lettre de nouveautés du site ESSF et recevez par courriel la liste des articles parus, en français ou en anglais.