Il y a bientôt un an paraissait l’ouvrage « La révolte de la psychiatrie. Les ripostes à la catastrophe gestionnaire »que nous avons co-écrit avec Rachel Knaebel et Loriane Bellahsen. Nous y relations la catastrophe en cours et les tentatives pour la transformer politiquement et dans les pratiques concrètes Quelques éléments sont disponibles ici (podcast « Garde fous », émission « Hors Série ») et là.
Depuis, le Covid a infiltré la société. Il est devenu l’allié objectif de réformes néolibérales en psychiatrie, d’un autoritarisme démesuré où l’infantilisation des citoyens se conjugue encore avec la trahison de la parole donnée.
En psychiatrie, une des seules avancées positives dans les pratiques est la mise en question de la culture de la contrainte et de l’enfermement par le biais de la Question Prioritaire de Constitutionnalité (QPC) concernant les mesures de contention et d’isolement.
Pour autant, faute d’un accueil dans l’ensemble de la société pour les différences, la folie et les étrangetés de l’existence humaine, il est fort à parier que cette avancée dans le champ du Droit sera vite recouverte de nouvelles procédures pour adapter le système asilaire destructeur des subjectivités humaines et des collectifs de soins. Et ce n’est pas « l’inclusion » , telle qu’elle est promue officiellement et mise en pratique par les officines de la santé mentale positive - véritable exclusion de l’intérieur - qui va nous y aider.
Aucun débat d’ampleur n’aura eu lieu sur l’inflation des pratiques contraignantes dans le champ du soin psychique. Aucun cadre réellement adapté à la gravité de la situation de la psychiatrie française n’aura émergé.
A contrario, nous avons eu le droit à un article de loi sur ces pratiques au sein d’une loi de financement.
Et quant au financement de la psychiatrie, sa réforme est prévue pour le 1er Janvier 2022. Il s’agit, via la T2C (tarification de compartiments) de mettre en place de façon à peine déguisée la T2A, Tarification à l’Activité, en psychiatrie qui y avait échappé jusque là, contrairement aux services de Médecine, Chirurgie, Obstétrique dont les soignants en dénoncent avec acharnement les effets destructeurs.
Il doit être urgent, en plein Covid, alors qu’une « troisième vague psychiatrique » est annoncée - est bien amorcée - de financer la psychiatrie comme une entreprise privée productrice de biens plutôt que de liens puisque les travaux de la « Task Force » responsable de l’écriture des décrets d’application de cette réforme reprennent, au ministère de la santé, le vendredi 12 février 2021.
Et la désertion de l’hôpital public se poursuit...
I can’t dream ? I can’t breathe
Pendant ce temps-là, les Gentils Organisateurs du santé-mentalisme prospèrent. Ils sont joyeux et en sortent ragaillardis. Ces psychiatres se félicitent de la n-ième commission pour repenser le système de psychiatrie alors même qu’il y a quelques années,
La volonté politique de détruire semble y être, tout comme une vision bien peu éclairée des pratiques qui soignent réellement. Celles-ci nécessitent des gens formés et en nombre ainsi qu’une société conciliante à l’égard des personnes les plus en difficulté.
La psychiatrie naturaliste et classificatrice est aux commandes : cotations chiffrées, molécules, médicaments, échelles, ennui profond. Autrement dit, fin du soin relationnel le temps qu’il faut et abandon des personnes les plus en difficultés.
Et pendant ce temps-là, le « mal-être des étudiants » - une réalité - n’épargne pas les internes, qui ne choisissent même plus psychiatrie. Qui voudrait pratiquer un art qui ne fait plus rêver ? Un art qui ne fait même plus avec le rêve ? Coincée entre le cerveau et la camisole, la psychiatrie crève de céder son âme aux marchands de sommeil de la vie psychique.
Et pendant ce temps là, dans nos hôpitaux les moyens continuent d’être sectionnés. « Nous sommes dans l’antichambre de notre propre extermination » disait Celine Pascual en ouverture des rencontres de Saint Alban il y a quelques années. On assiste donc à une victoire par étouffement de cette psychiatrie-là, de ce monde-là.
Victoire provisoire.
Les abus ne peuvent être silenciés qu’un temps, en témoignent toutes et tous les MeToo. Le temps joue en notre faveur car l’écologie des soins psychiques est aussi malade que la terre est empoisonnée. Et la prise de conscience arrivera devant l’insupportable qui, déjà, ne manque pas de déferler. A quand des Me Too psy ?
Dans les interstices, entre les temps à venir et le temps présent se logeront probablement des abandons, des suicides, des morts, des désespoirs alourdissant injustement les existences quotidiennes. Se logeront également des trouvailles quotidiennes pour tenir et mettre en question le monde dans son ensemble. Radicalement.
Dream a little dream...
Sans attendre, il y a un pari à faire. Pari nécessaire. Dans quelques années, dix ans, vingt ans, on peut raisonnablement imaginer que les promesses de cette psychiatrie objectiviste experte se seront effondrées. Aucune découverte majeure n’aura été faite sur le substrat cérébral, aucune technique permettant de résoudre, de l’extérieur, les problématiques profondes d’ordre existentiel.
Pour ceux qui arriveront encore à trouver un « psy- », ou un lieu pour « être soignés », les pratiques quotidiennes se seront faites encore plus asilaires, réactionnaires et totalitaires. Les citoyens s’apercevront peut-être alors que résumer la lutte à la destruction des institutions psychiatriques en tant qu’elles seraient toutes des lieux asilaires et chronicisants n’aura pas permis de combattre la diffusion généralisée des pratiques de ségrégation. La ségrégation se sera juste déplacée un peu plus hors des murs de l’asile, dans les âmes de tout un chacun. Les pratiques asilaires auront continué de plus belle et se seront revendiquées toujours plus « inclusives », « progressistes », « innovantes », plateformisées, e-asilR.
Le pari à faire est celui de tenir des pratiques d’accueil et d’hospitalité, des lieux pour une psychiatrie qui accompagne, une psychiatrie « d’être là », fondée sur le partage et les pratiques démocratiques. Il nous faut des collectifs pour les faire vivre, pour les réinterroger sans relâche avec désir et créativité.
Et quand les temps seront plus cléments, plus décents, qu’une nouvelle institution imaginaire de la société aura suffisamment transformée le monde d’aujourd’hui, ces pratiques altératrices se seront transmises par les artisans que nous tentons d’être.
Mathieu Bellahsen
10 février 2021