Le Viêt Nam est composé de 54 ethnies, autant que la Chine vingt-huit fois plus grande. Une véritable mosaïque de richesses culturelles.
Ces ethnies sont par ordre d’importance démographique : Kinh (Viêt), Tay, Thai, Hoa (Han), Kho-Me, Muong, Nung, H’Muong (Méo), Dao, Gia-Rai, Ngai, E-De, Ba-Na, Xo-Dang, San- Chay, Co-Ho, Cham, San-Din, Hre, Mnong, Ra-Glai, Xtieng, Bru-Van-Kieu, Tho, Giay, Co-Tu, Gie-Trieng, Ma, Kho-Mu, Co, Ta-Oi, Cho-Ro, Khang, Xinh-Mun, Ha Nhi, Chu-Ru, Lao, La-Chi, La-Ha, Phu-La, La-Hu, Lu, Lo-Lo, Chut, Mang, Pa-Then, Co-Lao, Cong, Bo-Y, Si-La, Pu-Peo, Brau, O-Du, Ro-Mam.
L’ethnie Kinh (Viêt) est la plus importante, elle représente presque 90% de la population totale du Viêt Nam et occupe les plaines, le littoral et les grands deltas. Les 53 autres ethnies représentent entre 5 et 10 millions d’individus et peuplent les 2/3 du territoire dans les zones montagneuses du pays. Certaines ethnies comprennent des centaines de milliers d’individus, d’autres, des dizaines de milliers, parfois quelques milliers seulement, et même moins d’un millier. Les ethnies les moins importantes, comme les Ro-Mam qui sont à peine 250 individus, les Brâu, environ 250 aussi et les O-Du, moins de 100 individus, sont en voie d’extinction. Toutes ont payé et payent un lourd tribu à la guerre car c’est sur leurs territoires que se déroula une part intensive de la guerre chimique pour briser la résistance et couper la piste Ho Chi Minh reliant le Nord au Sud.
Ces ethnies parlent 87 langues, 86 sont vivantes et une est éteinte. Elles se divisent en plusieurs familles linguistiques : Viêt-Muong, Tay-Thai, Mon-Khmer (Austronésien ou Malayo-polynésien), Hmong-Dao, Tai-Kadai, Nhom-Han, Tibéto-birman, Miao-yao.
Selon les groupes linguistiques, les noms de ces ethnies peuvent changer.
Ces 54 ethnies comprennent de nombreux « sous-groupes » appelés différemment et parlant autant de dialectes. Ces populations sont venues à des époques différentes, massivement ou en petites communautés au cours du dernier millénaire, chassées par l’oppression féodale chinoise, l’invasion des Siamois, les famines et les épidémies. Leurs relations linguistiques, raciales et culturelles évoluaient progressivement et parvenaient à une intégration allant parfois jusqu’à ne laisser que quelques éléments culturels distinctifs. L’économie de ces communautés autarciques dépendait de la nature.
Ces groupes humains vivaient de chasse, de cueillette en forêt et cultivaient un peu sur brûlis avec des rotations d’une quinzaine d’années pour le repos des sols. Leurs maisons sont en paille et en bambou, parfois, sur pilotis. Leurs croyances, chamaniques. La nature et ses génies réglaient leur vie. Certains liment leurs dents, d’autres les laquent en noir. Des femmes portent de lourds anneaux d’argent étirant les lobes des oreilles, critère de grande élégance. Leurs costumes ne sont pas une attraction pour touristes. Quelque soit leur activité, ces populations tribales continuent à perpétrer la tradition vestimentaire. Elles sont Hmuong Noir (habits noirs), Dao Rouge (habits rouges), Hmuong Bleu (habits bleus) à cause de la teinture dominante de leur tissu tirée des essences et de la nature du sol où elles vivent. Les enfants travaillent avec les adultes dans les champs et des jeunes filles portent des hôtes en vannerie pour la cueillette des tubercules.
Depuis que l’Agent Orange a fait disparaître leur représentation du monde et que les génies de la terre, des sources, de la forêt, des éléphants et du tigre sont partis ailleurs, la vie en autarcie n’est plus possible. C’est avec la hôte dans le dos que les jeunes filles descendent, dévalent de rocher en rocher le torrent qui les mènera à coup sûr vers la basse vallée et ses marchés, vers un autre monde.
Pour exemple, une fille Ta-Oi descendra vers les marchés de la vallée avec des colliers, des plantes médicinales et surtout du tissu Zéng. Un tissu extraordinaire pour la jupe des femmes et le pagne des hommes. Les fils de ce tissu proviennent du cotonnier sauvage. Le métier à tisser avec les mains et les pieds demande beaucoup d’adresse et de temps. Ce tissu Zéng compte cinq couleurs. Le fond est le noir -le noir est le luxe, le blanc, le deuil. Noir et bleu sont extraits par la décoction d’une plante et, le jaune, de certaines racines. La réussite de la teinture végétale dépend du temps sec ou humide. Le rouge est obtenu auprès des Lao. Le blanc, lui, est la couleur naturelle du coton sauvage. Ces cinq couleurs sont agrémentées de perles, de grelots de cuivre et d’argent qui tintent et étincellent pendus aux franges. Une soixantaine de motifs de tissage symbolise l’univers. Des plantes, fleurs, feuilles. Des animaux ou bien une partie de leur corps : queue d’hirondelle, ergot de coq. Objet quotidien : jarre de piment. Du Ciel père et de la Terre mère nourricière. Etoile polaire. Légendes et génies… Une pièce de tissu Zéng sert d’unité monétaire pour le troc contre les buffles et le métal argent. Au marché de l’autre monde, un touriste prendra la jeune fille Ta-Oi en photo contre son gré avec cet appareil qui vole l’âme. Un autre, avec sa caméra numérique, lui montrera pour la première fois comment elle est vue par les autres. Elle regardera l’écran, touchera son nez et ses pommettes comme pour vérifier l’image, puis, inquiète, partira en riant : un trauma-rigolo. Puis elle remontera vers l’ancien monde disparu des hauts plateaux, vers la haute vallée d’A Luoi où l’Agent Orange continue ses ravages, vers ses frères et sœurs handicapés mentaux et/ou physiques, avec dans sa hôte du métal argent, du cuivre, des outils en fer, du nuoc-mâm et parfois avec un mari.
Avant la guerre, ces ethnies étaient nommées « Mäi » ou « Moi » : sauvages. Il est difficile d’imaginer, vu d’Europe et influencé par la culture de consommation jetable étasunienne, les bouleversements que la guerre chimique a imposé à ces ethnies pour ne pas qu’elles disparaissent complètement. Ces individus paisibles, s’émerveillant devant la vaporisation rose des défoliants qui fait le monde joli au lever du soleil, crurent probablement que les génies en colère ratatinaient le monde végétal comme s’ils avaient pu le rendre luxuriant à loisir une fois apaisés.
Ce forfait d’une lâcheté sans nom va peut-être trouver une dénomination. Devant la monstruosité de ce crime, la science était en panne. Mais voilà qu’aujourd’hui, grâce aux travaux de deux biologistes américaines de l’Université de Chicago, Suzanne Rutherford et Susan Lindquist, nous savons que la dioxine annihile le rôle de la « protéine chaperon » -découverte par ces deux biologistes et baptisée ainsi par elles- qui définit le volume des organes internes et la morphologie générique de l’espèce concernée. La probabilité est grande pour que des troubles génétiques soient transmissibles à la descendance, même en sautant une ou plusieurs générations. Dans ce cas, il s’agirait donc d’un attentat au génome humain, à la mémoire de la vie déposée dans le génome humain qui est le bien de l’humanité tout entière.
Le Droit international risque de devoir intégrer, au-delà des termes crescendo de « Crime de guerre », « Crime contre l’humanité » et « Génocide », une nouvelle dénomination qui pourrait être « Attentat au génome humain ».