L’Inde espère que la taille de son économie atteindra un jour prochain 5 000 milliards de dollars, ce qui en ferait l’une des plus puissantes au monde. Mais en attendant, les statistiques que vient de publier le ministère de la Santé sur la nutrition infantile ont de quoi inquiéter. “Le Niger et le Yémen mis à part, l’Inde est encore aujourd’hui le pays où la proportion d’enfants en insuffisance pondérale – 36 % – est la plus élevée de la planète”, s’inquiète Jean Drèze dans l’Indian Express du jeudi 17 décembre.
Ce chercheur d’origine belge, spécialiste des populations rurales les plus défavorisées du sous-continent et professeur d’économie à l’université de Ranchi, dans l’État indien du Jharkhand, observe que le Bangladesh et le Népal font “beaucoup mieux” que l’Inde en la matière. Et au sujet du critère du retard de croissance des enfants, l’Indian Express poursuit :
“Le pays est un petit peu mieux positionné, mais il fait toujours partie des pays les plus sous-alimentés, aux côtés de l’Éthiopie, du Congo et de l’Afghanistan.”
Malheureusement, ces données “surprenantes” ont beau être fondées sur les indicateurs de développement de la Banque mondiale, elles sont “rarement évoquées” par le régime supposément démocratique en place à Delhi. Elles sont pourtant alarmantes, car les indicateurs de nutrition infantile “ne se sont pas améliorés entre 2015-16 et 2019-20”.
Fermeture des écoles
En fait, dans sept des dix principaux États de l’Union indienne où des chiffres ont été collectés, “la proportion d’enfants présentant une insuffisance pondérale a augmenté” au cours de cette période de quatre ans, tandis que dans six de ces dix États, “c’est le retard de croissance qui a augmenté”. Ceci est très grave, car la taille, contrairement au poids, “n’est pas affectée par des facteurs à court terme”, et tout retard pris dans l’enfance est associé “à des résultats scolaires inférieurs aux autres et à de graves déficiences plus tard dans la vie”, insiste Jean Drèze.
L’épidémie de Covid-19 n’a évidemment rien arrangé à la situation. Les chiffres officiels datent d’avant la crise, et il est “probable” que l’alimentation des enfants se soit détériorée depuis mars 2020. D’après la dernière enquête “Hunger Watch”, menée par différentes organisations, “les deux tiers des ménages les plus pauvres de l’Inde déclarent moins bien manger qu’avant le confinement”. Les enfants des milieux modestes ont été les premières victimes : avec la fermeture des écoles, qui perdure encore aujourd’hui par endroits, l’accès à un repas équilibré par jour à la cantine a disparu.
“Pour faire court, l’année écoulée a été catastrophique pour les enfants”, s’alarme Jean Drèze. Si l’objectif premier de l’Inde est de devenir une grande puissance économique pesant 5 000 milliards de dollars, “il n’y a aucune raison de prêter attention aux enfants”. Mais si le pays vise le développement “au sens plein du terme”, alors le développement de l’enfant est “primordial”, conclut le chercheur.
Jean Dreze
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